Face à l’explosion des cours, EDF doit-il fournir plus d’électricité à tarif régulé ?

Tandis que les prix de gros de l’électricité s'envolent, des associations de défense des consommateurs et des représentants de l’industrie demandent à relever le plafond de l’ARENH, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, qui permet aux opérateurs alternatifs de s’approvisionner en-dessous des prix du marché. Mais une telle mesure fausserait un peu plus le jeu de la concurrence et pénaliserait EDF, qui demande une réorganisation profonde du mécanisme en sa faveur. Explications.
Marine Godelier
Le mécanisme de l’ARENH pousse EDF à vendre sur les marchés de l’électricité à un prix très avantageux pour les fournisseurs alternatifs, afin de permettre aux concurrents de l’opérateur historique de proposer des offres compétitives.
Le mécanisme de l’ARENH pousse EDF à vendre sur les marchés de l’électricité à un prix très avantageux pour les fournisseurs alternatifs, afin de permettre aux concurrents de l’opérateur historique de proposer des offres compétitives. (Crédits : Reuters)

Alors que les tarifs réglementés de vente d'électricité en France devaient bondir de près de 12% début 2022, soit un surcoût annuel de 150 euros, la hausse sera finalement limitée à 4% l'an prochain. C'est ce qu'a promis le 30 septembre dernier le Premier ministre, Jean Castex, au journal télévisé de France 2. En l'état, cela passera vraisemblablement par une diminution provisoire des taxes sur l'électricité, de manière à alléger la facture des ménages.

Pourtant, en parallèle, une autre demande se renforce de la part d'associations de défense des consommateurs et de l'industrie : doubler la mesure d'un relèvement du plafond de l'ARENH (accès régulé à l'électricité nucléaire historique), afin de bénéficier de plus d'énergie à bas coût, au moins le temps que la crise passe. Notamment pour les entreprises, puisque leurs minimaux de taxation sont fixés par la Commission européenne, et non par l'Etat. Mais la solution n'est « pas envisageable », avait mis au clair fin septembre la secrétaire d'Etat à la Biodiversité, Bérangère Abba.

Qu'est-ce que l'ARENH, et pourquoi le gouvernement refuse-t-il, pour l'heure, d'y toucher ? Cet acronyme peu connu du grand public se trouve en fait au coeur du fonctionnement du marché de l'électricité en France, et de la manière dont son prix est déterminé. Concrètement, il permet depuis 2011 aux fournisseurs « alternatifs » (c'est-à-dire autres qu'EDF), qui ne peuvent posséder aucune centrale nucléaire, de proposer à leurs clients des prix compétitifs en achetant de l'électricité auprès d'EDF à prix coûtant (sans bénéfice pour ce dernier), plutôt qu'à celui, fluctuant, du marché. Ce tarif étant fixé par les pouvoirs publics à 42 euros le mégawatt heure (MWh), l'ARENH représente logiquement un avantage considérable pour ces opérateurs au moment où les cours s'envolent à plus de 110 euros le MWh.

Lire aussi Trois questions pour comprendre la flambée des prix de l'électricité en France

Equilibrer le jeu de la concurrence

Pourquoi, alors, vouloir revoir ce système ? Pour y répondre, il faut d'abord comprendre sa raison d'être. A l'origine, le rôle de l'ARENH est de permettre une libéralisation du marché de l'électricité, autrefois à la main d'EDF. Et pour cause, ce dernier bénéficiant d'une électricité compétitive liée à l'exploitation historique de son parc nucléaire, aux coûts désormais amortis, il disposait d'un avantage considérable sur ses concurrents potentiels.

« Le but était donc qu'EDF perde des parts de marché, et que les autres en gagnent », explique Jacques Percebois, économiste et directeur Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (CREDEN).

Le mécanisme était bien sûr encadré : la production nucléaire s'élevant à environ 400 TwH par an à l'époque, « il a été décidé que les fournisseurs alternatifs pourraient accéder à prix coûtant à 25% de celle-ci », développe Jacques Percebois. Le plafond de l'ARENH a ainsi été fixé à 100 TwH d'électricité à prix régulé pour tous les concurrents d'EDF, au tarif de 42 euros le MWh. De quoi leur permettre de jouer à armes égales avec l'opérateur historique, et de maintenir une concurrence, que certains qualifient d'artificielle.

