Le procès du vol Rio-Paris s'envenime : Air France attaque Airbus et dénonce son emprise sur l'expertise du crash de l'AF447

Le torchon brûle entre Air France et Airbus au procès de la catastrophe de l'AF 447. Profitant de la dernière audition d'un collège d'experts, la compagnie aérienne a dénoncé une possible emprise du constructeur sur l'expertise - comme sur le reste du secteur aéronautique. De quoi mettre fin à l'apparente entente cordiale entre les deux accusés, déjà mise à mal depuis quelques jours.
Léo Barnier
La situation s'envenime entre Air France et Airbus au procès de l'accident du Rio-Paris.
La situation s'envenime entre Air France et Airbus au procès de l'accident du Rio-Paris. (Crédits : STRINGER Brazil)

On le sentait monter depuis quelques jours : la solidarité potentielle des co-accusés dans le procès du Rio-Paris vient de voler en éclats. Ce mardi, Air France a porté une première attaque franche à l'encontre d'Airbus à propos de l'organisation d'un vol de démonstration en 2012, dans le cadre de la première expertise du crash de l'AF447. L'avocat de la compagnie aérienne, qui a indiqué au préalable qu'il s'agissait d'une « question sensible mais non hostile », a largement questionné les experts sur l'impartialité de cette opération organisée avec le constructeur et insinué le doute sur « l'emprise d'Airbus » sur l'expertise comme sur l'ensemble du secteur aéronautique. Ce à quoi les représentants du constructeur ont vivement réagi pour dénoncer une mise en scène.

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Air France avait déjà planté quelques banderilles lors de précédentes audiences, mais là, l'attaque a été directe et surprenante alors que le tribunal écoutait l'ultime passage à la barre du premier collège d'experts, MM. Alain de Valence de Minardiere, Hubert Arnould, Michel Beyris et Eric Brodbeck. Elle a été menée par Maître François Saint-Pierre. L'avocat a tout d'abord fait remarquer qu'il venait de découvrir lors de l'audition de Marc Parisis quelques jours plus tôt, la présence de ce dernier à bord de ce vol en mai 2012 alors que celui-ci était alors le représentant légal d'Airbus auprès de l'instruction, le constructeur ayant été mis en examen un an plus tôt. De quoi évoquer pour lui un possible conflit d'intérêt.

Ne laissant pas le temps aux experts de trouver une échappatoire, l'avoué d'Air France leur a vivement rappelé que certains d'entre eux avaient assisté quelques mois plus tôt à des réunions entre Marc Parisis et la juge d'instruction de l'époque, Sylvia Zimmermann.

Air France dit ne pas avoir été au courant...

« Je n'ai absolument pas le souvenir qu'Air France ou ses avocats aient été informés de ce vol réalisé chez Airbus, avec du matériel Airbus et des ingénieurs et des pilotes Airbus », a poursuivi François Saint-Pierre. Invoquant une atteinte au principe « d'égalité des armes », qui suggère que toutes les parties doivent disposer du même niveau d'information, l'avocat évoque un problème « d'impartialité apparente ». Il a également suggéré que les parties civiles déjà constituées à l'époque n'étaient pas non plus au courant. Il a ajouté que les détails de l'organisation de ce vol n'étaient pas précisés dans la procédure ou le rapport des experts remis en 2012, même si quelques instants après il a mentionné le fait que le nom de Marc Parisis apparaissait en petits caractères dans un document sur le vol fourni par Airbus.

Et François Saint-Pierre est allé plus loin : « Airbus a une maîtrise technologique totale, c'est le meilleur avionneur du monde. Il est en situation de pouvoir. Nous savons aussi qu'Airbus exerce une influence considérable sur l'administration et la réglementation. Et là, je vois Airbus au cœur du vol d'expertise. Donc je me pose la question de savoir dans quelle mesure Airbus n'a pas contrôlé ce vol d'expertise. » Il a également évoqué le fait qu'aucun frais de justice n'avait été posé pour ce vol, et donc que celui-ci avait été très probablement entièrement financé par le constructeur. Ce qui pose un problème d'indépendance.

L'avocat d'Air France a conclu son offensive en affirmant à nouveau aux experts qu'il ne s'agissait pas de « questions hostiles » à leur encontre, mais un moyen pour « mesurer l'emprise d'Airbus sur ces opérations comme sur l'ensemble de la vie aéronautique ».

