Le Brexit, une provoc « so british »

Par Florence Autret  |   |  810  mots
Au total, cet accord n'est pas tant un costume taillé sur mesure pour Monsieur Cameron qu'une révision des traités à vingt-huit, où s'expriment les principales forces centrifuges actuellement à l'œuvre dans l'Union.
Le 19  février prochain, il y a de fortes chances pour que David Cameron rentre à Londres avec un « deal ».

Depuis le début du mois, les diplomates ne ménagent pas leur peine pour arrondir les angles et « faire bouger le texte » de l'accord présenté le 2 février par le président du Conseil Donald Tusk au Premier ministre britannique, de façon à ce qu'il reçoive l'aval unanime des chefs d'État et de gouvernement qui se réuniront ce jour-là à Bruxelles.

Est-ce que cela suffira pour que les Anglais votent « non » à la sortie - « Brexit » -, c'est-à-dire qu'ils votent pour rester dans l'UE ? Rien n'est moins sûr, car la question de l'appartenance à l'Union européenne prend aux tripes les Britanniques, travaillés depuis des années par une presse tabloïd viscéralement eurosceptique. Or, cette offre de la Commission reflète la complexité et la subtilité du compromis européen qui répugne tant aux Britanniques.

Mais enfin, admettons que cela marche et qu'à partir de cet été, il faille appliquer l'accord. Alors, les vraies difficultés vont commencer. Car ce texte est bien plus qu'un costume taillé sur mesure pour le Royaume-Uni. C'est une petite révolution
pour l'Union européenne tout entière.

Voyons par exemple par quels arguments jésuitiques, il accorde le droit au Royaume-Uni de limiter l'accès des autres Européens travaillant sur son territoire aux bénéfices sociaux et même de restreindre tout court l'accès à son marché du travail.

« Des membres des forces actives sont attirés par certains territoires sans que cela soit la conséquence de marchés fonctionnant bien », peut-on y lire.

En d'autres termes, la liberté individuelle ne vaut que si elle est le fruit d'une force de marché fonctionnant bien. Voilà l'argument le plus contraire aux principes de liberté et de concurrence, lesquels sont justement censés créer une pression sur les marchés - et les gouvernements - pour qu'ils s'adaptent à la société... et non l'inverse. Qu'il soit le fruit d'une revendication britannique ne manque pas d'ironie.

Au nom de cette doctrine étrange, nous sommes sur le point d'ouvrir une brèche dans la libre circulation qu'il sera bien difficile de refermer. Car les justifications proposées pour limiter l'accès au marché du travail sont très générales : réduction du chômage, protection des travailleurs vulnérables, risque de déséquilibre des systèmes sociaux... Et on ne voit pas tellement pourquoi, une fois que le Royaume-Uni aura obtenu de tels aménagements pour des raisons aussi générales que le mauvais fonctionnement du marché ou le chômage, d'autres ne soient tentés d'en demander le droit.

Le plus drôle est que la Pologne, très réservée sur ces dispositions qui visent des centaines de milliers de ses concitoyens partis chercher fortune au Royaume-Uni, a déjà annoncé qu'elle allait augmenter ses salaires et améliorer ses prestations sociales. Quand Varsovie donne une leçon de libéralisme à Londres...

La libre circulation n'est pas le seul sujet

Les passages sur l'union monétaire valent également le détour. L'accord prévoit notamment la création d'une nouvelle minorité de blocage au sein du Conseil européen, au bénéfice uniquement des pays non membres de la zone euro... qui pourront bloquer la législation propre à la zone euro. Un « droit de veto » contre lequel s'est insurgé Martin Schulz, lequel ne verrait que des avantages à passer dans l'histoire comme celui qui aura créé une chambre de la zone euro au sein de l'assemblée européenne qu'il préside.

Londres a également obtenu que l'on pose le principe d'un double jeu de législation secondaire en matière financière. Or, toute l'efficacité de la régulation financière dépend justement de la législation secondaire, ces centaines de normes techniques
qui peuvent avoir une influence sur les opérateurs.

Cette histoire de règles techniques différenciées pour les membres de la zone euro et les autres est si énorme, tellement en contradiction avec toute la politique menée jusqu'à présent et consistant précisément à éviter le moins-disant réglementaire, en particulier de la City, que les services de Jonathan Hill, le commissaire britannique chargé de la régulation financière, assurent qu'ils n'en ont jamais entendu parler avant, et qu'ils n'ont aucune idée de ce que cela veut dire... On se pince ! Au total, cet accord n'est pas tant un costume taillé sur mesure pour Monsieur Cameron qu'une révision des traités à vingt-huit, où s'expriment les principales forces centrifuges actuellement à l'œuvre dans l'Union. Celle-ci ne survivra donc à ce relâchement du pacte commun qu'à condition d'enchaîner rapidement sur la création d'un premier cercle
de pays, les membres de la zone euro, qui suivraient, eux, le mouvement inverse, celui d'une union (vraiment toujours) plus étroite.