Brexit : et maintenant ?

Par Florence Autret, à Bruxelles  |   |  1296  mots
Theresa May, Premier ministre britannique.
Après neuf mois de préparatifs, Theresa May a lancé mercredi les négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne avec de grandes ambitions et un projet qui, espère-t-elle, lui permettra d'obtenir un divorce bien plus avantageux que beaucoup ne prédisent.

Mercredi à l'heure du déjeuner, l'ambassadeur britannique Tim Barrow a remis au président du Conseil européen la lettre signée la veille au soir par Theresa May confirmant la demande britannique de sortie de l'Union européenne.

« Les voilà, les six pages... », a déclaré Donald Tusk quelques minutes plus tard dans une brève allocution.

« Je n'ai pas de raison de prétendre qu'il s'agit d'une belle journée... Vous nous manquez déjà », a-t-il ajouté.

D'ici au divorce effectif, au terme des deux années de négociation prévues par le traité, la route, toutefois, sera encore longue.

Les Vingt-sept se donnent un mois pour arrêter leur position

Le prochain rendez-vous a été fixé le 29 avril, date à laquelle Donald Tusk a convoqué un sommet européen. Les chefs d'État et de gouvernement se prononceront alors sur des « lignes directrices », en clair des principes de négociation, et sur un mandat pour leur négociateur en chef, Michel Barnier. Ces principes commenceront à circuler dans les capitales à partir de ce vendredi, ce qui annonce une intense activité diplomatique entre capitales dans les semaines à venir.

Une des questions clés à laquelle il faudra répondre concerne la séquence des discussions. Dans sa lettre, Theresa May insiste - l'expression revient quatre fois - sur son souhait de « s'entendre sur les termes du partenariat futur en même temps que sur ceux du retrait de l'Union européenne ». Ce n'est pas tout à fait la musique qu'a fait entendre ces derniers jours Michel Barnier. L'ancien commissaire français a au contraire insisté sur la nécessité de se mettre préalablement d'accord sur quelques principes de sortie, concernant en particulier le « solde de tout compte » britannique, le traitement des citoyens « étrangers » et la frontière irlandaise, avant de parler de l'avenir.

Tout le monde s'attend à ce qu'une période de transition sépare la sortie de l'entrée en vigueur du nouveau « deal ». Thesera May appelle de ses vœux une transition « la moins perturbatrice » possible. Mais, sur le continent, on ne veut pas de quasi statu quo après 2019.

Un jeu de billard à multiples bandes

Si le Royaume-Uni reste membre à part entière de l'Union européenne jusqu'à sa sortie officielle, l'Union européenne fonctionnera à partir de maintenant selon deux « formats » : à vingt-sept pour tout ce qui concerne les négociations avec Londres, à vingt-huit pour le reste. Une fois dotée de son mandat, la Commission européenne rapportera donc à une formation spéciale du « CAG », le conseil des ministres des Affaires étrangères où ne siègera pas le Royaume-Uni. Tout l'enjeu, pour Bruxelles, sera donc de préserver l'unité du groupe des vingt-sept, ne serait-ce que pour ne pas faire le jeu de Londres. Il ne fait aucun doute que la négociation va rapidement devenir un enjeu de politique nationale, qu'il s'agisse du traitement des citoyens britanniques sur le Continent et continentaux au Royaume-Uni, de la concurrence entre places financières ou encore de la défense. Michel Barnier s'y prépare, qui a d'ores et déjà averti qu'il voulait assurer une certaine « transparence » à l'exercice. Une façon de prendre au mot les capitales nationales qui ont toutes fait vœu d'unité à Rome.

Le rôle exact que jouera le Parlement européen dans ce jeu reste une inconnue. En se choisissant comme « coordinateur » l'ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt, actuel chef du groupe libéral et personnalité connue pour ses positions intransigeantes sur la vocation fédéraliste de l'Union européenne, il a marqué son intention de ne pas rester un « silent partner ». Il sera, comme les parlements nationaux, invité à voter sur l'accord final, mais ne sera pas autour de la table des vingt-sept aux côtés de la Commission européenne.

