Les compagnies aériennes françaises à l'aube d'un big bang (Air France, Corsair, Air Caraïbes, Aigle Azur, XL Airways...)

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1167  mots
TUI a mandaté la banque Rothschild pour trouver un repreneur pour sa filiale Corsair
L'arrivée à Paris de Level, la filiale low-cost long-courrier de IAG, la maison-mère de British Airways, accentue la pression sur les compagnies françaises déjà mise par la low-cost Norwegian. De nombreux observateurs parient sur une consolidation au sein des compagnies françaises (hors Air France).

Grandes manœuvres en vue dans le transport aérien français. Tous les ingrédients ou presque sont réunis pour une recomposition d'envergure du ciel français en dehors du groupe Air France. L'arrivée aux côtés du géant chinois HNA dans le capital d'Aigle Azur de David Neeleman (une personnalité réputée dans le secteur, qui a fait fortune dans le transport aérien), la mise en vente de Corsair par son actionnaire TUI et le développement massif à Paris des low-cost long-courriers comme Norwegian depuis deux ans, et demain Level, la filiale du puissant groupe IAG, (composé également de British Airways, Iberia, Aer Lingus et Vueling) risquent de faire bouger les lignes dans l'Hexagone.

« Tous les scénarios sont possibles »

Et notamment le développement du low-cost long-courrier. Car, combinée à la présence de Norwegian, l'arrivée prochaine de Level à Orly fragilise les petites compagnies aériennes françaises, comme Corsair, XL Airways, La Compagnie, Aigle Azur, mais aussi les deux compagnies du groupe Dubreuil, Air Caraïbes et French Blue, même si ces dernières sont beaucoup plus solides financièrement. Tous, ont déjà renoncé à une activité moyen-courrier, verrouillée par les Ryanair, Easyjet et consorts, et sont spécialisés sur les vols longue distance, à l'exception d'Aigle Azur qui planche néanmoins aujourd'hui sur un développement sur le long-courrier.

Face au développement de Norwegian et Level, beaucoup d'observateurs parient à terme sur une vague de consolidation parmi ces compagnies  (hors Air France), qui ne comptent qu'une dizaine d'avions chacune, un nombre insuffisant pour réaliser des économies d'échelle. Si rien ne bouge, il y aura probablement du sang sur les murs.

« On va entrer dans une période où tout le monde va parler avec tout le monde. Tous les scénarios sont possibles », fait valoir un bon connaisseur du secteur.

XL Airways et La Compagnie se sont rapprochées en 2016

Le mouvement de consolidation a déjà commencé l'an dernier avec le rapprochement de XL Airways et de La Compagnie, deux compagnies en difficulté. La première parce qu'elle n'avait pas d'actionnaire, la seconde parce qu'elle perdait beaucoup d'argent.

Auparavant, la croissance externe était partie intégrante de la stratégie de développement du groupe Dubreuil, mais les discussions avec XL Airways, puis les négociations avec Corsair en 2015 n'ont pas abouti. Elles ont au contraire poussé le groupe à privilégier le développement interne avec la création en 2016 de French Blue, une low-cost long-courrier, aujourd'hui présente sur La Réunion et demain sur Papeete.

Des profils différents

Si ce mouvement de consolidation devait se concrétiser, toutes ces compagnies n'y entreront pas dans les mêmes conditions. « Il y en a des plus puissantes que d'autres », fait valoir un observateur.

Air Caraïbes peut compter sur une solidité financière que n'ont pas les autres compagnies françaises. Affichant de gros bénéfices, la compagnie antillaise est en plein renouvellement de flotte (elle a déjà reçu des A350) et aura donc les moyens de lutter contre la concurrence étrangère avec des avions neufs. Lancée il y a un an, French Blue, la compagnie soeur d'Air Caraïbes, n'est pas encore profitable mais peut néanmoins compter sur la solidité de son actionnaire, lequel dispose avec cette compagnie d'un outil lui permettant de lutter contre Norwegian et Level.

Des actionnaires de poids pour Aigle Azur

La santé des autres compagnies françaises est moins florissante. Mais parmi elles, Aigle Azur dispose désormais d'actionnaires de poids qui, s'ils le souhaitent, ont largement les moyens de mener une politique de développement d'envergure.

Corsair est en effet en vente, tandis que le couple XL Airways/La Compagnie reste fragile. Ses actionnaires, qui ont déjà injecté 70 millions d'euros depuis quatre ans, seront probablement sensibles à une éventuelle opération qui pourrait leur permettre de récupérer tout ou partie de leur investissement. L'identité de la totalité des actionnaires a toujours été tenue secrète, à l'exception de celle de Charles Beigbeder, mais comme l'avait révélé La Tribune, Motier, la holding de la famille Moulin, propriétaire des Galeries Lafayette, est le plus gros d'entre eux.

Parmi tous les scénarios sur la table, certains spécialistes parient sur un rapprochement à terme entre Aigle Azur, Corsair, XL Airways/La Compagnie. Il y a une dizaine de jours, Aigle Azur et Corsair ont annoncé un partenariat commercial qui va bien au-delà d'un simple accord de code-share. Il n'en faut pas plus à certains pour y voir la première pierre d'un rapprochement plus important.

Le rêve du "second pôle aérien français"

De là à imaginer la constitution du fameux "second pôle aérien français", qui alimente les discussions depuis le rachat d'UTA par Air France en 1990, il n'y a qu'un pas que certains n'hésitent pas à franchir. Une chimère qu'ont poursuivie en vain Alexandre Couvelaire lorsqu'il était à la tête d'AOM dans les années 1990, puis le groupe Swissair qui s'est retrouvé dans le capital d'AOM, Air Liberté et Air Littoral, toutes liquidées au début des années 2000.

Sur le papier, l'idée reste aujourd'hui séduisante. Plutôt que d'avoir 4 ou 5 compagnies disposant chacune d'une flotte de 10 avions, une seule compagnie avec 40 ou 50 avions serait plus efficace. Une sorte de Virgin Atlantic à la française. Mais le concept n'a jamais dépassé les cercles de discussions des experts.

« Il y a eu jusqu'ici trop d'ego parmi les dirigeants de ces compagnies, mais, dans l'adversité, les choses peuvent changer. »

On n'en est pas encore là. Ces réflexions interviennent au moment où la tendance est plutôt au développement en solo. French Blue va ouvrir San Francisco et Papeete l'an prochain, tandis qu'Aigle Azur planche sur le lancement d'une activité long-courrier. Après avoir convaincu les actionnaires d'investir dans le renouvellement de la flotte de La Compagnie, Laurent Magnin, le Pdg de XL et La Compagnie, prépare un plan stratégique pour doubler de taille d'ici à 5 ans.

Air France lance Joon

Quant à Air France, même si elle ne sera pas concernée par un éventuel mouvement de consolidation, elle sera forcément impactée par le développement de Norwegian et de Level, mais aussi par celui de French Blue et, d'une manière générale, par la guerre tarifaire que vont se livrer ces différents acteurs. C'est donc dans ce contexte que va naître Joon, une nouvelle filiale d'Air France à coûts réduits par rapport à la maison-mère, mais qui ne sera pas une low-cost. La direction ne croyant pas au low-cost long-courrier, Joon n'a pas été pensée pour lutter contre ce type de compagnies.

Cette offensive étrangère sur les compagnies françaises tombe juste au moment où le gouvernement va tenir des Assises sur le transport pour, notamment, améliorer la compétitivité des transporteurs tricolores.