Après les feux de forêt, l'Australie se déchire entre réduction des émissions et préservation des emplois

Par Jérôme Marin  |   |  732  mots
(Crédits : Social Media)
Le gouvernement estime qu'il serait "irresponsable" de s'engager, dès aujourd'hui, à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. Il met en avant les emplois générés par le charbon et le gaz.

Meurtrie par de gigantesques feux de forêt, qui ont ravagé plus de dix millions d'hectares en six mois et tué au moins 33 personnes, l'Australie se déchire désormais sur la réponse à apporter au réchauffement climatique. En ligne de mire: le charbon et le gaz naturel liquéfié (GNL), deux énergies fossiles, émettrices de gaz à effet de serre, encore très développées dans le pays. Mais qui représentent un important vivier d'emplois.

Le débat autour cette question s'est encore envenimé la semaine dernière, lorsque que le parti travailliste, principale force d'opposition au gouvernement libéral, s'est prononcé en faveur d'un objectif de neutralité carbone en 2050, en ligne avec les ambitions fixées en 2015 par l'accord de Paris sur le climat visant à limiter la hausse des températures. Un objectif sur lequel Scott Morrison, le premier ministre victorieux des élections de 2019, ne souhaite pas encore officiellement s'engager.

"Sacrifice pour les Australiens"

La proposition du parti travailliste est "démesurée et irresponsable", a justifié Mathias Cormann, le ministre des Finances, interrogé par la chaîne de télévision Sky News. Selon lui, cette mesure ne permettrait pas de "résoudre le problème". Et ne résulterait donc que "sur un sacrifice pour les Australiens sans aucun bénéfice environnemental". Pourquoi ? Parce que réduire la production de charbon et de gaz en Australie ne reviendrait "qu'à "déplacer des émissions vers d'autres régions du globe", et même à "les augmenter", assure le ministre australien.

Ce raisonnement se base sur le fait que l'Australie exporte l'essentiel de sa production de charbon et de gaz naturel liquéfié. Le pays est même le premier exportateur mondial de ces deux énergies fossiles, principalement vers le Japon, la Chine, la Corée du sud et l'Inde. D'un côté, sans le charbon australien, ces pays devraient augmenter leur production nationale pour compenser. De l'autre, sans le GNL australien, ils devraient produire davantage d'électricité dans leurs centrales à charbon, au bilan carbone est bien plus élevé. "Nos exportations de GNL permettre de réduire les émissions mondiales en remplaçant des énergies très émettrices à l'étranger", argue ainsi Angus Taylor, le ministre de l'énergie.

Le gouvernement australien souligne par ailleurs que le pays devrait tenir les engagements pris lors de la COP 21 à Paris: une réduction comprise entre 26% et 28% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 2005. Mais une partie de cette baisse devrait provenir de l'utilisation de crédits carbone obtenus dans le cadre du protocole de Kyoto signé en 1997 - un artifice comptable que seule l'Australie souhaite utiliser. En outre, l'autorité australienne pour le changement climatique préconise, elle, une baisse allant de 40% à 60% des émissions d'ici en 2030.

Enjeu électoral

Surtout, les émissions de gaz à effet de serre ont cessé de baisser depuis 2013, en raison notamment de la forte hausse de la production de GNL. Et le parti travailliste d'assurer qu'elles devraient repartir à la hausse d'ici à 2030 en cas de poursuite de la politique actuelle. Critiqué pour son inaction climatique, et encore plus après les récents feux de forêt, le gouvernement Morrison a déjà promis de présenter une nouvelle "stratégie à long terme" avant la prochaine COP, qui se tiendra en novembre à Glasgow. Tout en promettant de protéger le charbon.

Les enjeux économiques sont immenses. L'an passé, les exportations de GNL ont dépassé la barre des 50 milliards de dollars australiens (30,6 milliards d'euros). Et celles de charbon la barre des 60 milliards (36,5 milliards d'euros). Les deux secteurs représentent désormais plus du quart de l'ensemble des exportations du pays. Ils génèrent aussi, selon les chiffres officiels, plus de 80.000 emplois directs. Et encore plus d'emplois indirects. L'industrie du charbon avance, par exemple, le chiffre de 120.000 emplois supplémentaires.

Dans ce contexte, l'avenir du charbon et du gaz naturel revêt une importance électorale capitale, en particulier dans le Queensland, le troisième Etat le plus peuplée du pays où les libéraux et leurs alliés ont recueilli 58% des voix en 2019. Un casse-tête pour le parti travailliste, qui promet donc de ne pas s'attaquer à l'industrie du charbon mais simplement de ne plus subventionner des projets. Son patron, Anthony Albanese, s'est d'ailleurs prononcé en faveur de la très controversée mine de Carmichael. "Notre priorité reste l'emploi", a-t-il promis.