Ce projet d'hydrolienne 100% "Made in France" qui dérange...

Par Michel Cabirol  |   |  1164  mots
Un montage visuel de l'hydrolienne de CMN et Hydroquest sur le site de Cherbourg de CMN
Un consortium tricolore Searieus composé du chantier naval CMN, de la start-up grenobloise Hydroquest et de l'opérateur en énergie verte Valorem, propose aux pouvoirs publics une hydrolienne 100 % française. Mais l'Ademe trouve ce projet trop risqué...

C'est peut-être un projet qui dérange... De quoi parle-t-on ? D'une hydrolienne 100 % "Made in France", proposée par le consortium tricolore Searieus - le chantier naval Constructions Mécaniques de Normandie (CMN), la start-up grenobloise Hydroquest et l'opérateur en énergie verte Valorem - dans le cadre d'un appel à manifestations d'intérêt (AMI) "Énergies marines renouvelables - Fermes pilote hydroliennes" lancé par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Ce projet public prévoit l'installation au dernier trimestre 2015 de fermes pilotes hydroliennes marines sur deux sites, le Raz Blanchard en Basse-Normandie et la Zone du Fromveur en Bretagne.

Le projet de CMN et Hydroquest serait trop risqué, estimeraient de hauts fonctionnaires. Car face à Searieus se dressent, à l'exception du petit Poucet français Sabella basé à Quimper, de très grands consortiums aguerris à l'image d'Alstom et GDF Suez, de DCNS et EDF Energies Nouvelles, de Siemens et UNITe, de Voith Hydro et GDF Suez, qui ont été attirés par ce projet public doté d'une enveloppe de 120 millions d'euros. Mais ils proposent tous  une technologie étrangère... tandis que CMN et Hydroquest proposent de développer une filière française de la phase Recherche & Développement (R&D) à celle de la fabrication en passant par le design (Grenoble et Cherbourg).

Pour faire partie des heureux élus, Searieus estime qu'il faudrait que l'Ademe choisisse trois consortiums. Or, l'Agence, qui doit prendre une décision le 7 novembre (décision qui  devra être entérinée par le Premier ministre Manuel Valls), se dirigerait plutôt vers la sélection de deux consortiums, voire d'un seul. En complète contradiction avec la volonté gouvernementale de favoriser les ETI (entreprise de taille intermédiaire) à l'image de CMN (entre 70 et 150 millions de chiffres d'affaires en moyenne) et de Valorem ou encore les start-up françaises, comme Hydroquest.

Une filière 100 % française

Avec l'appui et l'expertise de l'Université de Caen, CMN et Hydroquest ont déposé le dossier Searieus le 16 mai dernier portant sur la réalisation d'une ferme pilote de 10 hydroliennes de 1,3 MW chacune dans la zone du Raz Blanchard raccordée au réseau électrique local pour une puissance totale installée de 13 MW (pour un coût de 60 millions d'euros environ). Les dix machines seraient mises en service en 2019. Ils ont également proposé à l'Ademe une option avec sept machines pour une puissance installée de 9,1 MW (40 millions environ). L'objectif pour les deux partenaires est de tester l'installation et le fonctionnement d'une ferme d'hydroliennes à une échelle pré-commerciale. Et in fine, de valider le concept de cette machine sur le plan technique et commercial pour la proposer à l'exportation.

"Le projet Searieus représente une opportunité concrète de créer une filière 100 % française de l'hydrolien, au service de la transition énergétique, par l'alliance d'une start-up iséroise pour la conception (Hydroquest), d'un industriel normand pour la construction (CMN), et d'un énergéticien girondin pour l'exploitation (Valorem)", explique CMN dans un communiqué publié le 28 octobre à la suite de l'entrée de CMN dans le capital d'Hydroquest (10 %). Cette nouvelle activité serait développée à Cherbourg, une ville chère au ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, sur les sites de CMN. Selon les différents scénarios de développement commercial, le chantier naval prévoit entre 500 et 1.000 emplois créés pour la fabrication et la maintenance de 350 à 1.050 hydroliennes. Ce pari gagné, il s'engage même à rembourser à l'Etat l'intégralité de l'avance remboursable de l'AMI.

