Procès du Rio-Paris : après la DGAC, c'est au tour de l'AESA de se faire étriller sur le cas de l'AF447

C'est le procès d'Airbus et d'Air France, mais cela aurait pu être celui de l'administration. Comme pour la DGAC il y a quelques jours, l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), en la personne de son ancien directeur Patrick Goudou, a dû répondre de son manque de réactivité et son incapacité à se saisir pleinement du sujet du givrage des sondes Pitot avant qu'une catastrophe n'intervienne. Sans compter les attaques sur l'indépendance de l'EASA par rapport à Airbus.
Léo Barnier
Le procès s'est poursuivi avec l'audition de Patrick Goudou, ancien patron de l'EASA.
Le procès s'est poursuivi avec l'audition de Patrick Goudou, ancien patron de l'EASA. (Crédits : L. Barnier - La Tribune)

Sale temps pour les autorités de l'aviation civile. Venu témoigner lors du procès de l'accident du l'Airbus A330 d'Air France entre Rio et Paris, Patrick Goudou n'a pas été ménagé. A l'image des représentants de la Direction générale de l'aviation civile française (DGAC) il y a quelques jours, l'ancien directeur exécutif de l'Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA), en poste entre 2003 et 2013, a subi pendant plus de deux heures le flot de questions du Tribunal de la part des juges, du ministère public et des avocats des parties civiles. Ces derniers n'ont pas hésité à attaquer frontalement l'ancien fonctionnaire européen, l'un lui demandant s'il n'avait pas « manqué de courage » et un autre lâchant d'un ton acerbe : « Je vous laisse, Monsieur, rejoindre la cohorte des fonctionnaires qui ne sont responsables de rien ».

Avec le passage de l'ancien patron de l'AESA à la barre, le procès de l'accident du vol AF447 s'est donc à nouveau apparenté à un procès du système, avec deux principaux axes d'accusation. Le premier est l'inertie du régulateur européen et des autorités nationales lorsqu'il s'agit de conduire le changement, le second - porté essentiellement par les avocats des parties civiles - est la proximité réelle ou supposée entre l'Agence européenne et le constructeur européen Airbus.

Un retard à l'allumage

La présidente de l'audience a tout d'abord mis en lumière le temps nécessaire à l'AESA pour se saisir du problème de givrage des sondes alors que les autorités américaines, allemandes ou françaises avaient déjà travaillé sur le sujet depuis la fin des années 1990. Elle pointe aussi un incident d'un A330 de la compagnie brésilienne TAM en 2003 qui, selon le rapport du BEA, présente des similarités avec l'AF447 avec le givrage d'au moins deux sondes Pitot à haute altitude, des difficultés de pilotage (actions de forte amplitude dont plusieurs à cabrer, prise d'assiette allant jusqu'à 13°), ainsi que le déclenchement de l'alarme de décrochage à plusieurs reprises mais à laquelle l'équipage a réagi par des fortes actions à piquer. Ce qui aurait pu constituer un signal d'alerte quant à la sous-estimation des risques lors d'occurrences de pertes d'indication de vitesse suite à un givrage de sondes Pitot, qui furent à plusieurs reprises seulement classifiées comme « majeures » par l'AESA et non « critiques », en raison d'une faible probabilité et surtout de l'existence d'une procédure associée à suivre par les pilotes.

Patrick Goudou a alors tenté de rappeler qu'en 2003, son agence est dans sa phase de déploiement initial avec le transfert des compétences jusqu'ici détenues par les agences nationales et la lourde tâche en parallèle de mettre en place une réglementation unifiée européenne, mais la juge a coupé court en affirmant qu'il y avait eu du temps pour réagir entre 2003 et l'accident en 2009. Elle a aussi insisté sur le fait que le cas de TAM montrait dès 2003 que l'application de la procédure « était plus compliquée que ce que l'on pensait ».

