Angela Merkel ou le triomphe de Machiavel

Par Romaric Godin  |   |  552  mots
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Ainsi donc serait venu le grand tournant. Angela Merkel a enfin accepté l'idée d'une coupe dans la dette grecque détenue par les investisseurs publics. Une solution qui, apparaît de plus en plus comme le seule crédible pour faire sortir Athènes du cercle vicieux où elle est enfermée depuis 2009 : plans de rigueur, récession, échec devant les objectifs de déficit et nouveaux plans de rigueur. Enfin, donc, l'Allemagne aurait saisi cette logique. Elle serait prête à sauver réellement la Grèce, ce que les « plans de sauvetage » n'ont pas réussi à réaliser jusqu'ici. Mais à y regarder de plus près, ces cris de triomphe semblent très exagérés.

Sibyllin

Merkel s'est en effet bien gardée dans son interview à Bild am Sonntag de parler clairement de coupes dans la dette grecque. Elle s'est contentée d'accepter « d'examiner et d'évaluer la situation » en « 2014 ou 2015. » Chacun a voulu comprendre qu'examiner la situation signifiait tailler dans la dette publique. Mais il n'y a là qu'une mince ouverture et pas le moins du monde un engagement.

Comment remplir les objectifs de réduction du déficit public et dégager un excédent ?

D'autant qu'Angela Merkel a clairement donné des conditions à ce nouvel examen dans la même interview : « Si la Grèce réussit un jour à s'en sortir avec ses propres recettes. » La condition est lourde : il faudrait qu'Athènes dégage donc un excédent budgétaire. Et elle est contradictoire avec le but visé : car ce qui pèse lourd dans le budget grec, c'est précisément la dette. Angela Merkel prend donc le problème à l'envers : elle soumet la réduction de la dette au retour à l'excédent budgétaire quand cet excédent ne pourra être retrouvé sans réduction de la dette. Pourquoi ? Parce que pour réduire son déficit, Athènes ne peut faire jouer, comme le réclamait récemment l'OCDE, « les stabilisateurs automatiques. » Du coup, la récession se poursuit. La banque de Grèce prévoyait encore près de 5 % pour 2013. Comment, dans ces conditions, pouvoir remplir les objectifs de réduction du déficit public et dégager un excédent ?

Du Angela Merkel pur et dur

Contrairement à ce que disent bien des commentateurs, Angela Merkel ne prend aucun risque. Elle renforce la politique d'austérité en Grèce, ce qui rend sa condition à tout « examen » d'emblée caduque . Certes « un jour », la Grèce retrouvera l'équilibre des comptes publics, mais avec la politique préconisée par l'Allemagne et la France depuis 2010, ce ne sera pas au cours de cette décennie !

Angela Merkel agit donc en fine tacticienne : elle donne l'impression de céder du terrain pour séduire ses futurs alliés sociaux-démocrates ou verts après les élections de 2013 et - en passant - les opinions publiques européennes. Mais elle peut afficher la continuité et la cohérence face à son électorat conservateur. Du Angela Merkel pur et dur. Mais en attendant, à Athènes, la crise continue et la population souffre. Contrairement à ce qu'elle affirme haut et fort dans Bid Am Sonntag, c'est bien sa réélection seule qui inspire aujourd'hui la politique européenne de la chancelière allemande. Et c'est tant pis pour l'Europe.