Transport aérien : comment absorber un trafic qui double tous les 15 ans

Par Fabrice Gliszczynski  |   |  1030  mots
Dans certaines régions du monde, notamment dans les pays développés, la construction de nouveaux aéroports, de nouveaux terminaux ou de nouvelles pistes devient extrêmement difficile en raison de l'opposition des riverains et des associations environnementales, mais aussi... des difficultés que rencontrent les aéroports pour les financer.
La croissance phénoménale du transport aérien pose de sérieux défis pour pouvoir accueillir d'ici à 30 ans un nombre de passagers aériens qui sera largement supérieur à celui de la population mondiale. Sans nouvelles capacités aéroportuaires, sans nouveaux systèmes performants de contrôle aérien et sans un système de formation massif de professionnels (pilotes, aiguilleurs du ciel...), le secteur sera incapable d'absorber cette croissance. Ce thème sera l'un des débats du Paris Air Forum qui se tiendra le 21 juin au Toit de l'Arche de La Défense à Paris, avec Alexandre de Juniac, directeur général de l'Association internationale du transport aérien (IATA), Angela Gittens, directrice générale de l'Airports Council International, Maurice Georges, directeur des services de la navigation aérienne à la DGAC, et Philippe Crébassa, directeur adjoint de l’École nationale de l'aviation civile (ENAC).

Les chiffres donnent le tournis. Selon l'Association internationale du transport aérien (IATA), plus de 1,5 milliard de passagers avaient pris l'avion en 2003. Quinze ans plus tard, fin 2018, le trafic aérien mondial avait plus que doublé pour atteindre 4,3 milliards de passagers. Et il devrait encore quasiment doubler d'ici une quinzaine d'année pour pour atteindre près de 8 milliards de passagers en 2036, puis approcher les 16 milliards à l'horizon 2050 et, par conséquent, dépasser pour la première fois dans l'histoire du transport aérien la population mondiale, attendue à près de 9 milliards selon les experts.

Croissance de l'économie

Portée par la croissance de l'économie mondiale, elle-même tirée par les pays émergents comme la Chine ou l'Inde, mais aussi par la libéralisation accrue des marchés aériens qui, en permettant la création de nouvelles compagnies, accentue la concurrence, le transport aérien mondial doit croître en moyenne de 3% par an au cours des 20 prochaines années selon l'IATA (si les politiques conditionnant le transport aérien restent inchangées).

Cette croissance phénoménale n'est pas sans poser problème. Les interrogations sont grandes en effet sur les capacités du transport aérien de l'absorber. Y aura-t-il assez d'avions pour transporter tous ces passagers? Assez d'aéroports, d'aérogares, de pistes d'atterrissage pour les accueillir? Le contrôle aérien sera-t-il suffisamment efficace pour traiter une flotte d'avions appelée à doubler d'ici à vingt ans? Pourra-t-on former en nombre suffisant les personnels du transport aérien pour accompagner cette croissance, notamment des pilotes et les contrôleurs aériens?

L'usine du futur pour augmenter la production d'avions

Une chose est sûre : dans la situation actuelle, l'écosystème est incapable d'absorber une telle croissance. Ce n'est pas le manque d'avions qui fera défaut. Les hausses de cadences de production prévues par Airbus et Boeing au cours des prochaines années (plus de 1.000 avions chacun) et les capacités d'aller au-delà par la suite par l'implantation de nouvelles technologies liées à l'industrie du futur, permettront de transporter tous les passagers attendus.

D'autant plus que l'emport moyen des avions augmente et que les compagnies ont encore des progrès à faire dans l'optimisation des programmes de vols qui permet à un avion d'effectuer plus de vols. Enfin, si besoin était, les compagnies aériennes pourront toujours prolonger un peu la durée de vie de leur flotte. C'est en revanche du côté des aéroports et du contrôle aérien que les choses sont plus inquiétantes. Alexandre de Juniac, le directeur général de l'Association internationale du transport aérien (IATA), n'hésite pas à parler de "crise des infrastructures" pour parler des problèmes de sous-capacité aéroportuaire et du contrôle aérien.

De plus en plus d'aéroports congestionnés

Dans certaines régions du monde, en effet, notamment dans les pays développés, la construction de nouveaux aéroports, de nouveaux terminaux ou de nouvelles pistes devient extrêmement difficile en raison de l'opposition des riverains et des associations environnementales, mais aussi des difficultés que rencontrent les aéroports pour les financer. Ailleurs, les projets tardent à être décidés et ils ne sortent pas de terre suffisamment vite pour suivre le rythme du trafic. De facto, si rien ne bouge, le nombre d'aéroports congestionnés va augmenter fortement. Avec tous les problèmes d'accès au marché à la clé pour les nouveaux entrants sur un aéroport.

Pour autant, certains signes sont encourageants comme la décision du gouvernement britannique de lancer la construction d'une troisième piste à Heathrow. Ils montrent que les États sont capables de prendre des décisions quand ils voient que la connectivité et la croissance de l'économie de leur pays est en jeu. Problème, les décisions sont rarement anticipées et sont le plus souvent prises quand on ne peut plus faire autrement.

"Cette crise d'infrastructures exige des décisions rapides. Si le système aérien veut s'accommoder d'un doublement du trafic à l'horizon 2035, il faut que les décisions soient prises maintenant", explique Alexandre de Juniac.

La problématique concerne également le contrôle aérien. En Europe, le "ciel unique", qui consiste à unifier le contrôle aérien européen, est une véritable arlésienne. Ce n'est pas la seule région confrontée à des tensions capacitaires. Le Moyen-Orient, l'Asie du Sud-Est, les États-Unis sont dans le même cas. Pour autant, Maurice Georges, directeur des services de navigation aérienne français fait preuve d'optimisme.

"Le mur de la capacité est évoqué depuis 20 ans et les progrès technologiques ont toujours permis de l'éviter", explique-t-il.

Pour lui, il y a trois critères à remplir pour continuer sur cette voie : "des systèmes de contrôle modernes, des effectifs suffisants, et la mise en place d'une sorte de 'Waze' du ciel aérien pour optimiser la circulation aérienne".

Former en masse des professionnels du transport aérien

Dernier point - et non des moindres : quand bien même les infrastructures parviendraient à absorber la croissance du trafic, se pose la question de la capacité à former des professionnels du secteur en très grand nombre, alors que, déjà, le manque de pilotes et de contrôleurs aériens se fait sentir.

Selon Fang Liu, la secrétaire générale de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), il faudra "au moins 620.000 pilotes" pour exploiter les appareils de plus de 100 places d'ici à 2036 et "80% des ces futurs aviateurs seront des nouveaux pilotes qui ne volent pas encore".

"C'est la même histoire pour les prochains contrôleurs aériens, le personnel de maintenance et autres techniciens", a-t-elle ajouté.

Certains estiment que l'automatisation et les nouvelles technologies dans les centres de contrôle aérien et dans les cockpits permettraient de réduire ces besoins. Airbus et Boeing travaillent en effet tous les deux sur le passage du pilotage de deux pilotes à un seul. Et ce, dès le début de la prochaine décennie.

Lire ici : Un seul pilote dans les Airbus et les Boeing, c'est pour bientôt, selon Thales