
On le sentait monter depuis quelques jours : la solidarité potentielle des co-accusés dans le procès du Rio-Paris vient de voler en éclats. Ce mardi, Air France a porté une première attaque franche à l'encontre d'Airbus à propos de l'organisation d'un vol de démonstration en 2012, dans le cadre de la première expertise du crash de l'AF447. L'avocat de la compagnie aérienne, qui a indiqué au préalable qu'il s'agissait d'une « question sensible mais non hostile », a largement questionné les experts sur l'impartialité de cette opération organisée avec le constructeur et insinué le doute sur « l'emprise d'Airbus » sur l'expertise comme sur l'ensemble du secteur aéronautique. Ce à quoi les représentants du constructeur ont vivement réagi pour dénoncer une mise en scène.
Air France avait déjà planté quelques banderilles lors de précédentes audiences, mais là, l'attaque a été directe et surprenante alors que le tribunal écoutait l'ultime passage à la barre du premier collège d'experts, MM. Alain de Valence de Minardiere, Hubert Arnould, Michel Beyris et Eric Brodbeck. Elle a été menée par Maître François Saint-Pierre. L'avocat a tout d'abord fait remarquer qu'il venait de découvrir lors de l'audition de Marc Parisis quelques jours plus tôt, la présence de ce dernier à bord de ce vol en mai 2012 alors que celui-ci était alors le représentant légal d'Airbus auprès de l'instruction, le constructeur ayant été mis en examen un an plus tôt. De quoi évoquer pour lui un possible conflit d'intérêt.
Ne laissant pas le temps aux experts de trouver une échappatoire, l'avoué d'Air France leur a vivement rappelé que certains d'entre eux avaient assisté quelques mois plus tôt à des réunions entre Marc Parisis et la juge d'instruction de l'époque, Sylvia Zimmermann.
Air France dit ne pas avoir été au courant...
« Je n'ai absolument pas le souvenir qu'Air France ou ses avocats aient été informés de ce vol réalisé chez Airbus, avec du matériel Airbus et des ingénieurs et des pilotes Airbus », a poursuivi François Saint-Pierre. Invoquant une atteinte au principe « d'égalité des armes », qui suggère que toutes les parties doivent disposer du même niveau d'information, l'avocat évoque un problème « d'impartialité apparente ». Il a également suggéré que les parties civiles déjà constituées à l'époque n'étaient pas non plus au courant. Il a ajouté que les détails de l'organisation de ce vol n'étaient pas précisés dans la procédure ou le rapport des experts remis en 2012, même si quelques instants après il a mentionné le fait que le nom de Marc Parisis apparaissait en petits caractères dans un document sur le vol fourni par Airbus.
Et François Saint-Pierre est allé plus loin : « Airbus a une maîtrise technologique totale, c'est le meilleur avionneur du monde. Il est en situation de pouvoir. Nous savons aussi qu'Airbus exerce une influence considérable sur l'administration et la réglementation. Et là, je vois Airbus au cœur du vol d'expertise. Donc je me pose la question de savoir dans quelle mesure Airbus n'a pas contrôlé ce vol d'expertise. » Il a également évoqué le fait qu'aucun frais de justice n'avait été posé pour ce vol, et donc que celui-ci avait été très probablement entièrement financé par le constructeur. Ce qui pose un problème d'indépendance.
L'avocat d'Air France a conclu son offensive en affirmant à nouveau aux experts qu'il ne s'agissait pas de « questions hostiles » à leur encontre, mais un moyen pour « mesurer l'emprise d'Airbus sur ces opérations comme sur l'ensemble de la vie aéronautique ».
... mais Airbus affirme le contraire
Même s'il n'était pas la cible principale, Alain de Valence de Minardiere a tout de même défendu l'organisation du vol à plusieurs reprises, que ce soit sur son utilité pour comprendre le scénario, sur le choix de pilotes d'essais venus d'Airbus en raison du faible nombre de pilotes capables de réaliser le programme de vol souhaité, sur la présence de Marc Parisis en raison de ses fonctions comme pilote d'essais et responsable de formation, sur l'impossibilité d'inviter toutes les parties à bord, sur le caractère démonstratif et non reconstitutif du vol ou encore sur le fait que la juge Zimmermann avait parfaitement validé ce vol.
Mais la réaction la plus vive est naturellement venue d'Airbus, par la voix de son avocat Simon Ndiaye. Plutôt que de poser des questions, celui-ci a mené une riposte ironisant tout d'abord sur l'absence d'hostilité dans la démonstration de son confrère. Dans la foulée, il a affirmé que ces vols n'avaient jamais été demandés par Airbus, qu'ils avaient été autorisés par l'instruction, et que Marc Parisis n'a jamais été mis en examen à titre personnel et qu'il avait suivi la procédure qu'en tant qu'employé d'Airbus.
L'avocat s'est ensuite montré plus offensif, déclarant qu'il était « archi-faux » que Maître Saint-Pierre vienne juste de découvrir les détails de l'organisation de ce vol. Faisant référence à son tour au même document fourni par Airbus sur le vol susmentionné, Sylvain Ndiaye renverse l'argument de son confrère pour signaler que le nom de Marc Parisis apparaît en toutes lettres.
Pour finir, l'avocat d'Airbus a fait référence à la contre-expertise, mettant davantage l'accent sur les facteurs humains, annulée par la justice en 2015 en raison d'une erreur de procédure. Il a ainsi rappelé qu'Air France s'était opposée à cette contre-expertise en raison de nouveaux vols de démonstration faits chez Airbus en 2014, mais que la compagnie s'était bien gardée de faire de même pour le vol de 2012 car, selon lui, elle « considérait que les conclusions des premiers experts lui étaient bien plus favorables ». Poursuivant sa démonstration, Sylvain Ndiaye a affirmé avoir plaider en faisant référence à ce premier vol où figurait Marc Parisis devant la chambre de l'instruction, et ce en présence de ses homologues d'Air France, qui ne pouvaient donc pas ne pas être au courant.
Si le déroulement de l'audience a repris de façon plus apaisée par la suite, le tribunal va donc devoir s'interroger sur ces affirmations d'Air France remettant en cause l'impartialité, au moins objective, des experts après avoir passé de longues heures à les entendre témoigner.
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