Une expérience dans les hydroliennes

Pour ceux qui ont été surpris de voir débouler CMN et ses partenaires dans les énergies marines renouvelables, on rappelle au sein du chantier naval que le consortium ne part pas de zéro. Concrètement, Hydroquest, qui se partage neuf brevets avec son partenaire initial EDF et dix ans de recherche et développement (R&D), a installé depuis mai 2013 un prototype d'hydrolienne fluviale sur le fleuve Oyapock d'une puissance de 10 kVA pour alimenter en électricité la commune isolée en Guyane près de la frontière brésilienne, Camopi (plus de 1.600 habitants).

Ce dispositif présente l'avantage sur le photovoltaïque de produire une énergie prévisible, nuit et jour, sans intermittence mais liée à la vitesse du courant du fleuve. Une expérimentation qui permettra si elle est concluante une diversification des sources d'énergies renouvelables pour les communes isolée de l'intérieur de la Guyane et d'ailleurs. Un projet est également en cours à Orléans où Hydroquest doit installer cette semaine une machine. Au total, cinq machines sont actuellement en service. CMN et Hydroquest estiment que l'Afrique avec des infrastructures déficientes représente un fort potentiel commercial.

De l'hydrolienne fluviale à l'hydrolienne marine

C'est à partir de l'architecture de l'hydrolienne fluviale jugée très prometteuse que CNM et Hydroquest ont développé une hydrolienne marine 100 % française. "Son concept simple et robuste réduit les coûts de fabrication, d'opération et de maintenance", estime le patron du développement de l'activité Energies marines renouvelables chez CMN, Guillaume Gréau. Selon lui, le rendement de cette machine de 230 tonnes, qui a été testée dans les centres d'essai de la direction générale de l'armement (DGA), est estimé à 40 %, "autant que les meilleures machines" actuellement sur le marché. Et l''estimation serait plutôt conservatrice.

Pour autant, cette hydrolienne bénéficie d'astuces technologiques intéressantes. D'abord les turbines à flux transverse sont très peu sensibles à l'orientation du courant. Ce qui n'est pas le cas de toutes les hydroliennes en service actuellement. En outre, CMN et Hydroquest peuvent augmenter la puissance grâce à la modularité de Searieus. "Il y a la possibilité de rajouter des étages pour s'adapter aux différentes profondeurs", explique Guillaume Gréau. Enfin, l'hydrolienne est surélevée de 8 à 10 mètres du sol pour éviter les dommages provoqués par les pierres entraînées par les forts courants du Raz Blanchard. Une recommandation de l'université de Caen.

CMN prêt à investir su Cherbourg

Pour CMN, qui devra investir 5,7 millions d'euros dans le projet du Raz Blanchard avec à la clé entre 100 et 150 emplois, c'est l'opportunité de se lancer dans les énergies marines renouvelables. D'autant que le marché France et Grande-Bretagne représenterait entre 7 et 11 GW. Selon Guillaume Gréau, le marché mondial serait évalué à 70 GW (soit environ 35.000 machines). Le projet public piloté par l'Ademe devrait permettre aux industriels d'acquérir une expérience en vue de consolider leurs futures offres commerciales en France et à l'international.

Dans ce cadre, CMN est prêt à investir jusqu'à 37 millions d'euros à Cherbourg. Car il prévoit la fabrication de 20 hydroliennes en 2020, puis une montée en puissance sur la période 2021-2027 (70 en 2021 puis 100 machines par an, soit 670 au total). Une activité qui pourra lui permettre d'amortir les cycles de la construction navale militaire très cyclique. Et de pérenniser le site de Cherbourg. Pour CMN, à l'image de DCNS, les énergies marines renouvelables peuvent devenir un vrai relais de croissance.