Que Londres reste autour de la table pour tout ce qui ne touche pas au Brexit ne manquera pas non plus de soulever des problèmes. Quel jeu jouera notamment Londres quand il s'agira par exemple de négocier la réglementation financière ou d'entamer la négociation, toujours très conflictuelle, du budget européen pour 2018 ou 2019 ?

Et les vingt-sept, dans tout cela ?

Bruxelles a tout fait pour sanctuariser la négociation avec Londres, en créant des équipes ad hoc tant à la Commission qu'au Conseil européen. Il n'empêche : la sortie du Royaume-Uni pose la question de l'avenir de l'Union tout court. Comme l'a écrit l'historien Luuk van Middelaar dans le quotidien Le Monde, les crises successives de ces dernières années ont introduit dans son fonctionnement une dose inédite d' « improvisation ». Cette « politique des évènements », qui s'impose à côté de la « politique des règles », paradigme traditionnel d'une construction essentiellement basée sur des traités et sur la dialectique entre ses institutions politiques et sa cour de justice, a chamboulé les règles du jeu et révélé le rôle dominant de Berlin. Or sur la route du Brexit, des « évènements » ne manqueront pas de continuer à chahuter la routine bruxelloise, qu'ils résultent des ratés de la politique économique de la zone euro ou d'évènements extérieurs, comme les migrations ou les relations avec Moscou et Washington. Selon cet intellectuel néerlandais, le projet européen ne pourra survivre que s'il accepte, enfin, la contestation en son sein.

Or, pour l'instant, les instances européennes n'ont pas réellement réussi à intégrer cette contestation, qu'elle vienne du Premier ministre hongrois, Viktor Orban, de son homologue grec Alexis Tsipras ou de l'ancien ministre des Finances Yannis Varoufakis. Il semble difficile d'attendre deux ans que la « question britannique » soit réglée avant de s'interroger sur la manière d'avancer vers cet optimum de sécurité et de prospérité que réclament les citoyens européens.

Le sommet de Bratislava de septembre 2016, convoqué immédiatement après le référendum britannique, visait justement à acter la nécessité d'une « relance » sur le terrain de la sécurité et de la politique migratoire, notamment. Depuis, bien peu a été décidé, faute notamment d'impetus franco-allemand.

2019 : année de tous les dangers

Michel Barnier a annoncé qu'il souhaitait conclure la négociation du Brexit à l'automne 2018, de façon à laisser le temps aux gouvernements nationaux de faire ratifier, par leur parlement ou par référendum, le traité de sortie et, éventuellement, un nouveau partenariat. L'expérience a montré que l'exercice de ratification était pour le moins périlleux, tout vote sur un traité européen étant pris en otage par des enjeux de politique intérieure qu'il est pour l'instant impossible de prévoir.

Les ratifications interviendront de surcroît au moment où les partis européens se mettront en ordre de bataille pour renouveler le Parlement européen, au printemps 2019. En 2014, ils avaient obtenu de faire dépendre la présidence de la Commission européenne du résultat de ce scrutin en faisant des « Spitzenkandidaten », leur tête de liste les candidats à la présidence de la Commission européenne. C'est ainsi que Jean-Claude Juncker, chef de file du parti populaire européen, accéda à la présidence de la Commission. Mais cette expérience visant à « politiser » Bruxelles pourrait être contrecarrée sous la pression des évènements. Rien ne dit qu'elle sera reproductible.

Le Brexit ne peut que renforcer le poids, déjà prédominant, de l'Allemagne dans le concert européen. Le prochain chancelier - ou la prochaine chancelière - jouera-t-il (elle) la carte des institutions communes ou pas ? La question reste entière. Finalement, la seule chose dont les Européens puissent être certains à ce jour est qu'en 2019 ils ne seront plus que vingt-sept.