Jean-Pierre Jouyet : "les banques doivent maintenant accepter les sacrifices"

Par Propos recueillis par Christèle Fradin et Philippe Mabille  |   |  1420  mots
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L'Europe avance vers un accord sur la crise des dettes souveraines, mais la balle est désormais dans le camp des banques, prévient le président de l'AMF. Il appelle aussi Michel Barnier à aller plus loin dans la réforme des marchés financiers.

De votre point de vue, l'Europe approche-t-elle d'une solution sur la crise des dettes souveraines ?

Il y a eu ce week-end plusieurs progrès. Sur le cas grec, je crois qu'on est à peu près arrivé à un accord. Le versement des 8 milliards d'euros d'aides est décidé. On a pris en compte la détérioration de la situation en dépit des efforts faits par les autorités grecques, le taux de décote sur les dettes grecques va augmenter - on parle d'un minimum de 50 % - sans pour autant avoir besoin de modifier le cadre juridique de l'accord ratifié le 21 juillet par les pays de la zone euro. Le deuxième acquis, c'est la réforme de la gouvernance de la zone euro. On va nommer Herman Van Rompuy président du conseil de l'Eurozone, on va renforcer les pouvoirs du commissaire à l'Économie et aux Finances et on va vers un secrétariat permanent de la zone euro choisi parmi les directeurs du Trésor. Il sort clairement de cette crise une zone euro plus intégrée économiquement.

Troisièmement, on a avancé sur la répartition de l'effort financier à faire entre le secteur privé et les États. À l'heure actuelle, cela reste le point le plus difficile. Au total, on arrive à un besoin de recapitalisation de 108 milliards d'euros pour les banques qui ont des expositions aux dettes souveraines de plusieurs pays en difficulté. De leur côté, les États mettent environ 110 milliards d'euros sur la table via le fonds européen de soutien (FESF), à confirmer lors du sommet de ce mercredi soir. Ce partage me semble assez équilibré. Les banques doivent maintenant accepter les sacrifices nécessaires. Beaucoup du succès de la deuxième réunion de l'Eurozone est entre leurs mains.

Certes, mais comment forcer les banques à accepter ce défaut « volontaire » ?

Il est dans l'intérêt de la communauté des investisseurs de traiter de ce genre de situation par un accord volontaire, plutôt que par un défaut formel, car les conséquences juridiques et financières de la seconde option sont nettement plus difficiles à maîtriser. Ainsi, en est-il des contrats de « credit default swaps » (CDS, assurances contre le risque de défaut sur une dette).

Quel rôle est appelé à jouer le fameux FESF ?

Il ne reste plus que deux solutions, la piste bancaire défendue par la France ayant été écartée. Soit on fait levier sur le fonds actuel en le transformant en un mécanisme assurantiel de garantie des émissions de dettes souveraines, pour réanimer le marché primaire. Soit on crée un véhicule juridique spécial adossé au FESF, mais capable d'élargir les sources de financement au FMI, aux fonds souverains et à d'autres investisseurs privés. Le sujet des fonds souverains, très utiles au demeurant, doit être assumé, car quelles seront les contreparties demandées par ces fonds à l'Union européenne en échange ?

Au final, et malgré ce qu'on a pu lire çà ou là, les avancées du week-end sont positives. Mais les marchés, pour être rassurés sur le risque de contagion, voudront une Europe politique encore plus forte ! Une bataille sera, je l'espère, gagnée mercredi, mais pas encore la guerre. Celle-ci se jouera sur la consolidation budgétaire et l'intégration politique réelle.

Est-ce que cela veut dire que c'est la conception allemande de la zone euro qui l'emporte ? Et que la France a perdu la bataille d'influence ?

Mais comment pourrait-il en être autrement ? L'Allemagne est aujourd'hui le modèle économique et budgétaire le plus performant en Europe. Elle est devenue un centre de gravité économique et budgétaire, ayant beaucoup apporté à l'union monétaire. La France, de ce point de vue, n'a pas perdu, tout simplement parce qu'elle ne peut pas gagner tant que les mêmes efforts n'ont pas été conduits.

Comment avez-vous accueilli la proposition de Michel Barnier pour réformer la directive Marchés d'instruments financiers ?

