Responsabilité de la SNCF dans la Shoah : l'accord entre la France et les États-Unis fait débat

Par Laszlo Perelstein  |   |  691  mots
Représentation d'un wagon de la SNCF transportant des prisonniers de guerre américains vers l'Allemagne.
Annoncé en grandes pompes en décembre 2014, l'accord entre les deux pays, visant notamment à mettre la SNCF à l'abri de poursuites judiciaires pour son implication dans la déportation de victimes de la Shoah, doit encore être approuvé par l'Assemblée nationale. Mais le texte s'est attiré les foudres de députés de tous bords, qui demandent au gouvernement des éclaircissements quant aux implications futures.

Examiné ce mercredi 27 mai par la Commission des Affaires étrangères étrangères, le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord prévoit la création d'un fond d'indemnisation de 60 millions de dollars destinés à certains victimes de la déportation depuis la France n'ayant bénéficié d'autres mesures compensation du fait de leur nationalité.

L'accord doit permettre de "clôturer toute procédure en cours ou à venir devant les juridiction américaines [...] au niveau fédéral, des États ou local" et ce alors qu'une nouvelle plainte a été déposée en avril aux États-Unis par des descendants de déportés. Ce n'est toutefois pas sur la dotation du fonds que se sont opposés les membres de la commission mais sur le sens donné au texte et ses implications.

"La France mise du même côté que l'Allemagne"

Dans le projet de loi, on peut en effet lire que l'accord concerne"les victimes des déportations consécutives aux persécutions antisémites perpétrées par les autorités allemand d'Occupation ou les autorités de fait dites "Gouvernement de l'État français"."

Députés du groupe socialiste -à l'image de l'ex-secrétaire d'État aux Anciens combattants Kader Arif et de Jean-Paul Bacquet- et de l'opposition se sont ainsi élevés contre ce texte, impliquant selon eux l'idée d'une "continuité" entre le gouvernement de Vichy et les suivants.

Pour François Fillon, ce texte est la "confirmation d'une crainte" née lors du discours de Jacques Chirac en 1995, au cours duquel le président de la République avait reconnu pour la première fois la responsabilité de la France dans la déportation de Juifs français, rompant avec ses prédécesseurs. L'ancien Premier ministre a également exprimé son "sentiment que la France franchit un pas qui une signification allant au-delà des indemnisations". "Qu'on se mette au niveau de l'Allemagne quand même...", a pour sa part commenté le député UMP Pierre Lelouche, rappelant, comme d'autres, que la France était dans le camp de vainqueurs en 1945.

La souveraineté de la France remise en question ?

Autre point de friction, le fonds en lui-même. L'accord stipule en effet que le montant du fonds -par ailleurs exprimé en dollars et non en euros- "sera déposé sur un compte du Département d'État américain jusqu'à sa répartition aux bénéficiaires".

Plusieurs députés se sont ainsi étonnés que le fonds ne soit pas géré par l'État français, dénonçant en même temps un problème de souveraineté de la justice américaine.

Pressions américaines

La pression des États-Unis se fait également ressentir au niveau de l'adoption du projet de loi. Entre l'annonce de l'accord et sa date de signature espéré, six mois à peine se sont écoulés, "du jamais vu" explique à La Tribune une collaboratrice d'une groupe politique à l'Assemblée nationale. Et d'ajouter que depuis deux mois, elle est interrogée au téléphone "deux à trois fois par semaine" par l'ambassade des États-Unis à Paris quant à l'avancement du projet de loi.

Certes, l'étude d'impact publiée sur le site de l'Assemblée nationale constate le caractère "très attendu" de l'accord, alors qu'est célébrée au cours de l'année 2015 le 70e anniversaire "de la libération des camps de concentration et d'extermination nazis et la fin de la Seconde Guerre mondiale". Mais cela suffit-il a justifier la hâte avec laquelle le gouvernement veut faire adopter le texte ?

Consciente du caractère "émotionnel" du sujet, la présidente de la commission, Élisabeth Guigou, a momentanément suspendu la séance, pour s'entretenir avec les députés de la majorité, avant d'annoncer une réunion supplémentaire après "éclaircissement" de certains points par le gouvernement d'ici au 16 juin, date à laquelle le texte sera examiné en séance public à l'Assemblée nationale