Chômage : un brutal rappel à la raison

Par Philippe Mabille, directeur adjoint de la rédaction  |   |  1017  mots
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Près de 50.000 chômeurs de plus en septembre, soit la plus forte hausse depuis... avril 2009, au début de la dernière récession. Même si le gouvernement avait préparé le terrain avec Michel Sapin, le ministre du travail et sa déclaration sur « le navire lancé à pleine vitesse », la brutalité du chiffre fait d'autant plus mal que rien ne laisse entrevoir un ralentissement de la progression du nombre de demandeurs d'emplois avant de longs mois. La crise de l'euro est (peut être) derrière nous, en tout cas on peut l'espérer...En revanche, les stigmates économiques et sociaux de la saignée de l'emploi sont devant.

Bien sûr, le gouvernement rappellera, à juste titre, qu'il n'est pas resté inerte. Le gouvernement Ayrault a augmenté de 40.000 le nombre des emplois aidés et lancé les emplois d'avenir, qui s'adressent avant tout aux personnes ayant peu (ou pas du tout) de qualifications et qui sont le plus souvent situés dans les banlieues les plus déshéritées de la République. Ce pansement est utile et nécessaire, cela ne fait pas de doute. Ces emplois semi-publics et associatifs sont indispensables pour assurer la cohésion sociale et ralentir, un peu, la progression de ce fléau qu'est le chômage de masse. 100.000 emplois d'avenir seront déployés en 2013.

François Hollande a aussi raison de dire qu'il faut attendre l'effet des autres mesures, notamment son contrat de génération, qui s'adresse aux entreprises embauchant un jeune et maintenant dans l'emploi un senior. La négociation sur ce sujet a permis de parvenir à un accord rapide et un projet de loi sera présenté le 12 décembre en conseil des ministres pour une mise en ?uvre début 2013. Le gouvernement en espère 1 million d'emplois au cours des prochaines années, dont 500.000 créations de postes pour les jeunes. C'est un pari encore hasardeux, même si, c'est sûr, beaucoup d'entreprises seront tentées de profiter de l'effet d'aubaine.

Tout cela est très bien, mais cela coûtera cher au budget de l'Etat et de la sécurité sociale. C'est donc une fuite en avant dangereuse à un moment où il est indispensable de réduire les dépenses publiques. Surtout, cela ne résoudra en rien le problème principal du marché du travail en France. Celui-ci est désormais bien connu : la France a perdu 750.000 emplois industriels en dix ans essentiellement parce que le coût du travail est trop élevé dans certains secteurs exposés à la concurrence, l'automobile notamment.

Il faut donc prendre les chiffres du chômage de septembre comme un brutal rappel à l'ordre et, plus que cela, à la raison. Depuis quelques semaines, le gouvernement tergiverse sur sa stratégie économique. Un jour favorable à un choc d'offre, l'Elysée laisse fuiter que le rapport commandé à Louis Gallois préconise un choc de compétitivité de 30 à 40 milliards d'euros, financé principalement par un transfert de charges sur la CSG (préférée à la TVA comme l'avait fait voter Nicolas Sarkozy). Face à la levée de boucliers de la majorité, le gouvernement, très divisé sur l'opportunité d'une telle réforme, potentiellement impopulaire, enterre ensuite ledit rapport, parce que ce serait prendre un risque pour le pouvoir d'achat.

Soutenir l'offre ou bien la demande : le dilemme est connu. Ce n'est pas la première fois qu'un gouvernement bute dessus, souvent pour la plus mauvaise des raisons : se faire réélire. Or, il y aura des élections locales en 2014 et la gauche craint, si elle mène une telle réforme, d'y perdre des plumes. C'est un mauvais calcul. D'abord parce que ne rien faire est le plus sûr moyen de ne pas réussir à inverser la courbe du chômage et donc de perdre ces élections. Ensuite parce qu' opposer aujourd'hui la politique de l'offre et de la demande n'a guère de sens. C'est l'éternelle histoire de la poule et de l'?uf. L'une ne va pas sans l'autre, et vice versa. Or, l'explosion de la dette empêche de soutenir la demande par une politique de relance ; il faut bien commencer par agir du côté de l'offre pour relancer l'embauche et augmenter le pouvoir d'achat global des Français, donc la consommation, et enclencher ainsi un cercle vertueux. C'est ce qu'a fait l'Allemagne, avec succès, au milieu des années 2000. Plusieurs économistes de gauche, Philippe Aghion (Harvard), Gilbert Cette (Aix Marseille), Elie Cohen (CNRS) et Emmanuel Farhi (Harvard), tous proches du pouvoir, sont convaincus que c'est ce qu'il faut faire. Ils viennent de prendre position dans « Le Monde » pour dénoncer les mauvais conseils de ceux qui s'opposent à ce choc de compétitivité avec des arguments keynésiens. Selon eux, les théories de Keynes ne sont absolument pas incompatibles avec la politique de l'offre. Une réforme du financement de la protection sociale pour basculer les cotisations vers un impôt à assiette large reviendrait selon eux à une « dévaluation fiscale » qui stimulerait la compétitivité des secteurs les plus exposés à la concurrence étrangère. Et permettrait de stimuler l'activité en contournant l'impossible dévaluation monétaire.

François Hollande est désormais face à ses responsabilités. Début septembre, il avait donné un agenda clair, qui faisaient de la compétitivité et de la réforme du marché du travail les deux moteurs d'une relance économique. Et le tout dans un calendrier assez serré puisqu'il s'était engagé à accélérer le rythme. Les entreprises avaient applaudi. Cette volonté semble s'enliser dans les sables mouvants de la majorité. La brutale hausse du chômage des trois derniers mois vient rappeler à François Hollande qu'il n'a pas le droit à l'erreur et que c'est à lui de prendre des risques et de fixer le cap. Il ne sera pas jugé sur l'évolution du nombre de chômeurs cet automne, mais sur celle qui sera constatée dans un an. Pour y parvenir, un traitement économique sera plus efficace que le seul traitement social pour enrichir une croissance durablement faible en emplois.