Le gros coup de gueule du gendarme de l'énergie contre le retard français dans les renouvelables

Par latribune.fr  |   |  1288  mots
Jean-François Carenco, président de la CRE
Le président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a fustigé mardi le retard dans le développement des énergies renouvelables en France et le poids pris par "tous ceux qui râlent" contre l'éolien ou le solaire.

Jean-François Carenco, le président de la CRE, la Commission de régulation de l'énergie, n'a pas mâché ses mots, ce mardi, pour dénoncer le poids de « tous ceux qui râlent » contre l'éolien et le solaire et déplorer le retard pris dans le développement des énergies renouvelables en France, alors que la France traverse une crise de l'énergie qui se caractérise notamment par une flambée des prix.

"Sur les énergies renouvelables, je pense qu'on ne dit pas assez (...) qu'on est très en retard, on est très très en retard", a déclaré le président du gendarme de l'énergie, lors du colloque annuel de l'Union française de l'électricité (UFE). "Si on avait suivi la feuille de route des énergies renouvelables telle qu'elle était prévue il y a deux ans, on n'aurait pas de crise. Je pense qu'on n'aurait pas de crise si on avait 3 gigawatts de plus", a-t-il jugé, en allusion à la crise actuelle de l'énergie, dont les prix ont flambé.

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Le gestionnaire du réseau électrique RTE prévoit par ailleurs un hiver sous "vigilance particulière" en matière de sécurité d'alimentation, alors que la crise sanitaire continue d'affecter le calendrier de maintenance du parc nucléaire, dont la production électrique est à 70% nucléaire. RTE table dans un premier temps, jusqu'à la fin de l'année, sur un "risque de tension relativement faible", mais prône plus de prudence pour janvier et février, période la plus exposée à des coups de froid, expliquait récemment le groupe. La consommation d'électricité en France s'est quant à elle redressée pour presque retrouver ses niveaux d'avant-crise, restant légèrement inférieure comparé à la même époque de 2019.

Doublement des énergies renouvelables électriques en 2028 par rapport à 2017

Le développement des énergies renouvelables a pris du retard en France, alors que le pays s'est fixé des objectifs ambitieux.  Feuille de route officielle de la France, la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévoit de doubler la capacité installée des énergies renouvelables électriques en 2028 par rapport à 2017. Mais les projets font souvent face à des oppositions de riverains, de défenseurs du patrimoine ou de la biodiversité, ou encore de pêcheurs lorsqu'il s'agit de parcs en mer.

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"Prenons conscience que c'est notre faute à nous", a exhorté Jean-François Carenco. "A force d'écouter tous ceux qui râlent en oubliant que l'énergie électrique, pour qu'on l'ait, c'est des milliers de morts dans les mines de charbon, c'est des dizaines, des centaines de villages engloutis".

"Et maintenant (...) parce que quelqu'un dit 'c'est pas beau', on dit 'ah la la'? Ça me tord les tripes. Parce que ça met en danger tous nos emplois, toute la France, toute l'Europe", a lancé l'ancien préfet.

Les renouvelables ont aussi concentré les critiques d'une partie de la droite et de l'extrême-droite dans la pré-campagne pour la présidentielle de 2022. Xavier Bertrand, candidat malheureux à l'investiture LR, s'est plusieurs fois attaqué au développement des éoliennes dans sa région, les Hauts-de-France. Marine Le Pen (RN) envisage pour sa part de les "démonter". A gauche, Arnaud Montebourg ne veut pas les démanteler, mais faisait valoir récemment qu'une installation massive ne bénéficierait pas d'une « acceptabilité sociale ».

Eolien en mer

Récemment, le Syndicat des énergies renouvelables (SER) et France énergie éolienne (FEE) ont indiqué que l'éolien en mer, très en retard en France, doit accélérer fortement si le pays veut atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour lui, un objectif de 50 gigawatts (GW) en milieu de siècle est « réaliste ».