Seulement voilà : depuis 2011, cette concurrence a explosé, jusqu'à atteindre près de 80 fournisseurs alternatifs aujourd'hui en France. Mathématiquement, le plafond de 100 TwH restant inchangé, chacun d'entre eux bénéficie de moins d'ARENH qu'auparavant. Si leurs demandes excèdent ce volume global, et c'était le cas ces dernières années, le trop perçu fait l'objet d'un écrêtement, se répercutant sur la facture des consommateurs. « Ils demandent donc que le plafond soit revalorisé à 150 TWh », précise Jacques Percebois.

Attitude spéculative de certains fournisseurs

Mais EDF, aux profits déjà bridés par l'ARENH, serait forcément perdant. « On parle de plusieurs centaines de millions d'euros », précise Nicolas Golberg, senior manager Energie à Colombus Consulting.

« Si le plafond augmente à 150 TWh, le tarif de 42 euros augmentera forcément en même temps, pour compenser ces pertes », ajoute Jacques Percebois.

Surtout que le coût du nucléaire a augmenté, ne serait-ce qu'à cause de l'inflation - les prix ayant grimpé de 15% environ depuis 2010. « Par conséquent, l'ARENH devrait au moins être aux alentours de 48 euros le MWh », fait valoir Jacques Percebois. De quoi pousser EDF à vouloir « remplacer » ce dispositif « asymétrique » qui l' « impacte structurellement », glisse-t-on chez l'opérateur historique. Une position assumée par le président d'EDF, Jean-Bernard Levy, qui fustige régulièrement le mécanisme, le qualifiant de « poison » pour la rentabilité du groupe.

D'autant que certains fournisseurs alternatifs « profitent » de ce système, en ne demandant une part d'ARENH que lorsque les prix sur le marché de gros augmentent, et dépassent le tarif réglementé de 42 euros / MWh. « En 2016, plus personne ne voulait acheter d'ARENH, car le prix du marché est ponctuellement descendu à 38 euros le MWh », précise Jacques Percebois. « Le fait qu'ils n'aient pas l'obligation d'acheter des parts d'AREHN quand les prix sont en-dessous du tarif réglementé fait que nous sommes toujours perdants », dénonce-t-on chez EDF.

« C'est un jeu qui se fait toujours au détriment d'EDF et en faveur des alternatifs », abonde Emmanuel Autier, manager associé Energie chez BearingPoint.

« Dans l'idéal, il faudrait un système sélectif, qui ne profite qu'à ceux qui en ont vraiment besoin, plutôt que ceux qui ont une attitude spéculative et joue sur le marché de court terme », répond Nicolas de Warren, président de l'UNIDEN (Union des industries utilisatrices d'énergie), une association chargée de défendre les intérêts des entreprises énergivores, qui demande un relèvement du plafond à 150 TWh.

La réorganisation du groupe, une condition sine qua non

Reste qu'EDF « refait aujourd'hui un peu ses marges » du fait de l'explosion des cours, car l'électricité qu'il vend sur le marché de gros, en dehors de l'ARENH, vaut bien plus cher que ce qu'elle a coûté sur le marché européen interconnecté de l'énergie. Un phénomène qui pousse par exemple l'UFC-Que Choisir à demander à « faire primer le pouvoir d'achat des consommateurs sur les intérêts mercantiles d'EDF ».

Lire aussi Prix du gaz : quel est vraiment l'impact du bouclier tarifaire du gouvernement ?

Dans tous les cas, la décision ne dépend pas que des seuls pouvoirs publics français. La révision du prix ARENH fait partie intégrante des discussions menées avec la Commission européenne. « Celle-ci explique que si la France souhaite modifier l'ARENH, elle doit proposer une réforme structurelle d'EDF », développe Nicolas Goldberg. Or, la réorganisation du groupe EDF, dans le cadre du projet Grand EDF (ex Hercule) a été reportée au prochain quinquennat. Et si la loi Energie-Climat votée en 2019 prévoit que le gouvernement puisse, par arrêté, relever à 150 TWh le plafond annuel de l'ARENH, « la Commission, qui dit que cela reviendrait à plafonner les marchés de l'électricité en France, ne l'autorisera probablement pas », conclut Nicolas Goldberg.

