Toyota investit dans un Uber en plein doute

Par Nabil Bourassi  |   |  742  mots
Les marchés souhaitent qu'Uber se concentre sur son déploiement commercial plutôt que sur la R&D autour de la voiture autonome. (Crédits : Tyrone Siu)
Le groupe automobile japonais tente de rattraper son retard dans les nouvelles mobilités mais également dans la voiture autonome, tandis qu'Uber doit ajuster son modèle avant son introduction en Bourse prévue en 2019.

C'était il y a un an. Dara Khosrowshahi reprenait le frêle flambeau que tenait Travis Kalanick, coupable d'avoir terni l'image d'Uber mais aussi de n'être toujours pas parvenu à faire gagner de l'argent au « modèle ».

L'ancien boss d'Expedia s'est donné deux ans pour faire entrer Uber en Bourse. Pour cela, il doit faire la démonstration de la pertinence du modèle. Car si la plateforme VTC est estimée à plus de 70 milliards de dollars, elle ne gagne toujours pas d'argent, et ce malgré la forte croissance de l'activité : + 63% au deuxième trimestre à 2,8 milliards de dollars. La perte, elle, a baissé de seulement 16% et atteint encore le chiffre de 900 millions de dollars, soit un tiers du chiffre d'affaires.

Des frais R&D titanesques

En réalité, les comptes d'Uber sont englués dans des frais de développement titanesques. Les investissements dans la R&D de la voiture autonome représentent jusqu'à 30% des pertes du groupe. Pour le spécialiste des VTC, la voiture autonome incarne pourtant l'avenir. De nombreuses études nourrissent cette conviction, comme celle du Boston Consulting Group qui avait établi le scénario du règne des robot-taxis. Selon cette étude, ce taxi sans chauffeur permettra d'amortir plus largement le coût d'achat et d'exploitation grâce à une utilisation plus intensive, et ainsi obtenir un coût au kilomètre si compétitif qu'il rendrait la propriété automobile très onéreuse.

Pour Uber, la voiture autonome est donc stratégique et il veut être en première ligne. Il a d'ailleurs déjà lancé des essais dans plusieurs villes américaines en collaboration avec le suédois Volvo, qui rêve, lui aussi, de faire partie du peloton de tête des constructeurs automobiles en matière de voiture autonome. Mais Uber a besoin de diversifier ses sources et ses partenaires. D'où l'arrivée de Toyota qui vient d'annoncer un investissement de 500 millions de dollars dans Uber. Le groupe automobile, premier mondial quasi-ex-aequo avec Volkswagen, cherche à combler son retard dans la voiture autonome mais également dans les nouvelles mobilités.

"Après un démarrage peut-être un peu difficile, Toyota met les bouchées doubles dans la technologie autonome", rappelle Hans Greimel, expert d'Automotive News basé au Japon, cité par l'AFP.

Pour Uber, les analystes sont moins convaincus. Ils estiment que la société n'a pas nécessairement besoin d'investir dans cette technologie, les constructeurs pouvant très bien le faire à sa place. Ils poussent donc Dara Khosrowshahi à céder cette activité très gourmande en capitaux pour se concentrer sur le déploiement commercial d'Uber. L'ancien patron d'Expedia s'est pour le moment contenté de revendre l'activité camion autonome, acquise en août 2016 pour 700 millions de dollars.

Un leadership de plus en plus contesté

D'autant que le leadership mondial d'Uber est de plus en plus contesté par des acteurs locaux. Le groupe américain a dû battre en retraite dans plusieurs marchés majeurs comme la Chine. Même aux États-Unis, il se fait tailler des croupières par Lyft, son concurrent direct. De petites startups se positionnent avec des commissions beaucoup plus faibles (15% en général contre 25% pour Uber) afin d'attirer un maximum de chauffeurs. Pour cela, elles déploient des structures de coût beaucoup plus légères et se contentent d'un développement très centralisé de leur algorithme.

Uber doit également faire face aux complications réglementaires qui, partout, lui donnent des sueurs froides comme à Londres où une décision de justice (un recours en appel est en cours) pourrait obliger l'américain à salarier ses milliers de chauffeurs, où encore à New York où la ville a décidé de limiter les licences VTC et impose un salaire minimum.

L'arrivée de Toyota dans le capital d'Uber ne change pas fondamentalement la donne. Elle permet simplement de soutenir temporairement cette stratégie R&D face à des marchés sceptiques. Mais pour Dara Khosrowshahi, l'objectif pour tenir l'engagement d'IPO tient plus à la capacité d'Uber à dégager un free cash flow positif qu'à devenir rentable au moins à court terme. Autrement dit, le patron de ce qui est encore le numéro un mondial des plateformes VTC va-t-il prendre de nouveaux arbitrages en matière d'investissement pour privilégier le développement commercial et reléguer la R&D à des partenariats externalisés ? Uber devra trancher dans les prochains mois s'il veut tenir son engagement d'IPO en 2019.