Cela n'a pas pour autant empêché Patrick Goudou d'affirmer à plusieurs reprises qu'il n'y avait de raisons de s'alerter en raison du faible nombre d'occurrences (malgré une forte augmentation inexpliquée à partir de 2008) et de ladite procédure. L'ancien patron de l'AESA a également estimé que ses équipes n'avaient pas été inactives sur le sujet, avec le lancement de plusieurs études ayant trait au givrage. A plusieurs reprises, il a d'ailleurs justifié le temps pris par l'Agence pour adapter sa réglementation par le fait qu'elle ne disposait pas de « d'études fiables » sur la physique des cristaux de glace.

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Un règlement plus lent que les progrès techniques

Ce fut le cas notamment pour l'un des points les plus parlants, soulevé par l'une des assesseurs de la présidente de l'audience. Celle-ci s'est fortement étonnée du fait que l'Agence, lors de la création de son règlement de certification CS-25 en remplacement du JAR-25, n'ait pas intégré l'élargissement du domaine de vol des avions pour la qualification des sondes Pitot, alors même que les vols commerciaux croisaient bien plus haut que l'altitude prévue dans les textes depuis des dizaines d'années déjà. De même, elle a souligné qu'Airbus imposait des exigences supplémentaires à ses équipementiers depuis 1995 pour que les critères de performance des sondes correspondent mieux à la réalité opérationnelle. Face à ces piques, Patrick Goudou s'est donc abrité derrière le manque de données fiables, malgré les travaux réalisés par le constructeur européen : « Airbus allait dans le bon sens parce qu'il durcissait la réglementation, mais ce n'était pas suffisant pour établir une véritable mesure ».

Il a également rappelé qu'il faut 3 à 4 ans pour faire passer une modification de réglementation, ce qui fera dire à l'assesseure que l'on « a le sentiment d'un effet retard de cette réglementation même par rapport aux exigences des constructeurs [...] alors que la culture de la sécurité doit évoluer plus vite et être plus réactive que ce processus d'élaboration ».

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Attaques en règle

Il n'en fallait pas plus pour que les avocats des parties civiles s'engouffrent dans la brèche, eux qui n'ont pas oublié qu'il a fallu plus de deux ans à Patrick Goudou, protégé par son immunité de fonctionnaire européen basé en Allemagne, pour répondre à la convocation de la juge d'instruction Sylvia Zimmermann en charge de l'enquête judiciaire sur le vol AF447. Il était pourtant appelé comme simple témoin. Une charge menée par l'avocat de l'association allemande des familles de victimes HIOP, à laquelle se sont associés par la suite plusieurs de ses confrères, et face à laquelle Patrick Goudou s'est à nouveau réfugié derrière la procédure pour expliquer ces longueurs.

Après un quasi-monologue de plusieurs minutes, pointant notamment les discussions de décembre 2008 entre l'AESA et Airbus lors d'une réunion de suivi de navigabilité, dont l'ordre du jour avait été chamboulé suite à un courrier alarmant d'Air Caraïbes transmis par la DGAC, l'avocat d'HIOP a fini par demander comment un directeur de l'agence européenne de la sécurité aérienne n'avait pas pu être « alarmé » par ces éléments. « Nous avons agi dans le strict respect de la réglementation et de la procédure », s'est défendu Patrick Goudou en engageant des discussions avec Airbus et en confirmant le maintien de la qualification « majeure » pour les occurrences de pertes d'indication de vitesse suite au givrage des sondes Pitot.

S'en sont suivis des échanges houleux entre les deux hommes. Alors que Patrick Goudou tentait d'expliquer que c'était « la tendance » à la hausse du nombre d'occurrence de givrage des sondes Pitot qui avait conduit l'AESA « à prendre les devants » en 2010 pour établir que la perte d'indication de vitesse pouvait aboutir à une condition compromettant la sécurité (« unsafe condition ») et émettre une consigne de navigabilité, la réponse de l'avocat s'est faite cinglante : « Est-ce que la tendance n'était pas plutôt qu'il y avait eu 228 morts ? », ironisant ensuite sur le fait de « prendre les devants » après l'accident et concluant par « j'ai été militaire, je suis content de ne pas avoir été commandé par un chef comme vous ».

