Unis dans... l'adversité

Par Florence Autret  |   |  670  mots
Le deal passé par les Européens avec la Turquie d'Erdogan montre qu'une nouvelle diplomatie européenne est en train de s'inventer. Et avec Donald Trump qui veut se désinvestir de l'Otan, l'Europe va devoir sortir du cocon rassurant de la Guerre froide. (Photo: Angela Merkel, entre Vladimir Poutine et Tayyip Erdogan, lors du G20 de Hangzhou, en Chine, le 4 septembre 2016)
L'Union européenne se prépare en 2017 à une révolution avec deux évènements majeurs : l'entrée en fonction de l'administration Trump qui veut se désengager de l'Europe, et l'ouverture des négociations avec le Royaume-Uni sur le Brexit.

L'année 2017 n'est pas celle de tous les dangers, mais de la transition vers un système plus intergouvernemental dont la survie dépendra de la capacité de tous à accepter et contenir la domination de l'Allemagne. Sans grande conférence intergouvernementale, sans convention, sans nouveau traité, l'Union européenne se prépare en 2017 à une révolution à laquelle, contrairement à ce qu'en disent les Cassandre, rien ne dit qu'elle succombe. Deux évènements majeurs la façonneront : l'entrée en fonction de l'administration Trump, d'un côté ; l'ouverture des négociations avec le Royaume-Uni, de l'autre.

Depuis soixante-dix ans, l'Union européenne vit de la croyance - en partie vraie - qu'elle peut offrir un projet concurrent aux États-Unis, plus juste, moins fondé sur la puissance, et de l'acceptation que sa survie dépend du grand frère américain. L'arrivée du magnat de l'immobilier à la Maison Blanche va obliger les Européens à faire le deuil de cet encombrant autant que rassurant « surmoi ». Avec Donald Trump qui veut se désinvestir de l'Otan, se rapprocher de Moscou et dénigre les institutions multilatérales, la puissance américaine pourrait cesser d'être ce noeud technologique, monétaire, militaire autour duquel s'est organisée la mondialisation.

La construction européenne sort de son cocon rassurant

En perdant le cocon rassurant que formait le « camp occidental », les Européens devront prendre définitivement conscience qu'ils ont leurs propres frontières, que la Turquie n'a pas vocation à rejoindre l'Union et qu'il n'est plus question d'avoir l'imprudence de se lancer à nouveau dans une politique de rapprochement pleine d'ambiguïté avec l'Ukraine. Cette transformation a déjà commencé. Le deal passé par les Européens, sous l'égide de la chancelière allemande Angela Merkel et du Premier ministre néerlandais Mark Rutte, avec la Turquie d'Erdogan montre qu'une nouvelle diplomatie européenne est en train de s'inventer. Cette Realpolitik replace la construction européenne dans une perspective historique longue, elle la fait sortir du cocon rassurant de la Guerre froide.

Question sous-jacente du Brexit : l'Europe a-t-elle un centre ?

Mais la question des frontières pose également celle du centre. L'Union a-t-elle un centre ? Ce sera l'enjeu caché de la négociation du Brexit. On entrevoit déjà que les futures relations entre le Continent et les Britanniques pourraient s'organiser autour d'un traité comparable à celui qui devrait unir à l'avenir l'Europe au Canada. Sans juridiction commune, sans institution, mais avec quelques principes de libre-échange et une étroite coopération normative.

Cet arrangement va fournir un contremodèle au système européen reposant sur des institutions supranationales. C'est pourquoi la question sous-jacente qui sera posée aux Européens, quand le moment sera venu pour eux d'approuver le deal britannique, sera celle du degré de fédéralisme qu'ils sont prêts à accepter. Les référendums et les votes parlementaires qui interviendront à la fin 2018 et au début 2019 dans les 27 pays de l'Union seront donc des consultations sur... l'Union elle-même.

Or, cette Union nouvelle qui se profile à partir de 2019 sera plus allemande qu'elle ne l'a jamais été. L'Union a été conçue dans les années 1950 pour rétablir la puissance de la République fédérale. Elle a si bien réussi qu'elle doit désormais s'employer à la contenir. De ce point de vue, la tentation de fuite en avant fédérale (il faut donner plus de pouvoir à Bruxelles) est aussi vaine que celle du repli national. La seule solution est d'investir le champ européen et de pratiquer cette diplomatie intergouvernementale qu'est devenue la politique européenne avec autant d'art que l'a fait la chancelière Angela Merkel ces dernières années.

Par Florence Autret, 
correspondante à Bruxelles

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Cet article a été publié dans La Tribune Hebdo n°195 titrée "2017 - Où va l'économie mondiale" et datée du jeudi 12 janvier 2017, jour de distribution de l'édition papier en kiosque et de diffusion de l'édition numérique (pdf).

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