Au procès du vol Rio-Paris, les témoignages terrifiants des pilotes d’Air France confrontées à des pannes similaires à celles de l’AF447

Par latribune.fr  |   |  1015  mots
Trois pilotes d'Air France au moment du crash de 2009 sont venus témoigner à la barre. (Crédits : L. Barnier - La Tribune)
Trois pilotes d'Air France en 2009 sont venus témoigner à la barre mercredi. Ces derniers sont revenus sur les conditions de formation et de sécurité dans la compagnie avant la catastrophe de l'AF447 sans les mettre en cause. Deux des pilotes ont toutefois fait le récit de pannes des indicateurs de vitesse similaires à celle du Rio-Paris qu'ils ont subies et rapportées à Air France quelques mois avant la catastrophe.

Les pilotes ou ex-pilotes d'Air France appelés à la barre ont dû se plonger dans des souvenirs vieux de plus de treize ans, antérieurs à la catastrophe de l'AF447 qui fit 228 victimes le 1er juin 2009. Cités par le parquet, trois d'entre eux sont venus témoigner sur la manière dont la compagnie aérienne préparait ses pilotes aux incidents avant le crash. Trois pilotes qui ont travaillé dans des conditions de vol très proches de celles du Rio-Paris.

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Deux incidents similaires en question

Deux d'entre eux ont raconté leur expérience lorsqu'ils furent confrontés à des incidents de givrage des sondes Pitot similaires à celui qui a précipité la disparition de l'AF447. Ils ont chacun fait le récit de leur perte des indications de vitesse à haute altitude, l'un au-dessus de la Chine et l'autre au-dessus du Soudan (le vol Paris-Antananarivo, évoqué à de nombreuses reprises pendant le procès), tous les deux en août 2008. Soit neuf mois avant le crash de l'Airbus A330 d'Air France.

« En limite de couche nuageuse, on a commencé à avoir des turbulences. J'ai attaché mes passagers, puis plus de turbulences, j'ai attaché mon équipage. On a senti une odeur de brûlé au poste de pilotage, puis ça a été le festival », a expliqué le pilote du vol au-dessus du Soudan. « Toutes les pannes se sont déclenchées. (...) On s'est retrouvé sur un moment un peu de sidération » avec « des alarmes qui vous sautent à la figure », a raconté le sexagénaire.

Confronté à la perte de ses indications de vitesse et au déclenchement de l'alarme de décrochage, ce dernier avait dû lancer un appel de détresse, un « Mayday », pour la seule fois de sa carrière, et s'était retrouvé à piloter l'avion à haute altitude en manuel. Il avait baissé d'altitude et avait progressivement récupéré les indications de vitesse. Face à des indications contradictoires, « deux choses m'ont sauvé dans cette histoire », estime-t-il : sa pratique personnelle du vol en planeur et une « petite expérience » du pilotage manuel en haute altitude.

« En descente, nous avons eu un martèlement sur le cockpit » : pour lui, il s'agissait de « grêlons », l'avion ayant traversé un « genre d'orage qui ne peut pas être détecté au radar ». Son copilote, qui avait « très peu d'expérience » sur ce type de vol, peinait à lire les indications, a poursuivi le témoin : « c'est un peu comme si vous vous trouviez au Space mountain et que vous essayiez de lire un livre ». Puis les indications de vitesse sont revenues, il a pu rebrancher le pilote automatique, et annuler le Mayday. A ce moment-là, il a expliqué avoir « pensé à une éruption volcanique » mais pas à un givrage des sondes Pitot.

Deux récits très proches

Son récit est très proche de celui du précédent témoin, un ancien pilote et instructeur, confronté au même problème dans le ciel de Chine. Sans se connaître, les deux pilotes ont rapporté l'incident au bureau technique de la compagnie. Ils ont ensuite réalisé qu'ils étaient respectivement les cinquième et sixième pilotes à subir ce problème sur l'année 2008.

Le 6 novembre 2008, Air France a diffusé une note de sécurité sur la panne dans les casiers des pilotes. « Je l'ai eue, mais comme quelque chose qui n'était pas exploitable », a affirmé le pilote qui s'était retrouvé en difficulté au-dessus du Soudan. Mais il sous-entend que la réaction de la compagnie à ces incidents n'était pas suffisante. « Je pense que si ça avait été traité comme ça aurait dû être traité, on ne serait pas là aujourd'hui », a-t-il pointé.

Une déclaration qui ramène à l'une des questions centrales du procès : Air France avait-elle correctement formé et informé ses pilotes pour affronter une panne comme celle des indicateurs de vitesse qui a précipité la catastrophe ?

Le crash du Rio-Paris a en effet ébranlé l'entreprise et ses pilotes, modifiant en partie leur formation continue a admis le troisième pilote (le premier a être passé à la barre). « Après l'accident, ça a été compliqué de retrouver de la confiance. Je ne suis pas retourné sur des vols vers Rio pendant deux ans. Beaucoup de stewards ne voulaient plus effectuer cette liaison », s'est remémoré le premier pilote à témoigner, arrivé chez Air France en 2005 et qui avait effectué la liaison Rio-Paris deux jours avant le drame.

« Il y a eu un changement de culture par rapport au maintien des compétences des pilotes, qui est devenu beaucoup plus axé sur la pratique », a-t-il poursuivi avant d'indiquer qu'il n'avait jamais été confronté au problème spécifique de gel des sondes de vitesses. Et qu'il n'en avait jamais entendu parler.

La formation épargnée

Les trois pilotes n'ont pas particulièrement remis en cause la formation dispensée par Air France dans leur témoignage. Le premier pilote à la barre a détaillé ses périodes de formation entre les nombreux apprentissages théoriques des systèmes de commandes puis le passage au pilotage en simulateur et en cockpit.

Sur l'entraînement des pilotes à gérer une situation stressante, le quadragénaire a logiquement reconnu que le simulateur ne pouvait pas reproduire les conditions de tension extrême, mais que la compagnie s'efforçait d'aguerrir ses pilotes en organisant des séances de simulateur dans des conditions de fatigue, très tôt ou très tard.

L'ancien instructeur, malgré son incident de perte d'indication de vitesse au-dessus de la Chine, n'a pas plus critiqué les conditions de formation et de sécurité. La compagnie, sur laquelle il a volé pendant près de 30 ans, avait selon lui « un haut niveau de conscience quant à la sécurité des vols » dans la période précédant le drame de 2009.

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