Alors que l'urgence environnementale exige de changer de modèle énergétique, l'Hexagone entend se placer en leader mondial sur le sujet. En témoigne le discours d'ouverture de la COP26, le 1er novembre dernier, d'Emmanuel Macron, qui exhortait les autres pays à retrouver de « l'ambition » dans « leurs stratégies nationales » respectives. Et appelait à l' « exemplarité », condition nécessaire pour revendiquer un quelconque « leadership ».
Car le chef de l'Etat ne manque pas de le rappeler, la France, elle, s'est doté d'un plan solide : la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) de 2015. Actualisée l'an dernier, elle définit une trajectoire forte de réduction des émissions de gaz à effet de serre jusqu'en 2050, et fixe des échéances à court-moyen terme. S'y ajoutent les lois Energie Climat et de Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), votées en 2019, qui précisent les objectifs du pays, afin de le sevrer de sa dépendance aux énergies fossiles. Enfin, par les plans de relance et d'investissement (France 2030), le gouvernement a affecté des niveaux de financement sans précédent à la mobilité « durable », à la rénovation des bâtiments, à la décarbonation de l'industrie, à l'hydrogène, ou encore au nucléaire.
Autant d' « efforts » salués par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) dans son évaluation de la politique énergétique de la France, publiée ce mardi 30 novembre. Mais qui ne suffiront pas : le pays a beau se vouloir précurseur, il n'est toujours pas dans les clous pour atteindre la neutralité carbone en 2050, alerte l'organisation, qui appelle à « accélérer » l'investissement dans les énergies renouvelables.
Electrification des usages
Et pour cause, en 2020, la part de ces dernières dans la consommation finale brute d'énergie n'était que de 19,1%, soit bien en deçà de la cible de 23,4% fixée par la PPE. Et atteindre l'objectif de mi-parcours fixé en 2023 paraît désormais impossible : d'ici à deux ans, la France devrait en fait ajouter 6,4 gigawatts (GW) de puissance éolienne, soit près de 40% de la capacité totale cumulée à ce jour. Elle devrait aussi presque doubler la capacité solaire photovoltaïque (de 12,6 GW à 20,6), nécessitant de mobiliser plusieurs milliers d'hectares.
Résultat : même si son mix énergétique reste le moins carboné du G7, grâce à son parc nucléaire historique (qui émet très peu de gaz à effet de serre), « la France a un travail considérable devant elle sur la route du net zéro », estime le directeur exécutif de l'AIE, Fatih Birol. Car alors que les centrales vieillissent, que la construction de nouveau nucléaire prendrait beaucoup de temps, et que la consommation d'électricité promet d'exploser, l'atome ne suffira pas à court et moyen termes, explique-t-il. Un constat partagé par tous les auteurs des scénarios prospectifs nationaux publiés ces dernières semaines, de l'association négaWatt au gestionnaire de réseau RTE, en passant par l'Ademe.
« Comme le dit l'AIE, la solution économique la plus efficace pour atteindre la neutralité carbone dès 2050 sera d'électrifier. Cela implique de développer le plus d'énergies renouvelables possible, et de garder les réacteurs nucléaire en fonctionnement quand ceux-ci sont économiques », fait valoir Thomas Veyrenc, directeur de la stratégie et de la prospective chez RTE.
Et si Emmanuel Macron a récemment annoncé son intention de relancer l'atome, il ne s'agit pas non plus pour le gouvernement actuel de revenir sur la PPE, en reculant sur les énergies renouvelables. « Ce n'est pas parce qu'on a du nucléaire qu'on est sortis d'affaire », a ainsi clarifié mardi soir la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, lors d'un débat sur le sujet à l'Hôtel de Roquelaure.
Lourdeurs administratives
Alors pourquoi la France accuse-t-elle un tel retard ? Au cours de la dernière décennie, la production éolienne et solaire photovoltaïque a pourtant bien augmenté, faisant passer la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité (à ne pas confondre avec la consommation brute d'énergie en général) de 14% en 2010 à 23,4% en 2020, rappelle l'AIE. Mais de « très longues procédures d'autorisation, qui entraînent des autorisations administratives lourdes », et le « manque de disponibilité des terres » ont freiné la cadence, pointe le rapport.
L'AIE regrette, par exemple, la présence d'obstacles à l'installation de panneaux photovoltaïques. Notamment administratifs, « liés au code du bâtiment » ou à celui de « l'urbanisme ».