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L'AESA a-t-elle les moyens de faire plus ?

C'est également l'assesseure qui a allumé la deuxième mèche, en demandant si l'AESA avait les moyens de faire plus « qu'un contrôle documentaire » des données fournies par Airbus lors de la certification d'un nouvel appareil, et donc de vérifier par elle-même la conformité de l'avion. Face à cela, Patrick Goudou a été bien obligé de rappeler que le département de certification de l'Agence n'a jamais dépassé 200 personnes - avec par exemple seulement 25 ingénieurs dédiés au programme A380 - face aux milliers d'ingénieurs du constructeur, que seul le constructeur à l'ensemble de la documentation de l'avion, et qu'il est donc « trop compliqué de faire les calculs à sa place ».

L'assesseure est même allée plus loin. Elle a souligné le fait que l'AESA ne semblait ne faire que réagir suite aux propositions faites par les constructeurs, même pour l'émission de consignes de navigabilité (qui appellent à des actions impératives à réaliser suite à la détection d'un défaut sur un type d'avion), avant de s'interroger « sur l'indépendance des décisions de l'Agence européenne par rapport aux informations soumises par les constructeurs ». Ce à quoi Patrick Goudou a répondu haut et fort que l'AESA n'était pas « dans la main des constructeurs » ou une simple chambre d'enregistrement, et qu'elle contrôlait des milliers de documents, participait aux essais en vol et n'hésitait pas à pousser Airbus dans ses retranchements lorsque cela était nécessaire.

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Le retour de la patate chaude

Et là encore, c'est l'avocat de l'association allemande HIOP qui s'est montré le plus cinglant : « le fait que Airbus soit un consortium européen et que vous soyez à la tête d'une agence européenne de la sécurité aérienne, a-t-il été de nature à créer une indulgence dans la relation entre les deux entités ? » Et lorsque Patrick Goudou a affirmé qu'il n'y avait « aucune indulgence », l'avoué a lâché en guise de conclusion : « Je vous laisse, Monsieur, rejoindre la cohorte des fonctionnaires ne sont responsables de rien ».

Ne manquant pas l'occasion de rebondir sur ce propos, et faisant référence à l'audition précédente de membres de la DGAC, un des avocats de l'association française Entraide et Solidarité AF447 a poursuivi le tir nourri à l'encontre de l'ancien directeur de l'AESA : « Nous représentons des familles de victimes qui ne savent qu'une seule chose, c'est que leurs proches sont morts dans une catastrophe et que nous voyons depuis le début du procès un défilé de hauts fonctionnaires dont nous avons l'impression qu'ils se refilent la patate chaude », chacun se renvoyant la balle au gré de la répartition des compétences sans jamais assumer la pleine responsabilité.

Léo Barnier

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Commentaires 3
à écrit le 29/10/2022 à 13:29
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Bonjour, Je suis un ancien technicien de maintenance , un capteur qui se met en panne qui bloque une ligne de production à 3500 euro de l'heure. On part vite fait changer de modèle. Tout ces gens sont morts parceque quelqu'un n'a pas fait son boulo...

à écrit le 26/10/2022 à 15:39
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@PM = et donc ?? Un procès pour l'argent ?? Pas convaincu que ça leur rapporte grand-chose, on est pas aux USA. Peut-être tout simplement la vérité, laxisme des autorités, arrogance d'Airbus, pilotes mal formés...le procès d'un système, comme celui d...

à écrit le 26/10/2022 à 14:08
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On y est ! Les avions n'étant autorisés à voler QUE SI ils sont construits selon les caractéristiques de leur certification; et exploités en conformité avec les manuels qui en découlent, faire remonter la responsabilité à l'organisme cerificateur a u...

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