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... mais Airbus affirme le contraire

Même s'il n'était pas la cible principale, Alain de Valence de Minardiere a tout de même défendu l'organisation du vol à plusieurs reprises, que ce soit sur son utilité pour comprendre le scénario, sur le choix de pilotes d'essais venus d'Airbus en raison du faible nombre de pilotes capables de réaliser le programme de vol souhaité, sur la présence de Marc Parisis en raison de ses fonctions comme pilote d'essais et responsable de formation, sur l'impossibilité d'inviter toutes les parties à bord, sur le caractère démonstratif et non reconstitutif du vol ou encore sur le fait que la juge Zimmermann avait parfaitement validé ce vol.

Mais la réaction la plus vive est naturellement venue d'Airbus, par la voix de son avocat Simon Ndiaye. Plutôt que de poser des questions, celui-ci a mené une riposte ironisant tout d'abord sur l'absence d'hostilité dans la démonstration de son confrère. Dans la foulée, il a affirmé que ces vols n'avaient jamais été demandés par Airbus, qu'ils avaient été autorisés par l'instruction, et que Marc Parisis n'a jamais été mis en examen à titre personnel et qu'il avait suivi la procédure qu'en tant qu'employé d'Airbus.

L'avocat s'est ensuite montré plus offensif, déclarant qu'il était « archi-faux » que Maître Saint-Pierre vienne juste de découvrir les détails de l'organisation de ce vol. Faisant référence à son tour au même document fourni par Airbus sur le vol susmentionné, Sylvain Ndiaye renverse l'argument de son confrère pour signaler que le nom de Marc Parisis apparaît en toutes lettres.

Pour finir, l'avocat d'Airbus a fait référence à la contre-expertise, mettant davantage l'accent sur les facteurs humains, annulée par la justice en 2015 en raison d'une erreur de procédure. Il a ainsi rappelé qu'Air France s'était opposée à cette contre-expertise en raison de nouveaux vols de démonstration faits chez Airbus en 2014, mais que la compagnie s'était bien gardée de faire de même pour le vol de 2012 car, selon lui, elle « considérait que les conclusions des premiers experts lui étaient bien plus favorables ». Poursuivant sa démonstration, Sylvain Ndiaye a affirmé avoir plaider en faisant référence à ce premier vol où figurait Marc Parisis devant la chambre de l'instruction, et ce en présence de ses homologues d'Air France, qui ne pouvaient donc pas ne pas être au courant.

Si le déroulement de l'audience a repris de façon plus apaisée par la suite, le tribunal va donc devoir s'interroger sur ces affirmations d'Air France remettant en cause l'impartialité, au moins objective, des experts après avoir passé de longues heures à les entendre témoigner.

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Léo Barnier

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Commentaires 22
à écrit le 29/10/2022 à 16:59
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"Le CDB parvient à réduire l’assiette à 11,5° et à maintenir les ailes horizontales. La vitesse est alors de 138 kt et l’alarme STALL s’arrête. À cet instant, le CDB relâche son ordre à piquer. Associé au couple cabreur des moteurs en TOGA, cette a...

le 01/11/2022 à 9:14
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rien a voir avec un vol régulier et un problème de sonde pitot

à écrit le 27/10/2022 à 21:35
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Et la DGAC dans tout ça…? Ils étaient pourtant bien informés de cette situation. Pourquoi n’ont-ils rien exigé aux compagnies aériennes ?

à écrit le 27/10/2022 à 0:46
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Vive le négationnisme du SNPL... Pour rappel, les pilotes Air France sont ceux qui réalisent le moins d'heures de vol dans le monde pour une rémunération qu'envient même les pilotes américains et on nous annonce au cours de ce procès que les me...

le 27/10/2022 à 10:39
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Félicitations Megadebt ! Vous avez enfin réussi votre " participation " la plus aboutie ! En effet après d’innombrables posts du même tonneau vous avez affiné votre style pour nous faire partager la quintessence de vos obsessions auprès desquelles l...

le 29/10/2022 à 16:09
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Vous mélangez tout et n’apportez rien à l’article ! Nous pourrions débattre et démonter à la lettre vos avis gratuits et sans fondements. Il est question ici de faire avancer le débat sur le fond pas sur les avis de votre copain de bar du commerce !

le 29/10/2022 à 16:53
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Les prêts octroyés par l’état sont en train d’être remboursés que je sache. Vous pouvez continuer à dormir tranquille, pas 1 centime de votre poche n’ira dans les caisses d’Air France. ( et je m’en réjouis).

