Air France : le maintien en ligue 1 se joue maintenant

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1359  mots
La direction, qui a prévu d’annoncer fin septembre les mesures d’économies pour les prochaines années, est enlisée dans des négociations sociales complètement bloquées. Sans accords avec les syndicats sur de nouvelles mesures de productivité, la menace d’un plan B d’attrition de l’activité assortie de suppressions massives de postes, est réelle.

Le maintien, au moins quelques années, dans la cour des grands, ou une relégation inéluctable en deuxième division pour espérer rebondir ultérieurement. Ce sera l'une de ces deux voies qui se dessinera pour Air France fin septembre en fonction des décisions qui seront prises à ce moment là. La direction a en effet prévu d'annoncer les mesures de son nouveau plan de restructuration d'ici à la fin du mois prochain lors d'un comité central extraordinaire, le 24 septembre.

S'agira-t-il de celles de son plan Perform qui vise, par la négociation de nouveaux accords d'entreprise, à améliorer la productivité du personnel, ou à défaut de tels accords, celles, encore plus douloureuses, d'un plan B de forte réduction de l'activité assortie de suppressions massives d'emplois? Selon certaines sources internes ce plan B, qui a été validé en conseil d'administration d'Air France-KLM en juillet, prévoirait le retrait de la flotte de 14 appareils long-courriers et près de 3.000 suppressions de postes comme l'avait indiqué Le Monde en juin. Un scenario plus dur que celui du plan Perform, lequel ne fera pas non plus l'impasse sur des fermetures de lignes et des suppressions de postes.

Négociations bloquées

Seule certitude aujourd'hui, le «calendrier est mort », explique une source interne. La direction est en effet à des années lumières d'aboutir à un accord négocié d'ici à fin septembre avec aucune des trois catégories de personnels, que ce soit avec les pilotes, les hôtesses et stewards, ou les personnels au sol.

Préalable jusqu'ici à l'ouverture des négociations sur Perform, la finalisation des mesures du plan précédent (Transform 2015), censée être achevée depuis ....décembre dernier, est toujours bloquée après un été rocambolesque marqué par de multiples rebondissements.

Nouvelle proposition de la direction aux pilotes

Devant l'intransigeance du syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), Frédéric Gagey, le PDG d'Air France, change son fusil d'épaule. Solder Transform n'est plus un prérequis pour commencer Perform.

Pour avancer, la direction a, selon nos informations, proposé au SNPL de commencer les négociations sur Perform en attendant de trouver le moyen de débloquer la situation concernant le solde de Transform. Sur ce point elle attend le résultat de la procédure judiciaire à l'encontre du SNPL, le 18 septembre prochain. Pour rappel, la direction a assigné le syndicat au fond pour le contraindre de solder ce plan. Le verdict reste néanmoins très incertain. Même s'il était favorable à la compagnie, le SNPL pourrait toujours faire appel. Bref, le solde de Transform risque d'être renvoyé aux calendes grecques. Sera-t-il oublié? «Non, son application reste un impératif », assure un proche du dossier.

Reste à savoir comment le syndicat des pilotes réagira à cette nouvelle proposition. Dans tous les cas, même s'il répondait favorablement, difficile néanmoins d'envisager un accord au cours du mois prochain.

Les PNC hostiles à revenir sur l'accord collectif

Les négociations sont également au point mort avec les syndicats d'hôtesses et de stewards (personnels navigants commerciaux ou PNC). Elles sont censées porter sur la révision de l'accord collectif signé en 2013 qui court jusqu'à octobre 2016. Or, deux des trois organisations professionnelles de cette catégorie de personnels (SNPNC, UNSA) refusent de se mettre autour de la table et prennent le risque de voir la direction imposer  de manière unilatérale des mesures encore plus lourdes à l'échéance de l'accord.

"Jeu de dupes"

Résultat, devant l'absence d'avancées du côté des navigants, et plus précisément des pilotes, les discussions n'avancent pas non plus avec les personnels au sol. Ces derniers refusent de faire de nouveaux efforts tant que les pilotes n'auront pas fini la copie du plan précédent et ne se seront pas engagés sur de nouvelles mesures.
Interrogé, Ronald Noirot, responsable de la CFE-CGC d'Air France, « dénonce le jeu de dupes de la direction et du SNPL » qu'il soupçonne tous deux de se contenter de cette situation qui entraînerait la mise en place du plan B, dont les personnels au sol seraient les premières victimes. Plusieurs syndicalistes redoutent des licenciements secs.

