Les droits de trafic des compagnies du Golfe gelés pendant encore longtemps en France ?

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  964  mots
Avec ce mandat, les droits de trafic des compagnies du Golfe vers les pays dans lesquels ils sont aujourd'hui limités (la France et l'Allemagne) pourraient être gelés durant le temps de la négociation.
Les 28 pays de l'Union européenne ont donné mandat à la Commission européenne pour négocier une libéralisation des services aériens entre l'Europe et les pays du Golfe, mais aussi la Turquie et les pays de l'Asean. Ces négociations entraînent le gel des droits de trafic avec les pays où la desserte par les compagnies du Golfe est limitée comme la France et l'Allemagne. Ces derniers pourront néanmoins négocier des accords en parallèle, à condition d'en faire la demande à Bruxelles.

Emirates (Dubaï), Etihad Airways (Abu Dhabi), Qatar Airways, Turkish Airlines, toutes ces compagnies qui donnent des cauchemars à Air France vont-elle voir leurs droits de trafic (autorisations de vols) vers la France gelés pendant quelques années encore?

Ciel ouvert

L'hypothèse n'est pas à exclure après le mandat accordé ce mardi à la Commission européenne par les 28 pays de l'Union européenne pour négocier un accord de ciel ouvert entre l'UE et le Conseil de coopération du Golfe (l'Arabie saoudite, le Koweit, Oman, Barheïn, et surtout le Qatar et les Emirats arabes unis dont composés de 7 émirats dont ceux d'Abu Dhabi et de Dubaï), mais aussi la Turquie et les pays de l'Asean, la zone de libre-échange de 10 pays d'Asie du sud-est. Ceci conformément, ou presque, à la demande de la Commission en décembre lorsqu'elle avait annoncé sa stratégie pour l'aviation européenne. A un gros détail près. La Chine, le Mexique et l'Arménie ne sont plus sur la liste. Les droits de trafic avec ces pays resteront négociés de manière bilatérale par chaque membre de l'UE.

Conditions de concurrence équitables

Concernant les pays du Golfe, l'enjeu concerne essentiellement la France et l'Allemagne, pratiquement les deux seuls pays européens qui ne disposent pas d'un accord de ciel ouvert avec les pays du Golfe. Dans quasiment tous les autres pays européens en effet, Emirates, Etihad, ou Qatar Airways ont un accès libre au marché.

La nature du mandat est encore confidentielle. Mais, selon une source européenne, une telle libéralisation (si les pays du Golfe sont d'accord pour négocier) implique la mise en place de plusieurs contreparties, notamment l'application des conditions d'une concurrence équitable en matière d'aides d'Etat, interdites en Europe. Il s'agit là d'une revendication d'Air France et de la Lufthansa relayée par la France et l'Allemagne, qui accusent les compagnies du Golfe de recevoir des subventions pour financer leur croissance vertigineuse et de fausser ainsi le marché.

"Les compagnies étrangères qui viennent sur notre sol faire concurrence à nos compagnies doivent respecter les mêmes règles. C'est la seule manière de protéger nos emplois, nos entreprises, nos aéroports et notre position de première puissance aérienne mondiale. À cet égard, les futurs accords doivent absolument prévoir une clause de concurrence loyale et de transparence financière, avec des mécanismes de contrôle mutuel", a déclaré dans un communiqué Franck Proust, député européen, membre de la commission des transports au Parlement européen.

Si l'attaque globalise l'ensemble des trois grosses compagnies du Golfe (propriétés à 100% de leur émirat respectif), un très bon connaisseur du dossier concède néanmoins que les accusations de subventions concernent beaucoup plus Etihad et Qatar Airways qu'Emirates (la plus puissante) et encore moins Turkish Airlines, une compagnie privée (l'Etat détient 49% du capital), cotée en Bourse qui "semble payer le coût du capital".

Durée des négociations limitée

Avec ce mandat, les droits de trafic des compagnies du Golfe vers les pays dans lesquels ils sont aujourd'hui limités (la France et l'Allemagne) pourraient être gelés durant le temps de la négociation. Les pays de l'Union européenne ont réussi à imposer à la Commission une durée limitée pour les négociations (4 ans pour l'Asean et la Turquie, 3 ans pour le Golfe). Au grand dam d'ailleurs de la Commission qui risque de dénoncer cette clause devant la Cour européenne de justice (CEJ) qui, selon elle, pourrait la bloquer dans d'autres dossiers.

Pour autant, si les droits de trafic seront gelés avec ce mandat accordé à la Commission, rien n'interdit à un Etat membre de l'Union européenne de négocier de manière bilatérale de son côté. En revanche, il devra au préalable demander l'autorisation à la Commission, laquelle peut refuser si elle juge que cela porte atteinte à sa propre négociation.

"Il y a de fortes chances que la Commission ne se laisse pas faire si ce scenario devait se présenter", explique un observateur.

Dans un tel scénario, tout dépendra du volume de droits qui pourraient être négociés en parallèle.

Prudence

L'expérience appelle néanmoins à la prudence. Ce sera en effet compliqué pour la France de refuser des droits de trafic aux pays du Golfe quand ces derniers passeront de prochains gros contrats de défense ou de grosses commandes d'avions à Airbus. L'exemple des vols supplémentaires obtenus l'an dernier par Qatar Airways dans la foulée de la commande du Rafale par Doha en témoigne. Quelques semaines plus tôt, le secrétaire d'Etat aux transports Alain Vidalies affirmait pourtant que les robinets des droits de trafic étaient coupés.

Air France va mieux

Ce sera d'autant plus compliqué que les arguments avancés il y a quelques années pour refuser toutes les demandes de vols supplémentaires des Emirats ne tiennent plus. Depuis que François Hollande est au pouvoir, la France n'a plus accordé de nouveaux droits à Emirates et Etihad (les derniers accords remontent à 2011), pour ne pas fragiliser davantage Air France, mal à point à l'époque, durant l'exécution du plan Transform achevé en 2014. Or depuis 2014, grâce à ses efforts et à la baisse du prix du carburant, Air France va beaucoup mieux.

Selon certaines sources aéroportuaires, la privatisation des aéroports de Lyon et de Nice pourrait également être un moyen d'accorder plus de vols aux compagnies du Golfe, dans la mesure où "c'est l'un des rares moyens de valoriser fortement ces deux aéroports". Au regard de la proximité des dépôts des offres, cela semble néanmoins peu probable.