à écrit le 26/10/2022 à 12:29
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Et non, ça n'est pas similaire au 737 Max, sauf pour le résultat final. Airbus a complètement documenté l'avionique, il n'y a pas de subtilité cachée comme pour le Max. Quant aux sondes, il y a un bulletin Airbus demandant de les changer, ce qu'a fai...

le 26/10/2022 à 14:15
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Il n'y a pas de subtilité cachée, sauf celles que l'on découvre au grès des réactions de l'appareil, qui sont connues du constructeur et non communiquées aux pilotes. Cf accident survenu en Alsace lors d'un vol de démonstration. L'appareil peut "refu...

à écrit le 26/10/2022 à 11:29
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Ils sont pas un brin complotistes chez Air France, à essayer de mouiller Airbus? Curieusement, les autres compagnies "major" ne plantent pas d'Airbus comme pour l'AF447 (on peut aussi ajouter Habsheim ou Toronto). Sullenberger, le pilote américain qu...

le 26/10/2022 à 17:54
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Quand on veut tuer son chien, on l'accuse de la rage. Ou comment détourner l'attention des juges pour ne pas s'exposer aux accusations de manquements en terme de formation des pilotes aux situations de décrochages en croisière.

le 26/10/2022 à 21:34
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Ah ! Le mot est lâché… Tout ce qui n’est pas conforme à vos certitudes se trouve taxé de complotisme ? Savez vous qu’un autre accident mortel lié à un décrochage avait eu lieu le 30 juin 1994 ? Un vol d’essai , à Toulouse , lié à un problème de com...

le 26/10/2022 à 22:34
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S’il n’y avait pas de formation en la matière , c’est que ni le constructeur ni l’autorité de tutelle ( DGAC puis EASA ) n’avaient estimé qu’elle était nécessaire .

le 27/10/2022 à 14:56
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Quel lien faites-vous entre le crash de l'A330 coréen et l'AF447 ? Il y a un rapport d'enquête ? Non. Alors c'est hors sujet, il n'y en a aucun. Un B777 d'Asiana s'est écrasé à San Francisco en 2014. Le rapport avait conclu à une erreur de pilotage, ...

le 27/10/2022 à 21:05
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Je cite : "les autres compagnies "major" ne plantent pas d'Airbus" … la preuve que si. Je cite encore : " Air France est une compagnie comme les autres, mais qui a cultivé à tout les niveaux une certaine impunité " ah bon ? Vous avez des éléments fac...

le 29/10/2022 à 16:47
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TOUTES les compagnies font parler d’elles si vous vous intéressez un tant soit peu au sujet ce qui ne semble pas être votre cas. Que dites vous quand un avion décolle d’un taxiway sur l’aéroport principal du réseau ( Amsterdam) ? Le contrôleur aérien...

à écrit le 26/10/2022 à 9:57
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Il faut en un premier temps trouver un ou des coupables solvables, ce qui exclu l'équipage. Ensuite il faudrait remettre en cause les technologies en vigueur dans l'aéronautique qui consistent à empiler les couches électroniques jusqu'à produire des...

le 26/10/2022 à 11:43
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Dans le cas d'espèce, qu'il y ait eut 2, 4, 8... moteurs est hors sujet. Les automatismes de l'aéronautique ne sont pas confrontés à un environnement potentiellement dangereux (espacement) et sont "régulés" par un contrôle actif. Au final géré par de...

à écrit le 26/10/2022 à 9:51
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L'étape suivante est de demander à Boeing d'expertiser l'affaire et pour Airbus de présenter la note des dépenses entraînées par tout le travail effectué. Air France a une attitude minable et ferait mieux de faire profil bas.

le 26/10/2022 à 22:45
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Quand on est un constructeur comme Airbus , on envisage ce genre de situations , d’autant plus que l’occurrence de ce genre de panne était en augmentation vertigineuse ! Mais non … rien … on se contente de dire que le risque potentiel n’est pas si g...

à écrit le 26/10/2022 à 6:48
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Bonjour, Dans tous les cas ils y à bien un responsable ... Airbus pour les defaut des sondes de vole... delais important de remplacement... Air France dans l,entraînement des pilote , incapable de reagir ( correctement) devant la defection des ca...

le 27/10/2022 à 8:57
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sondes de vol, Roger, vol: c'est masculin.... son oeuvre, Roger, son: pronom possessif et non un verbe..... incapables, Roger, au pluriel, ils étaient plusieurs....

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