Transports en commun : les Français (toujours) champions de la fraude !

Par Mounia Van de Casteele  |   |  1145  mots
Le fait de frauder dans les transports en commun serait acceptable aux yeux de 52% des personnes interrogées.
Le taux de fraude, de 8,9% en France, dépasse largement la moyenne de 3,1% des grandes capitales occidentales.

La fraude dans les transports n'est pas loin d'être un sport national à en croire les chiffres de l'observatoire des mobilités présentés jeudi par la fédération professionnelle du secteur, l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP). Il ressort en effet de cette enquête réalisée par l'Ifop pour l'UTP un taux de fraude de 8,9% en France, contre une moyenne de 3,1% dans les grandes capitales occidentales... Ce n'est certes pas nouveau, mais les chiffres peuvent surprendre. Rappelons à cet égard la célèbre photo immortalisant l'ancien président de la République Jacques Chirac en train de sauter joyeusement par-dessus le tourniquet du RER A en 1980. Résistance française au conformisme ? En tout cas le fait de frauder dans les transports semble bel et bien ancré dans les usages.

Cette pratique semble même trouver grâce aux yeux des Français. La fraude serait ainsi acceptable aux yeux de 52% des personnes interrogées. Et ce, pour plusieurs raisons, comme lorsque les bornes ou distributeurs de titres de transports sont en panne, quand les usagers ont des revenus trop faibles, pour effectuer des trajets de petite distance, parce que le prix est jugé trop élevé, par manque de temps pour acheter un billet, ou encore parce qu'il n'y a pas de contrôles.

Le profil du fraudeur

Pourtant, le profil des fraudeurs ne ressemble pas forcément à celui qu'on peut imaginer. "Il y a certes le cliché de celui qui n'a pas les moyens de frauder, or les enquêtes montrent qu'il s'agit de gens comme vous et moi. C'est là toute l'ambiguité des Français qui veulent à la fois de l'autorité et de la protection", s'amuse, Jean-Pierre Farandou, président du groupe Keolis et de l'UTP.

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Quoi qu'il en soit, 29% des Français souhaiteraient en priorité voir les transports publics gratuits pour tous, devant l'eau (26%), l'énergie (18%), la cantine scolaire (8%) ou La Poste (3%). Les personnes interrogées pensent d'ailleurs que c'est l'un des services dont le prix a le plus augmenté ces dix dernières années devant celui de l'eau, de l'enlèvement des ordures, de la cantine scolaire ou universitaire, de La Poste, ou même du gaz et de l'électricité...

Un prix relativement bas en Europe

Pour autant, le prix n'est pas parmi les plus chers d'Europe et d'ailleurs. Loin s'en faut. Il serait même relativement bas au vu du nombre de lignes proposées. Le prix d'un ticket de métro à Paris (14 lignes) est ainsi de 1,90 euro, comme à Lisbonne (4 lignes) contre 2,10 euros à Bruxelles (6 lignes), 2,70 euros à Berlin (10 lignes), 3,70 euros à Stockholm (3 lignes) ou encore 7,2 euros à Londres (14 lignes) ! C'est à Rome (où le taux de TVA pour les transports est de 10% comme en France) et à Madrid que le prix est le plus bas: 1,50 euro.

Et surtout, son prix n'a pas augmenté, contrairement à la TVA (10%), rappelle l'UTP: "Pourquoi n'y a-t-il pas un taux de 5,5% ? La TVA a augmenté, mais pas le prix des transports en commun". Un service public gratuit pour tous justifie un taux de 5,5% pour les services de première nécessité, tels que l'alimentation, les logements sociaux, les abonnements de gaz et d'électricité, les repas de cantine scolaire, mais également la culture (livres, théâtre, cinéma, concerts). Il semblerait donc tout à fait justifié à l'UTP que les transports publics soient logés à la même enseigne. Et de pointer du doigt un trou de quelque 300 millions d'euros pour leur financement. La fraude représente un manque à gagner de 500 millions d'euros, sur lesquels, l'objectif de l'UTP est de récupérer au moins 200 millions.

Autant dire que la gratuité n'est pas une solution envisageable à ses yeux. D'autant que "pour donner une valeur à un service il faut qu'il ait un prix", estime-t-elle. Au niveau du service, 48% des sondés trouvent que les transports en commun ne se sont pas améliorés en matière de sécurité. Ce qui corrobore d'ailleurs la récente étude de la jeune pousse de transport nocturne entre particuliers Heetch, selon laquelle les usagers de l'application évoqueraient un certain sentiment d'insécurité la nuit dans les transports en commun.

Plusieurs solutions sont envisageables. Certaines, technologiques, comme la vidéo-surveillance, mais rien ne remplacera la présence humaine à bord des véhicules, plus rassurante pour les usagers, selon l'UTP.

Une fréquentation en hausse

Toujours est-il que malgré ces petits "défauts", les Français restent de grands utilisateurs des transports publics, avec une fréquentation en hausse entre 2014 et 2015 quelle que soit la taille du réseau. 69% des Français les utilisent régulièrement, dont 67% au moins deux fois par semaine. Dans le détail, le bus arrive en tête des modes de transports fréquentés (69%), devant le métro (55%) et le tram (50%). Suivent le RER (25%) et le TER (14%) avec des taux en baisse par rapport aux précédentes années, contrairement aux trois premiers.

Cela se traduit également par le fort taux de recommandation recensé par l'enquête de l'UTP : 91%. "Un tel taux ferait rougir pas mal de marques commerciales", sourit Jean-Pierre Farandou. "C'est très positif!"

Bref, l'UTP souhaite donc revoir la grille tarifaire dans son ensemble. Et propose de passer d'un mode "statutaire" (des tarifs en fonction du statut "étudiant"", "retraité", etc.) à un mode "solidaire", "plus juste", qui serait basé sur les revenus de l'usager ou de son foyer, quitte à ce que sa mise en place mette 20 ans. Une alternative d'ores et déjà testée dans plusieurs villes telles que Nantes, Brest, Lille ou Strasbourg et qui s'avérerait plutôt concluante, d'après les résultats constatés par l'UTP, avec un effet "volume" et un effet "revenus", moyennant toutefois une certaine "pédagogie". Cela permettrait au passage de récupérer quelque 800 millions d'euros. Ajoutés à cela les 200 millions escomptés par une meilleure lutte contre la fraude, cela permettrait de glaner au total un milliard d'euros. Sachant qu'en 2015, les coûts d'exploitation du transport public urbain et ferroviaire ont représenté 8 milliards d'euros.

L'UTP suggère en outre de redonner ses lettres de noblesses au secteur. Ce qui passerait entre autres par l'attribution d'un Ministère aux Transports, avec un secrétariat d'Etat dédié à la mobilité durable, déplorant un unique secrétariat d'Etat pour le secteur, qui paraît ainsi être relégué à un rang cadet des soucis du gouvernement. "C'est pourtant un secteur dans lequel les entreprises françaises sont parmi les leaders mondiaux". Il ne faut donc pas l'oublier ni le négliger estime l'UTP, qui rappelle au passage le levier que cela représente en termes d'emplois. D'où la mise en place des états généraux de la mobilité pour replacer les transports au cœur du débat public, surtout en cette période électorale.