Bref, si la direction campe sur son calendrier, le fameux plan B semble aujourd'hui inévitable.

"Un bel été"

La date-butoir de fin septembre peut-elle être repoussée ? S'il y a une réelle chance d'aboutir à un accord, difficile d'imaginer la direction ne pas assouplir son agenda. D'autant qu'initialement, l'objectif était de finaliser « les accords fin 2015 ». La direction avait accéléré le calendrier en juin en raison de la dégradation plus forte » que prévue de la recette unitaire.

Or, aujourd'hui, la situation semble un peu différente. Les prix du carburant ont baissé depuis juin et, selon des sources concordantes, « Air France a réalisé une bonne performance économique cet été ». De quoi permettre de détendre légèrement le calendrier si, par miracle, le dialogue social se débloquait, en particulier avec les pilotes.

Pour autant, certains en interne redoutent que ce « bel été » et les perspectives favorables en termes de prix du carburant soient en fait un cadeau empoisonné. Car ces éléments peuvent dissuader les syndicats de s'engager sur les efforts demandés.

«Attention, ce bel été permet juste à la compagnie de respecter son budget », explique une source ayant connaissance des chiffres.

«Surtout, un bon été ne signifie pas qu'Air France a comblé l'écart de compétitivité avec ses concurrents lesquels profitent aussi des vents favorables», poursuit-elle.

Il serait en effet illusoire de penser que ces bons résultats temporaires permettent de gommer d'un coup de baguette magique tous les handicaps de la compagnie.

Menace de remous sociaux

Si le dialogue social restait bloqué, le fameux plan semble donc inéluctable.

« Il permettrait de rebondir quelques années comme l'a fait British Airways il y a une quinzaine d'années », explique un partisan de l'attrition.

IAG, la maison-mère de la compagnie britannique affiche aujourd'hui des bénéfices insolents.

Alors que certains syndicalistes n'y croient qu'à moitié, "la direction ne bluffe pas", assure un proche du dossier.

Pour autant, un tel plan ne serait pas sans présenter de nombreux inconvénients.
Le risque social est fort du côté des personnels au sol qui auront du mal à digérer les suppressions de postes dans leur rang en raison d'un dialogue de sourds entre la direction et les pilotes.
Une intervention des pouvoirs publics est, elle aussi, à attendre. En région, les élus monteront d'autant plus facilement au créneau que les élections régionales s'approcheront (elles sont prévues en décembre). Quant au gouvernement, reste à savoir s'il serait solidaire ou pas de la direction comme il l'a fait en septembre 2014 lors de la grève des pilotes.

Un scénario d'attrition aurait également pour conséquence de chambouler les équilibres entre Air France et KLM. Aujourd'hui, la compagnie française assure peu ou prou un peu moins des deux tiers de la production du groupe. Une baisse d'activité d'Air France combinée à une croissance de KLM (où la question de l'attrition ne pose pas du fait de la négociation début juillet de nouveaux accords d'entreprise), pourrait placer les deux filiales d'Air France-KLM à des niveaux très proches. De quoi conforter « l'indépendance » de la compagnie néerlandaise et retarder d'autant l'intégration du groupe.

British Airways, le bon exemple?

Enfin, les craintes sur le plan stratégique d'une telle attrition sont vives en interne. «L'exemple de British Airways n'est pas pertinent car la situation est différente aujourd'hui. Il est illusoire de penser qu'Air France, si elle fermait de nombreuses lignes pour améliorer sa compétitivité, puisse espérer quelques années plus tard refaire de la croissance. Les parts de marché perdues ne seront pas reprises », estime un cadre.

Certes. Pour autant, aujourd'hui certaines compagnies, comme Iberia ou Austrian Airlines, par exemple reprennent le chemin de la croissance après une période de restructuration en rouvrant des lignes long-courriers. Swiss avait fait de même quelques années plus tôt.