Supprimer certaines lignes aériennes au profit du train : pas si simple

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  830  mots
(Crédits : Reuters)
Pour réduire les émissions de CO2, le député de la Somme, François Ruffin (La France Insoumise), va présenter une proposition de loi visant à interdire de nombreuses lignes aériennes entre des villes régionales et Paris.

Voici une proposition de loi qui illustre bien la nécessité de prendre en compte tous les paramètres quand on appréhende la question environnementale du transport aérien. François Ruffin, député de la Somme (La France Insoumise), a déposé une proposition visant à interdire l'avion sur toutes les routes sur lesquelles le train "permet un temps de trajet équivalent au temps de trajet de l'avion + 2h30".

Sont ainsi concernées, dans une liste « non exhaustive », les lignes Paris-Bruxelles (55 minutes en train), Paris-Marseille (3h05), Paris-Rennes (1h25), Paris-Lyon (2h), Paris-Nantes (2h), Paris-Brest (3h25), Paris-Bordeaux (2h), Paris-Montpellier (3h09) Paris-Bâle-Mulhouse (2h40), Paris (en fait Beauvais)-Béziers (4h), Paris-Agen (3h13), Paris-Clermont-Ferrand (3h17), Paris-Lorient (2h57). Curieusement, la ligne Paris-Londres (2 heures) n'est pas concernée. Notons que ces temps de parcours en train correspondent au meilleur temps de parcours dans la journée qui, parfois, ne concernent que quelques trains. Ainsi, selon le site Ouisncf, seuls deux des 16 TGV entre Paris et Marseille proposent une durée du trajet de 3h05 mentionnée dans la proposition de loi. La formule retenue par les députés mériterait d'en tenir compte. Sans le dire, même si cela occulte le rôle d'Orly dans l'aménagement du territoire, elle semble reconnaître néanmoins l'intérêt de l'aviation pour les territoires puisqu'elle exclut les lignes transversales (région-région) sur lesquelles les voyages en train sont très longs.

Les passagers iront prendre leur vol long-courrier ailleurs en Europe

Au-delà, plusieurs lignes posent question dans cette liste. Il s'agit de Marseille, de Lyon, de Nantes et de Bordeaux. Non pas parce que le train n'est pas pertinent sur ces axes-là. Bien au contraire. Il l'a prouvé en raflant une part importante du trafic, d'autant plus élevée d'ailleurs que la durée du voyage est courte. Ces lignes interpellent parce que le projet de loi oublie certaines caractéristiques élémentaires du transport aérien, à savoir que le trafic de passagers est composé d'un trafic dit de « point-à-point » et d'un trafic de correspondance. Autrement dit, ces lignes aériennes drainent non seulement des passagers qui se rendent à Paris, mais aussi des passagers qui se rendent à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle pour prendre ensuite une correspondance long-courrier. Le tiers de l'offre d'Air France entre Paris et Marseille concerne Roissy (6 sur 19), dont une partie transporte des passagers en correspondance.

Or, si les passagers aériens de point-à-point basculeront de facto vers le train, il est loin d'être acquis qu'ils feront un tel choix pour aller à Roissy pour transiter sur un vol long-courrier. Certains risquent tout simplement de prendre des avions de Lufthansa, British Airways et d'autres pour aller prendre leur vol long-courrier au départ de Francfort, Munich, Londres, Madrid... Ce phénomène n'est pas nouveau, mais il serait évidemment accentué en cas de suppression des lignes d'Air France entre Paris à Marseille, Lyon, Nantes ou Bordeaux ou Montpellier (avec des conséquences sur l'emploi à Air France et dans les aéroports). Ces plateformes aéroportuaires sont en effet desservies par des compagnies étrangères pouvant rabattre les passagers vers d'autres hubs européens. Ce qui n'est pas le cas de toutes les autres inscrites dans ce projet de loi.

Sans ligne aérienne vers Paris, le siège social de Michelin menacé ?

Autre cas qui peut susciter débat, celui de Clermont-Ferrand. La capitale auvergnate est reliée à Paris à raison de 6 vols par jours avec un temps de vol de moins d'une heure, quand la SNCF assure 9 liaisons quotidiennes directes avec des trains Intercités en 3h17 pour le meilleur temps de parcours quand il n'est pas en retard, ce qui est très fréquent sur cette ligne et exaspère bon nombre d'utilisateurs.

Ce nombre relativement élevé de vols entre les deux villes s'explique moins par le volume du trafic sur cette route que par la présence de Michelin à Clermont-Ferrand, non seulement de son usine, mais aussi de son siège social. En effet, tous les vols entre Clermont-Ferrand et Paris permettent aux dirigeants et aux cadres de l'entreprise de se rendre à Paris rapidement, mais aussi de se rendre facilement aux quatre coins du globe via Roissy. Même chose pour tous les dirigeants et cadres des divisions du groupe basées à l'étranger ou des  fournisseurs et partenaires étrangers, qui viennent rencontrer la direction du groupe.

Et par conséquent, une suppression de cette ligne serait évidemment préjudiciable pour Michelin qui, rappelons-le, est la seule entreprise du CAC 40 à avoir son siège social en région, et par ricochet pour l'économie clermontoise. Forcément le maintien des organes de décision et d'un certain nombre d'activités de Michelin à Clermont-Ferrand se poserait. "Le maintien du siège de Michelin à Clermont-Ferrand ne se justifie que par la présence d'une offre aérienne vers Paris conséquente", assure un expert aérien. Surtout, avec un train aussi peu performant sur cette ligne.