
C'est sans doute une lapalissade, mais les arguments avancés par Airbus et Air France dans le procès de l'accident du vol AF447 ont du mal à convaincre les parties civiles. « Airbus n'aurait-il rien pu faire pour éviter ce drame ? » ou encore « est-ce qu'Air France a mal fait quelque chose ? », a ainsi-t-on pu entendre ces derniers jours au Tribunal correctionnel de Paris, chargé de juger le constructeur et la compagnie aérienne pour homicides involontaires.
S'il y a des différences, la ligne de défense d'Airbus comme d'Air France repose en grande partie sur le fait que les pilotes n'ont pas compris la situation, et que de fait ils n'ont pas appliqué la procédure prévue en cas de perte d'indications de vitesse puis d'alarme de décrochage et qu'ils n'ont pas maîtrisé la trajectoire, ou encore que les rapports des pilotes sur les précédents incidents ne permettaient pas à l'époque de saisir l'imminence du risque d'accident.
Un équilibre délicat pour ne pas enfoncer les pilotes
Une stratégie qui nécessite un certain équilibre pour se dédouaner de toute faute pénale sans accabler pour autant l'équipage mort dans l'accident il y a treize ans. Et surtout une stratégie qui ne passe pas auprès des parties civiles, constituées en grande partie par les proches et familles de victimes ou de l'équipage et par des syndicats de pilotes. D'autant qu'une partie d'entre elles n'hésite pas à affirmer haut et fort que les pilotes ne sont en rien responsables du crash de l'Airbus A330 d'Air France.
Comme depuis le début du procès, c'est Airbus qui est tenu comme principal responsable par les parties civiles. Marc Parisis, responsable du soutien aux compagnies aériennes au moment des faits et resté au sein du constructeur jusqu'à sa retraite l'an dernier, en a fait l'expérience. Il était cité comme témoin par Airbus, après en avoir été le représentant pendant l'instruction, soit une dizaine d'années.
Après avoir été interrogé pendant une heure et demie par la juge Sylvie Daunis et ses deux assesseurs, il a ensuite fait face aux questions des avocats des parties civiles : « En conscience, dans le silence de votre réflexion, est-ce que qu'Airbus n'a aucune responsabilité causale ? Airbus n'aurait-il rien pu faire pour éviter ce drame ? », « Je ne comprends pas comment on peut nous dire que les passagers n'ont rien ressenti », « Avez-vous la conviction qu'Airbus ait répondu de manière rapide, efficace et sérieuse aux incidents de givrage des sondes Pitot ? », « Si les choses étaient si claires, c'est donc que les pilotes étaient très mauvais ? [...] Moi, j'ai plutôt tendance à penser que c'était une sous-estimation du risque et une mauvaise information ». Une séquence marquée par le départ de plusieurs membres de l'association Entraide et Solidarité en plein milieu de l'audience, et qui n'ont pas souhaité revenir par la suite alors que c'était au tour des questions de la défense.
D'abord constant, Marc Parisis a tout de même fini par accuser un peu le coup, mais est tout de même resté sur sa ligne. A savoir que les pilotes n'avaient pas eu d'objectifs de pilotage à partir du passage en pilotage manuel, du moins en assiette, et que rien ne semble pouvoir justifier les actions à cabrer longues et répétitives qui ont conduit l'avion jusqu'au décrochage. De même, il estime qu'Airbus a fait ce qu'il devait faire face aux précédents incidents, ainsi que par la suite pour découvrir ce qui avait pu se passer et déterminer les responsabilités de chacun. Et c'est sans doute cette partie qui fut jugée insupportables par les familles.
Un ex-Air France pointe aussi Airbus
Quelques jours plus tôt, c'était le tour d'Etienne Lichtenberger, Directeur de la sécurité et de la qualité aux Opérations aériennes d'Air France jusqu'en mars 2009 puis nommé directeur corporate de la sécurité trois mois avant le drame. Si les grandes lignes de son témoignage s'alignaient avec celles d'Airbus, il y a tout de même eu des différences notables. Pour lui, il n'est pas possible qu'un pilote d'Air France prenne 12° d'assiette sans raison. Les actions à cabrer sont donc dues à une représentation inversée de la situation, avec une fausse perception de survitesse. Et de fait, si le pilote aux commandes a tiré sur le manche pendant 12 secondes de suite de façon consciente, au-delà de l'effet de surprise initiale, c'est dans le but assumé de réduire cet excès de vitesse. Ce qui lui a valu également son lot de questions destinées à le pousser dans ces retranchements : « Le fait causal est donc du côté des pilotes, pas de la compagnie ? » « Est-ce qu'Air France a mal fait quelque chose ? ».
Mais Etienne Lichtenberger s'est vu aussi poser des questions tournées vers Airbus, notamment une destinée à mettre à mal toute possibilité de solidarité entre les deux co-accusés : « Airbus a-t-il sous-estimé la gravité de la défaillance des sondes ? Soyez libre de votre parole, vous êtes témoin. Vous avez dans la salle des familles et cette question à un sens. » Et au vu de la réponse, et d'autres, elle a été efficace. L'ancien cadre pilote d'Air France a ainsi déclaré : « La question que vous posez est grave. Bien évidemment. Lorsque l'on constate qu'un accident est intervenu, c'est que d'une certaine manière nous avons sous-estimé la gravité des incidents préalables et donc je ne peux pas répondre autre chose. ». Il a ensuite rappelé qu'il était difficile de savoir à l'époque ce qui aurait dû être fait pour éviter le drame, alors qu'une partie des réponses et des connaissances nécessaires ne sont arrivées que plus tard. Il a également insisté à plusieurs reprises sur le fait qu'Air France avait transmis les rapports d'incident (ASR) à Airbus, que la compagnie avait demandé au constructeur si des mesures s'imposaient, et qu'elle s'était conformée à son avis de ne rien changer.
Mais en dépit de ce discours, et au contraire de Marc Parisis, Etienne Lichtenberger a plus facilement assumé une part de responsabilité. Une pensée synthétisée dans sa réponse à la question de savoir si Air France avait fait quelque chose de mal : « Air France n'a pas tout fait bien, mais je suis incapable de dire avec certitude quelles sont les formations et les éléments d'information qu'il aurait fallu donner pour être sûr que cet accident n'arrive pas. »
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