Kalanick (Uber) à Macron  : "Les fabricants de voitures ont-ils payé pour la disparition des chevaux  ? "

Par Philippe Mabille  |   |  819  mots
Selon Travis Kalanick, Uber, en créant de nouveaux emplois, permet à l'Etat d'encaisser des taxes et des cotisations sociales qui n'existeraient pas sinon.
A une semaine d'une grève des taxis qui s'annonce dure à Paris, Emmanuel Macron a rencontré, jeudi soir à Davos, le fondateur d'Uber, Travis Kalanick, en marge d'une soirée organisée par Google. Mais... pas facile de convaincre Uber de payer pour indemniser les taxis pour la baisse de valeur de leur licence induite par la déréglementation du secteur du transport de personnes en France.

Davos, c'est aussi l'occasion de faire des rencontres, y compris les plus improbables. Non inscrite à son agenda officiel, la participation d'Emmanuel Macron à la soirée organisée par Eric Schmidt, le patron de Google, jeudi soir, a offert au ministre de l'économie l'opportunité de passer un moment avec Travis Kalanick, le fondateur d'Uber. Emmanuel Macron a officialisé cette rencontre au sommet ce vendredi lors d'une rencontre avec la presse internationale.

Le ministre, qui voit en Uber, et de façon générale, dans la libéralisation du secteur du transport, un instrument de création d'emplois nouveaux et d'inclusion sociale des jeunes des quartiers défavorisés, a tenté de convaincre Travis Kalanick de la nécessité pour Uber de tenir compte de l'environnement réglementaire français.

Indemniser les taxis ? "No" catégorique de Kalanick à Macron

A une semaine d'une grève des taxis qui promet d'être « dure », et alors que le patron des taxis G7, Nicolas Rousselet, accuse dans "Les Echos" Uber de faire travailler 40% de clandestins, et réclame l'interdiction de la plateforme américaine, Emmanuel Macron cherche à pacifier le débat, devenu encore plus empoisonné depuis que Uber a annoncé cette semaine l'ouverture de sa plateforme aux taxis. Une véritable déclaration de guerre à G7.

Mais le dialogue entre le ministre et Travis Kalanick a vite tourné à l'impasse. A Emmanuel Macron, qui évoquait l'hypothèse qu'Uber indemnise au moins en partie la perte de valeur des licences des chauffeurs de taxis (notamment des 2.000 ou 3.000 derniers arrivés, qui l'ont payé au prix fort), le fondateur d'Uber a opposé un « no » catégorique.

« Les fabricants de voitures ont-ils payé pour la disparition des chevaux? », a ainsi rétorqué Travis Kalanick.

Kalanick: Uber crée des emplois, à l'Etat français d'indemniser

Et de renvoyer l'argument au ministre français : si indemnisation il doit y avoir, c'est au contribuable français de payer, car Uber, en créant de nouveaux emplois, permet à l'Etat d'encaisser des taxes et des cotisations sociales qui n'existeraient pas sinon... Bref, un dialogue de sourds donc, entre une vision libérale californienne, et un ministre réformateur adepte du compromis social. Cela fait penser au bon mot prononcé par Emma Marcegaglia, la patronne du groupe pétrolier ENI et ancienne patronne des patrons italiens lors du débat avec Manuel Valls :

«Quand il y a une innovation, les Américains en font un business ; les Chinois la copient ; et les Européens la réglementent... ».

Emmanuel Macron connaît bien le sujet de la libéralisation du transport de personnes puisqu'il a été le rapporteur de la commission Attali 1 qui, en 2008, avait proposé déjà de déréglementer la profession de taxis et de faire sauter le numerus clausus. Selon le ministre, une indemnisation des licences qui sont le seul patrimoine des chauffeurs est légitime, et ne coûterait pas si cher. De 300 à 500 millions d'euros, selon le nombre de chauffeurs concernés et le prix de la licence. Une goutte d'eau pour un Uber valorisé plus de 60 milliards de dollars, et qui risque, à force de refuser de tenir compte des environnement locaux, de se faire sortir des pays les uns après les autres.

Airbnb a su se montrer plus souple...

C'était d'ailleurs l'un des arguments d'Emmanuel Macron à l'intention de Travis Kalanick : acceptez d'indemniser la perte de valeur des licences, et votre image auprès des chauffeurs s'améliorera. Vous gagnerez plus au final à vous montrer plus souple. C'est ce qu'a fait AirBnB, la plateforme de location d'appartements, en acceptant de collecter la taxe de séjour pour la Ville de Paris. Depuis, AirBnB est mieux accepté, malgré la persistance de problèmes avec les loueurs professionnels, alors que Uber demeure l'archétype de la "bad company" aux yeux d'une partie de l'opinion.

Vers la création d'un fond d'indemnisation des taxis ?

S'il n'a pas infléchi à Davos la position du fondateur d'Uber, Emmanuel Macron a au moins eu le mérite d'essayer, alors que tout débat est aujourd'hui totalement impossible en France sur cette question. Déjà à l'été, Emmanuel Macron n'était pas arrivé à réunir autour d'une même table ronde chauffeurs de taxis et VTC, dont Uber. Peut-être que cela finira par arriver un jour... A Bercy, on réfléchit en fait depuis plusieurs mois à la création d'un fonds d'indemnisation pour racheter les licences des taxis et remettre ainsi les compteurs à zéro, nous confirme un proche du dossier. Reste à trouver les modalités techniques et surtout politiques d'un fonds "taxi". Avec au fond une seule bonne question : qui paye ? Les plateforme de VTC, en particulier Uber ? Le contribuable, à l'image du fonds d'indemnisation des mineurs ? Les deux ? L'affaire est devenue si urgente que des développements nouveaux pourraient intervenir dans les prochaines semaines... Surtout si la prochaine grève des taxis accentue la pression sur Uber et le gouvernement.