
Après BP et Shell, c'est au tour de Total d'annoncer une dépréciation massive de la valeur de ses actifs. D'un montant de 8,1 milliards de dollars (6,9 milliards d'euros), cette charge exceptionnelle précipite le groupe pétrolier français dans le rouge. Au cours du deuxième trimestre de l'année, il a accusé une perte nette abyssale de 8,4 milliards de dollars. Sa première perte trimestrielle depuis 2015.
De son côté, Shell a officialisé une dépréciation d'actifs d'un montant de 16,8 milliards de dollars (14,2 milliards d'euros) - dans le bas de la fourchette annoncée début juillet, qui grimpait jusqu'à 22 milliards. Comme Total, la major britannique a donc affiché d'immenses pertes: 18,4 milliards d'euros. La semaine prochaine, BP doit annoncer le montant de sa charge pour dépréciation. En juin, la société avait indiqué que celle-ci se chiffrerait entre 13 et 17,5 milliards de dollars.
Ces dépréciations massives ont certes été précipitées par la crise sanitaire et économique, qui a fait chuter la demande et les cours du pétrole et du gaz. Mais elles témoignent surtout d'un "changement fondamental pour l'industrie", souligne Luke Parker du cabinet Wood Mackenzie: le déclin annoncé des énergies fossiles. De fait, la les dépréciations n'ont pas attendu le coronavirus. Fin 2019, l'américain Chevron avait enregistré une charge supérieure à 10 milliards de dollars.
Déjà amorcée, la transition vers les énergies renouvelables semble s'être encore renforcée au cours des derniers mois. Si bien que certains observateurs n'hésitent plus à suggérer que le "pic pétrolier", à partir duquel la consommation commencera à décliner, se rapproche. D'ici à 2030 pour Patrick Pouyanné, le patron de Total. Potentiellement dès 2027 pour le cabinet Rystad Energy. D'autres estiment même qu'il est déjà passé, et donc la demande de pétrole ne retrouvera jamais son niveau de 2019. Un scénario noir que n'exclut pas Bernard Looney, le directeur général de BP.
"Stranded assets"
Ce repli de la demande aura par ailleurs un impact sur les cours du baril de pétrole, au moins à court terme. Total estime ainsi que le baril de Brent ne vaudra en moyenne que 35 dollars cette année. Et imagine un prix de long terme de seulement 50 dollars. De son côté, BP mise sur un cours moyen de 55 dollars au cours des trente prochaines années, soit 15 dollars de moins que sa précédente estimation.
Pour les grands groupes pétroliers et gaziers, cela signifie que leurs actifs d'exploration et de production ne rapporteront pas autant qu'espéré. Et donc que leur valeur va inexorablement chuter. À terme, ils pourraient même devenir des "stranded assets", c'est-à-dire des actifs échoués dont la valeur sera proche de zéro en raison de la lutte contre le réchauffement climatique. Un risque qui pousse les pétroliers à abandonner des projets en cours. Et aussi un nombre croissant d'investisseurs, en particulier de grands fonds anglo-saxons, à se détourner des actions du secteur.
"Il y a encore quelques années, peu de personnes dans l'industrie du pétrole et du gaz acceptaient les notions du risque climatique, du pic de la demande, des actifs échoués ou de liquidation des modèles économiques, souligne Luke Parker. Aujourd'hui, les entreprises du secteur bâtissent leur stratégie autour de ces idées". Total, Shell et BP se sont ainsi engagés à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. Une promesse qui va impliquer des changements majeurs dans leurs activités.
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