Michel Barnier partait de très loin. Il est, à mon sens, parvenu à rééquilibrer le système sur trois points essentiels : ramener les produits dérivés standardisés et liquides vers des marchés ou plates-formes transparents, renforcer la protection des clients grâce notamment à la possibilité de classer certains OPCVM coordonnés comme complexes, ce qui n'est pas possible aujourd'hui, ou instaurer un mécanisme de reconnaissance mutuelle vis-à-vis des pays tiers pour les activités et entités transfrontières.

Mais le texte manque d'ambition sur la structure des marchés actions. Le nouveau statut de système organisé de négociation (OTF), introduit par la Commission européenne, avec l'idée de limiter l'OTC [les échanges réalisés hors marché, Ndlr] apparaissait dans le principe comme un vrai progrès. Pourtant, ces OTF n'apportent aucune garantie équivalente à celle d'un marché réglementé ou d'une plate-forme quant à la formation des prix ou à la transparence. Sanctuariser des dispositifs qui ne traitent pas de manière égale les investisseurs en raison de règles de fonctionnement discrétionnaires ne me paraît pas promouvoir une concurrence juste et efficace. Lors de la consultation sur le projet de révision de directive lancé par Bruxelles l'an passé, nous avions proposé que l'activité des OTF soit limitée et qu'au delà de 0,25 % de part de marché, ils deviennent de vraies plates-formes multilatérales (MTF). De plus, ce nouveau statut risque de faire le jeu des banques d'investissement.

Que prônez-vous pour limiter l'OTC sur les actions ?

Nous voulons qu'il y ait, à l'instar de ce qui a été fait pour les dérivés, un encouragement pour que les transactions soient rapatriées vers les marchés réglementés et les MTF [systèmes multilatéraux de négociation, Ndlr]. Avec cet entre-deux, l'OTF, je crains que le mouvement ne s'inverse et que les actions, encore en majorité négociées sur des marchés réglementés ou de vraies plates-formes transparentes, passent désormais sur ces nouveaux systèmes. En outre, le système de dérogation à la transparence avant négociation reste trop étendu, vidant le principe de transparence de sa substance et laissant la part belle aux « dark pools ». Les lobbies financiers, et celui de la City notamment, savent y faire ! Pour nous, les exemptions à la règle de transparence doivent clairement être limitées aux seuls échanges de blocs d'actions.

Faut-il alors revenir en arrière, avant même la MIF version 1 ?

Je pense sincèrement que nous sommes arrivés à un excès en matière de financiarisation, d'opacité des transactions et de fragmentation de la liquidité entre les différents lieux d'exécution, mais aussi à un excès de pouvoirs des marchés sur les choix politiques. Il est grand temps de reprendre la main en matière de régulation des marchés. La directive MIF devait offrir plus de concurrence entre marchés pour une meilleure exécution des ordres, une réduction des coûts de transactions et plus de liquidité pour financer l'économie. Mais, comparé à ses conséquences néfastes, le compte n'y est pas. La puissance du politique, la puissance des autorités de régulation ne peut s'affirmer que par la transparence et l'organisation des marchés... bien plus que par des limites imposées aux rémunérations ou aux bonus. La nouvelle version de la directive MIF doit être un axe fondamental de ce qu'est le modèle de marché européen. Nous ne voulons pas d'un marché de dupes. C'est le seul combat politique à mener.

Pour le grand public, tout cela reste incompréhensible. Cette complexité n'explique-t-elle pas le manque de confiance dans la finance ?

Il est vrai que les marchés sont devenus trop complexes, trop sophistiqués et éclatés. Aujourd'hui, les marchés bouleversent tout : les matières premières, les banques, les dettes souveraines, le niveau des politiques de rigueur à mettre en place... Certes, ils n'ont pas tort sur tout. Mais le retour de la confiance passe par une reprise en main du politique sur les marchés. Et là encore, il faudra se poser la question de savoir jusqu'où va l'intégration au sein de la zone euro. En tout état de cause, la zone euro ne peut se laisser dicter son avenir ni la façon dont elle doit organiser sa gouvernance économique et budgétaire par ceux qui en sont en dehors. Or, c'est ce qui se joue actuellement.