Le Bad-Godesberg de Manuel Valls

Par Philippe Mabille  |   |  892  mots
Le mercredi 27 août 2014 fera date dans l'histoire des relations entre la gauche et les patrons.
A l'Université d'été du Medef, la gauche social-démocrate a pris le pouvoir.

Il fallait oser... Et il l'a fait. En venant, pour la première fois à l'ouverture de l'Université d'été du MEDEF, dès le lendemain de la nomination de son second gouvernement, Manuel Valls a fait une véritable déclaration d'amour aux entreprises, et enterré sans états d'âme les derniers oripeaux du vieux socialisme à la française.

" Moi, j'aime l'entreprise !"... "la France a besoin de vous "... "Il est absurde de parler de cadeaux aux patrons"... "Les impôts ont trop augmenté ces dernières années pour les ménages et les entreprises. Ce n'est plus possible"...

Inutile de dire que son discours a été chaudement applaudi par les milliers de patrons venus de toute la France. "Bravo" s'est exclamé Pierre Gattaz, le président du MEDEF qui il y a quelques mois encore tirait à boulets rouges contre les incohérences et la procrastination de François Hollande.

Le 27 août fera date

Oubliés les sifflets qui avaient émaillé les interventions des ministres socialistes lors de la précédente Université d'été en 2013. Le mercredi 27 août 2014 fera date dans l'histoire des relations entre la gauche et les patrons. Nombreux étaient ceux qui saluaient en réaction "le Bad-Godesberg" qu'a imposé hier Manuel Valls à la gauche française, en référence à l'émancipation de la social-démocratie allemande en 1959 lors d'un congrès mythique dans la banlieue de Bonn.

Si "Bad-Godesberg" il y a dans le discours servi aux patrons, et dans la tête de Manuel Valls, celui-ci reste évidemment à confirmer dans les faits.

Énonçant un programme de réformes sans tabou pour accélérer et amplifier la mise en œuvre du pacte de responsabilité, le Premier ministre n'a pas fait dans la dentelle: confirmation des 40 milliards d'euros de baisse des impôts et surtout des charges patronales d'ici 2017, confirmation de la suppression de la C3S et de la baisse de l'impôt sur les sociétés (non chiffrée néanmoins), annonce d'une volonté de simplifier le code du travail en soulignant les excès de protection dont bénéficient les salariés en France, réouverture du dossier du niveau des seuils sociaux qui semblait enterré et promesse de libéralisation du travail du dimanche...

Les chefs d'entreprise présents n'en croyaient pas leurs oreilles tandis que celles des frondeurs du PS et de certains syndicats ont dû siffler.

Feu le parti socialiste

Pourtant, Manuel Valls qui sollicitera à nouveau la confiance des députés n'a pas paru inquiet le moins du monde de trouver une majorité pour soutenir cette accélération des réformes. Il leur a aussi adressé un message d'apaisement en prévenant que la France, dans un climat de croissance faible, était légitime à invoquer des "circonstances exceptionnelles" pour adapter le rythme de la réduction des déficits.

Le cap est ainsi tracé et la gauche française sort transformée de la crise politique qu'elle vient de traverser avec la mise à l'écart des rebelles du gouvernement conduits par Arnaud Montebourg. Il y aura bien un avant et un après cette rentrée 2014 qui a forcé le calendrier d'une clarification devenue inévitable à l'intérieur de la gauche.

La gauche social-démocrate (certains diront la "gauche libertarienne") est désormais au pouvoir et veut gouverner le pays dans la clarté et la cohérence sans plus se laisser perturber par son opposition interne.

En cela, on peut effectivement parler de Bad-Godesberg voire de disparition de feu le parti socialiste tel que nous l'avons connu. Il y a quelques années, un certain Manuel Valls plaidait d'ailleurs pour que le PS change de nom.

Une chose est sûre : le Premier ministre veut chercher un autre chemin pour gouverner en appelant les partenaires sociaux et les partis politiques à "s'unir sur l'essentiel". Un appel qui ressemble à une tentative d'ouverture au centre et un programme politique qui laisse peu de place à l'UMP pour se différencier.

Le discours de l'urgence

Mais dans son discours pro-entreprise, Manuel Valls a aussi appelé le patronat à s'engager pour agir avec "responsabilité, patriotisme et confiance dans l'avenir", sans prononcer le mot "contreparties" qui fâchait depuis l'annonce du Pacte de Responsabilité. Pas de donnant-donnant, mais l'attente d'un acte de foi des entreprises dont l'environnement fiscal et social sera, promet Manuel Valls, plus favorable et surtout plus stable dans l'avenir.

Le Premier ministre a ainsi rappelé aux entreprises qu'il leur échoit une part de l'effort pour simplifier l'environnement juridique français par exemple en regroupant des branches et en réduisant le nombre des conventions collectives. Façon de dire que la complexité de la sphère publique est parfois aussi du fait des employeurs privés eux mêmes, et qu'il leur incombe de faire le ménage dans leur propre camp.

Il faut donc le reconnaître. Jamais sans doute un discours aussi franc avait été tenu par un responsable politique, même issu de la droite, devant le patronat. Il peut paraître paradoxal qu'il vienne des rangs de la gauche, mais ce paradoxe n'est qu'apparent. C'est surtout le sentiment d'urgence et l'inquiétude face au déclin du pays qui commande ce changement d'état d'esprit et du logiciel économique du pouvoir qui joue, en cette rentrée 2014, son va-tout après deux ans de zig-zags.