Cela signifie plus que doubler les projections actuelles, de 1 à 2 GW par an dans un premier temps, ont calculé les deux acteurs de la filière. Tous les scénarios énergétiques, produits récemment par le gestionnaire du réseau électrique (RTE) comme par l'Ademe, soulignent la part croissante et incontournable que joueront les sources renouvelables à l'avenir, et ce quelle que soit la part assignée au nucléaire.

De ce fait, éolien terrestre, éolien marin ou panneaux photovoltaïques, "il faudra les trois! Si on abandonne l'un ou l'autre, il n'y aura ni neutralité carbone ni sécurité d'approvisionnement", indiquait début décembre Michel Gioria, le délégué général de FEE.

Le tout premier parc marin devrait entrer en service en France en 2022, au large de Saint-Nazaire, avec dix ans de retard. A ce stade, 3,5 GW ont été attribués.

Pour 2050, RTE évoque 22 à 62 GW, selon les choix faits. Pour le  Syndicat des énergies renouvelables et France énergie éolienne, 50 GW est un objectif "réaliste", au vu des prix déjà compétitifs de la technologie, ou de l'espace nécessaire (2,8% de l'espace maritime métropolitain, selon eux). Ils prônent un cap intermédiaire de 18 GW en 2035, de quoi alimenter en électricité 14 millions de foyers.

"Tout le monde, y compris le public, demande une plus grande visibilité. C'est le cas en Allemagne, qui dispose d'une planification précise, revue régulièrement", souligne Yara Chakhtoura, de FEE.

Dès 2022, la France doit remettre à plat sa feuille de route énergétique, comme l'ont déjà fait Pays-Bas, Grande-Bretagne, et même l'Allemagne au littoral bien moindre (qui vise 30 GW en 2040).

Essor insuffisant à l'échelle mondiale

A l'échelle mondiale, l'essor de l'éolien en mer ou terrestre, le solaire... ont augmenté les capacités électriques renouvelables dans le monde, mais le rythme reste cependant insuffisant pour mettre la planète sur la voie de la neutralité carbone, selon le rapport annuel "Renouvelables" de l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

Cette année devrait battre le record de l'an dernier, avec 290 gigawatts (GW) de capacités nouvelles installées, et en ce dépit du coût accru de certains composants et du transport, note le rapport sorti mercredi.

Selon l'AIE, qui a revu à la hausse ses projections, 4.800 GW d'installations devraient être disponibles d'ici à 2026, soit +60% par rapport à 2020 et l'équivalent de la capacité électrique actuelle du nucléaire et des énergies fossiles combinés. Le photovoltaïque devrait assurer plus de 50% de cette croissance, et l'éolien en mer voir ses capacités tripler.

Toutes les régions sont concernées, Chine en tête (1.200 GW de capacités éolienne et solaire attendus dès 2026, soit quatre ans plus tôt que l'objectif officiel, estime l'AIE.) L'Inde devrait voir la croissance du secteur doubler par rapport au rythme de 2015-2020.

Cependant, si les prix des composants et matériaux restaient aussi élevés jusqu'à la fin 2022, le coût des investissements dans l'éolien pourrait retrouver son niveau d'avant 2015, et, dans le solaire, trois années de chute des prix seraient effacées, s'alarme l'organisme, qui conseille les pays dans leurs politiques énergétiques.

Quant aux barrages, aux bio-énergies ou à la géothermie, pourtant indispensables, leur expansion ne représente que 11% de la croissance des renouvelables d'ici 2026, du fait notamment d'un déficit de soutien et de rémunération.

Ainsi, in fine, cette croissance attendue des renouvelables ne suffira pas pour mettre le monde sur la voie de la neutralité carbone en 2050, nécessaire pour garder le réchauffement sous 1,5°C par rapport à la période pré-industrielle.

Pour cela, il faudrait que le rythme de capacités renouvelables nouvelles installées d'ici 2026 double par rapport aux prévisions de l'AIE, et que la croissance de la demande dans les biocarburants soit quatre fois supérieure.

(Avec AFP)