Taxis-VTC : la guerre des statistiques fait rage

Par Mounia Van de Casteele  |   |  1180  mots
La guerre n'est pas entre taxis et VTC, mais bien entre le groupe Rousselet, qui détenait jusqu'à présent le monopole de la réservation de taxis, et Uber.
Dans une étude commandée entre autres par l'Unit, organisation professionnelle présidée par Nicolas Rousselet, propriétaire de G7 et de Taxis Bleus, la société Facta affirme que le marché est saturé et que les voitures de transport avec chauffeur (VTC) "prennent des parts de marché" aux taxis. Une autre étude, de 6-t, montre que la demande a changé de nature. De quoi relancer la controverse sur les effets de l'arrivée d'Uber à l'heure d'une possible nouvelle régulation du secteur.

"Rétablir une vérité souvent bafouée par des études diverses et variées commanditées par Uber" : l'étude intitulée "Taxis et VTC dans les grandes métropoles", présentée ce mardi 7 juin par Jean-Charles Simon, économiste fondateur de la société Facta, spécialiste de la statistique et de l'analyse économique, affiche d'emblée la couleur. L'enquête, commandée par le lobby des taxis, veut mettre en évidence "un phénomène de substitution (qui) s'est opéré sur un marché saturé, aux dépens des taxis". Chiffres à l'appui, elle se concentre uniquement sur "le cas parisien". Celui-ci intéresse particulièrement G7 qui n'est pas présent en province, hormis via sa filiale eCab, qui, elle, noue des partenariats avec les acteurs locaux.

L'analyste Jean-Charles Simon était entouré des représentants des entreprises commanditaires : Yann Ricordel, patron des Taxis Bleus pour l'Unit, l'Union nationale des industries du taxi, organisation professionnelle dont le président n'est autre que Nicolas Rousselet, patron du groupe Rousselet, propriétaire de G7 et Taxis Bleus. Il y avait également Dominique Jamois, vice-président de France Limousines Association, au titre de la Fédération des voitures de tourisme avec chauffeur et de la Chambre syndicale nationale des entreprises de remise et de tourisme (CSNERT), et enfin Gilles Boullin, avec la casquette du groupement coopératif Gescop.

Avant la loi Grandguillaume, la loi Thévenoud

Tous étaient réunis dans le but d'exposer au grand jour une nécessité, qui se pressentait seulement jusqu'alors, tant que l'analyse statistique ne l'avait pas encore mathématiquement démontrée : celle de l'impérative régulation du secteur du transport public particulier de personnes (TPPP), puisque l'offre de taxis est excédentaire. Voici la chose scientifiquement démontrée : chiffres à l'appui, avec de savants systèmes d'équations en annexes, l'étude réalisée par Jean-Charles Simon montre que le marché est saturé, que la demande de TPPP est stable, que les VTC prennent des parts de marché aux taxis et que la voie publique est un bien rare qu'il faut à tout prix préserver par un numerus clausus.

Bref. "Il faut impérativement faire appliquer la loi Thévenoud", qui était une loi "tout à fait équilibrée", sans quoi, les pouvoirs publics risquent de laisser la profession de taxis courir vers une inévitable paupérisation, explique Jean-Charles Simon, qui a par ailleurs publié une tribune sur "les mirages de l'économie du partage", il y a près d'un an, dans laquelle il expliquait déjà peu ou prou ce qui figure dans l'étude de 101 pages. Cela va également dans le sens de bon nombre de ses tweets également.

Mais pourquoi donc publier une telle étude, alors que le médiateur dans le conflit taxis/VTC, le député socialiste Laurent Grandguillaume, est sur le point de déposer une proposition de loi ayant pour but de réguler le marcher en contentant tous les acteurs du secteur ?

Un combat politique

Parce que les pouvoirs publics ne font rien, déplorent les commanditaires de l'étude. Yann Ricordel insiste:

"Il fallait mener un combat politique, car cela devient quasiment un courant politique."

L'enquête doit être transmise au ministère des Transports, afin que le message passe, sachant que la dernière grève des taxis, au mois de janvier, ne semble pas avoir eu l'effet escompté... "Les taxis ne réclament rien, à part l'application de la loi", expliquait à l'époque Serge Metz, le président de G7. Résultat, un nouveau médiateur avait été nommé, avec pour mission la résolution rapide du conflit à travers des solutions concrètes à mettre en place avant la fin de l'année. C'est d'ailleurs ce à quoi travaille toujours Laurent Grandguillaume, qui avait commencé par envoyer des lettres de mise en demeure aux plateformes, et qui fait tout pour que le calendrier soit tenu. En attendant, les contrôles se sont durcis pour les VTC. Mais pas assez aux yeux des taxis, ou du moins des plateformes type G7 et Taxis Bleus.

Guerre de monopoles...

Car la guerre n'est pas tant entre taxis et VTC, qu'entre Uber et le groupe Rousselet, qui détenait jusqu'à présent le monopole de la réservation de taxis. Autrement dit, entre un monopole en devenir et un monopole en train de céder sa place... L'Unit prévient d'ailleurs clairement à cet égard:

"On a un concurrent qui a vocation à établir un monopole mondial au niveau des transports, refusant toute règle établie par les pouvoirs publics."

C'est un constat largement partagé par de nombreux observateurs du secteur. Parmi lequel, Nicolas Louvet, directeur de l'institut 6-t spécialisé dans les mobilités, qui se dit las de cette guerre politique. Et préfère recentrer une fois de plus le débat sur la question de la mobilité, justement. "On ne peut pas se contenter d'étudier l'offre en faisant l'impasse sur la demande et les usages", analyse l'expert, selon lequel les VTC ont augmenté la demande sur le marché, tandis que l'étude de Facta évoque une stabilité du nombre de déplacements en TPPP par jour et par personne.

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Quoi qu'il en soit, dans une autre enquête (téléchargeable en ligne ici), 6-t a analysé les origines et destinations:

"On remarque qu'elles sont différentes de ce que l'on avait l'habitude d'observer auparavant. Ainsi, les motifs et les temporalités changent. Les déplacements se font plus pour des achats, dans le cadre de loisirs, et en famille, quand les trajets en taxi concernent majoritairement des déplacements effectués dans un cadre professionnel. Et surtout, les trajets en VTC se font là où il n'y a pas d'offre alternative."

Nicolas Louvet estime en outre que les risques de congestion pointés du doigt dans cette enquête Facta ne sont pas justifiés:

"Si le trafic automobile a augmenté de 25% (l'un des calculs de l'étude) à cause des VTC, les auteurs oublient de dire que l'essentiel des déplacements se fait le week-end ou à des heures auxquelles il n'y a aucun problème de congestion : 70% des trajets se font après 20h et 30% après minuit. En revanche, plus de la moitié des déplacements du taxi se font en journée et en semaine."

...au détriment des chauffeurs

Avant de conclure:

"Il faut trouver des solutions pour ne pas passer d'un monopole à l'autre. Clairement, les plateformes ont mis en péril le monopole de la G7. Cela conforte l'idée que le monopole de la G7 n'est pas bon. Et c'est une opportunité pour les chauffeurs de taxis qui en ont assez. Reste à étudier les véritables conditions de travail des chauffeurs de taxi."

Ce que l'institut s'apprête d'ailleurs à faire dans une très prochaine étude, qui mettra toutes les données récoltées en accès libre.

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(Mise à jour le 9 juin)