Marine Godelier

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Commentaires 35
à écrit le 08/10/2021 à 13:08
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Le pillage d'EDF (et du contribuable français) par les "alternatifs" européens incapables de produire à un prix compétitif doit cesser. Point barre

à écrit le 08/10/2021 à 9:05
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Tarif regule, mais par qui ? L 'etat ? Comme en Chine, pcc ? C'est vrai que le jacobinisme actuel tend vers vers ce travers. Mais bon, le francais impecunier aime la subvention a credit qui endette son enfant.

à écrit le 07/10/2021 à 22:01
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VATTENFALL profite des tarifs imposés par l'ARENH pour se procurer de l'énergie nucléaire à bas coût, le distributeur suédois fait-il des prix bradés à EDF sur sa propre production hydraulique ??? Ben non : le producteur suédois est un "alternatifs" ...

à écrit le 07/10/2021 à 21:50
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" fournisseurs « alternatifs » (c'est-à-dire autres qu'EDF), qui ne peuvent posséder aucune centrale nucléaire" ... ils ne peuvent, ils ne veulent ou qui n'ont pas investi ni fait de demande pour développer leur propre filière ??? Une loi interdit-el...

à écrit le 07/10/2021 à 15:58
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Avec les couts de prolongement de vie et de demantellement des centrales nucléaire qui grimpent, l'ARENH (crée sous pretexte que les centrales étaient amorties....) n'a plus aucune raison d'exister et il faut donc l'abroger. Il faut que la concurrenc...

le 07/10/2021 à 22:15
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IL faudrait même envisager, puisque l'ARENH considère les centrales comme amortis, que le coût des démantèlements à venir soit facturés aux "alternatifs" , non ? Parce que le coût de la construction est peut-être amorties -ce qui reste à démontrer- m...

à écrit le 07/10/2021 à 15:01
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La politique "tout" nucléaire française a eu des conséquence négatives sur les prix en empêchant les autres secteurs peu carbonés comme le solaire thermique, individuel ou couplé aux réseaux de chaleur/froid, l'hydro, les réseaux de chaleur eux même,...

le 07/10/2021 à 15:59
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La politique du nucléaire fut décidée après les chocs de 73 et fut un succès cette disposition décidée par des vraies politiques fut organisée par de puissantes directions techniques aujourd'hui disparues. Je vous rejoins complètement pour faire inst...

à écrit le 07/10/2021 à 11:34
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Il est bien sûr anormal que le nucléaire français payer avec les deniers des Français soit réglementé par l'Europe et surtout fasse perdre de l'argent a EDF. Parce que qui dit perte d'argent pour EDF, c’est encore les deniers des Français qui sont ré...

le 07/10/2021 à 14:36
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Je vais aller encore plus loi, pourquoi ne pas supprimer l'ARENH ?

le 07/10/2021 à 14:36
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Vous avez entièrement raison. Et je vais aller encore plus loin. Pourquoi ne pas suppimer l'ARENH. Ce mode de gestion est une abberation.

le 07/10/2021 à 21:56
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@poulet cru : effectivement, ces prix bradés devraient disparaitre !!! Quand VATTENFALL profite des tarifs imposés par l'ARENH pour se procurer de l'énergie nucléaire à bas coût, le distributeur suédois fait-il des prix bradés à EDF sur sa propre pr...

à écrit le 07/10/2021 à 11:28
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On ne remerciera jamais assez Bruxelles,les Allemands et les ecolos.....le pire est a venir

à écrit le 07/10/2021 à 11:03
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En accord avec d’autres commentaires,il faut supprimer les fournisseurs alternatifs qui ne produisent rien.Voilà un chantier pour notre ministre de l’industrie et énergie.

le 07/10/2021 à 14:11
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exact sur toute la ligne

à écrit le 07/10/2021 à 10:29
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De toutes façons, il faut bien financer l’EPR, en construction depuis 2006 à 19 milliards d’euro. Quelque soit la méthode utilisée, c’est toujours pour chercher l’argent dans nos poches !

le 07/10/2021 à 12:18
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L'EPR, ne vous en déplaise, coûte moins cher que les éoliennes (120 milliards) et mobilise moins de ressources (acier, béton, ...).

le 07/10/2021 à 14:07
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l EPR est beaucoup moins cher. La preuve, tout le monde veut du nucleaire.....Meme les US ferment leurs centrales nucleaires car non rentable face a l eolien et au solaire....les US ferment meme plus de nuke que l Allemagne

le 08/10/2021 à 14:45
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Hors raccordement et stockage, les éoliennes actuelles coûtes 6M€ le MW de production lissée pendant 20 ans. L'EPR est conçu pour une production lissée de 1400MW pendant 60 ans. Je vous laisse faire le calcul vous même.