« Les municipalités devraient être soutenues dans la cartographie du potentiel solaire et le développement de projets, en particulier sur les bâtiments commerciaux, y compris les parkings », estiment les auteurs.
Surtout, pour l'éolien terrestre, « les procédures françaises d'autorisation sont très restrictives par rapport à d'autres pays », note l'AIE. Pour cause, les géants à pales sont souvent qualifiés de menace potentielle pour le patrimoine, le paysage et l'environnement. Emmanuel Macron lui-même avait indiqué cet été vouloir « renoncer » aux projets éoliens lorsque ceux-ci « dénaturent le paysage ». Et désormais, les maires disposent d'un droit de véto contre l'implantation de nouvelles infrastructures sur leur territoire. Plusieurs candidats à la présidentielle, notamment Xavier Bertrand (LR), plaident même pour instituer un moratoire national à la construction de nouveaux parcs.
« Je lance un appel à la responsabilité : on ne peut pas se permettre de perdre encore dix ans là-dessus. On constate un effet de loupe assez fort sur les anti-éoliens, alors que dans les sondages, on voit que l'image qu'en ont les Français est plutôt bonne, y compris les riverains », défend Alexandre Roesch, délégué général du Syndicat des Energies Renouvelables (SER).
Encore aucun parc éolien offshore
Jusqu'ici, ces problèmes d'acceptabilité ont tellement freiné les projets de construction de parcs éoliens en mer, que la France n'en compte toujours aucun - même si le premier devrait sortir de l'eau l'an prochain, au large de Saint-Nazaire. Pourtant, l'Europe compte déjà 116 parcs éoliens offshore, dont 40% de la capacité installée au Royaume-Uni. Mais dans l'Hexagone, une multiplication des litiges et de très longues procédures d'autorisation ont retardé le processus, note l'AIE.
Pour y remédier, France Energie Éolienne et le SER ont demandé, ce jeudi 2 décembre, que soit planifié spatialement dès 2022 le déploiement des nouveaux projets.
« Seule une planification précise et anticipée, pilotée par l'État en associant l'ensemble des acteurs du monde maritime, permettra un déploiement ambitieux de l'éolien en mer. L'installation de 50 GW d'éolien en mer au large des côtes métropolitaines ne représenterait qu'une occupation de 2,8% de l'espace, occupé à usage non exclusif », font-ils valoir.
Un modèle déjà développé par plusieurs pays européens, notamment le Danemark et le Pays-Bas. Concrètement, ces gouvernements identifient les zones éoliennes offshore appropriées, sélectionnent les sites, organisent les permis ainsi que de l'attribution de l'enveloppe financière par voie d'appels d'offres. Et les procédures d'autorisation et les appels d'offres sont attribués indépendamment des procédures contentieuses.
Mais cela ne suffira pas : en France s'ajoutent de lourdes « contraintes spatiales » au développement des éoliennes, estime l'AIE, « y compris à des fins de défense et d'aviation civile, telles que les périmètres de radars », notamment pour celles qui se trouvent sur terre. En effet, la distance radar requise de 30 kilomètres a été étendue à 70 km en 2021, ce qui limite la superficie d'accueil de futurs projets.
« Il y a des exigences qu'on ne souhaite pas lever, comme le fait de ne pas construire en zone Natura2000 ou trop près des habitations. Mais sur les radars, on pourrait assouplir les choses, afin d'étendre l'accès au foncier. C'est un thème qu'on porte auprès des pouvoirs publics », précise Alexandre Roesch.
Plusieurs candidats anti-renouvelables
Lever rapidement ces freins devrait ainsi permettre d'accélérer le mouvement, affirme l'AIE. Mais la question de la volonté politique sera centrale, et l'atteinte des objectifs de la PPE dépendra surtout du prochain président de la République. Pour l'heure, loin de proposer un assouplissement, quelques uns des candidats à l'Elysée mènent une guerre contre le déploiement massif des énergies renouvelables, notamment les éoliennes terrestres, en soulevant leurs impacts négatifs et l'intermittence de leur production. Et préfèrent valoriser la production nucléaire, source d'électrons bas carbone et vecteur d'industrialisation du territoire.
Il n'empêche qu'aujourd'hui, les usages énergétiques en-dehors de l'électricité restent largement « dominés par les carburants fossiles », comme le pétrole et le gaz, notamment dans le secteur du transport. Dans ces conditions, et alors que le prochain EPR après celui de Flamanville ne devrait pas voir le jour avant une quinzaine d'années, se passer des énergies fossiles tout en décarbonant l'économie semble illusoire.
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