à écrit le 07/10/2021 à 10:16
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Non EDF doit être égoiste et fournir son énergie moins chère à ses clients. Les autres n'ont qu;à pédaler sur leurs dynamos. Sérieux nos impots ont financés un parc de qualité donc il serait juste que nous soyions payés en retour et que l'Allemag...

à écrit le 07/10/2021 à 10:00
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En effet, les talibans du droit européen et de la "mondialisation heureuse" ont encore sévi... Encore une belle réussite dogmatique.

à écrit le 07/10/2021 à 9:56
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Pendant ce temps : E. Leclerc Energies met fin à ses deux offres d'électricité. Dans un courrier adressé à ses clients,près de 100.000 , le fournisseur annonce en effet qu'à partir du 15 octobre prochain, ces deux offres cesseront d'exister et se...

à écrit le 07/10/2021 à 9:40
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Il faut au contraire supprimer purement et simplement ce système qui n'enrichit que les margoulins et laisser EDF produire une électricité moins chère au bénéfice de tous ses clients.

le 07/10/2021 à 13:53
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Le kWh EPR sera au double du prix habituel. Quand on aura remplacé les anciens réacteurs en fin de vie par des EPR la facture doublera niveau énergie. +100%. Mais ils sont prévus pour durer 60 ans.

le 07/10/2021 à 15:38
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@photo73 : même à 105€/MWh (le prix qu'on accepté les britanniques pour leurs EPR), cela reste largement inférieur à ce qu'on paye en ce moment.

à écrit le 07/10/2021 à 9:40
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Il faut au contraire supprimer purement et simplement ce système qui n'enrichit que les margoulins et laisser EDF produire une électricité moins chère au bénéfice de tous ses clients.

à écrit le 07/10/2021 à 9:36
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Que la France reprenne ses billes et fixe elle même le prix de son électricité. Pour mémoire, le choc de 73 a conduit à un programme électro nucléaire qui apporta un apaisement dans la fourniture et le prix.

à écrit le 07/10/2021 à 9:33
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On a forcé EDF (public) à vendre à perte l'énergie que le contribuable a payé (Nucléaire), à des concurrents pour qu'ils puissent la vendre à leur tour avec bénéfice (privé cette fois) et contre EDF... Pire, EDF avait une obligation de vendre, mais l...

à écrit le 07/10/2021 à 9:32
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EDF est très endetté et doit bcp investir. Elle doit donc profiter du moment pour augmenter sa trésorerie et baisser l'endettement pas pour faire du social, pour ça il ya le cheque energie.

à écrit le 07/10/2021 à 9:27
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L'europe dont le dogme principal est pourtant la libre concurrence à délibérément coupé les ailes de l'énergie française bien plus économique que les autres. La volonté n'est donc pas de proposer au consommateurs et à notre industrie une énergie déca...

à écrit le 07/10/2021 à 8:57
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Ils ne manquent pas de toupet. Ces entreprises ne produisent rien et veulent faire des profits sur le dos d'EDF donc du contribuable. C'est niet !

à écrit le 07/10/2021 à 8:35
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Il faut bien compenser la taxe d'habitation impôt très difficile à récolter, rien de tel que des taxes sur l'énergie.

à écrit le 07/10/2021 à 8:35
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Ben oui parce que ceux qui se sont gavés prenant sans arrêt de plus grosses parts de gâteaux devant un gâteau qui se réduit en veulent toujours autant voir plus. Tandis que ce sont eux qui l'ont réduit ce gâteau entassant les parts dans leurs paradis...

à écrit le 07/10/2021 à 8:17
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La concurrence chez les fournisseurs d'énergie ne sert à rien. C'est une invention inutile, qui ne fait que donner de faux espoirs aux consommateurs. Si l'énergie augmente, il faut payer, c'est tout

à écrit le 07/10/2021 à 7:57
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Quelle réussite cette organisation depuis des années de la pseudo concurrence dans l énergie par les technocrates pour faire passer les prix ?

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