Dernier avertissement avant 2017

Par Philippe Mabille  |   |  1720  mots
Dés le lendemain du second tour des régionales, où la forte mobilisation des électeurs a mis le Front national en échec, la France va basculer dans la campagne pour la présidentielle de 2017. Droite et gauche sauront-ils apporter des réponses à la colère des Français?

Un mois jour pour jour après les pires attentats terroristes qu'ait connu la France depuis 1986, le dénouement des élections régionales est un bon signe pour la vitalité de notre démocratie. La forte mobilisation des électeurs au second tour, avec une hausse de 15 points de la participation par rapport au premier tour, a fait barrage, partout où le FN était en position de diriger une région, au basculement dans l'inconnu qu'eut été une application au niveau local du programme du parti de Marine Le Pen. Victime, comme lors des Départementales de mars dernier de la malédiction du second tour, le Front national ne dirigera aucune région. Mais avec plus de 6,8 millions de voix au second tour dimanche, il dépasse de 400.000 voix son record du premier tour de la présidentielle de 2012 et multiplie par trois le nombre de ses élus régionaux. C'est donc pour lui une défaite au goût de victoire, puisque ce parti conforte encore son ancrage local partout en France en donnant à ses principaux ténors des positions fortes. Et prend date pour la présidentielle de 2017 avec une part de marché électorale qui en fait le premier parti de France.

La droite, en panique au premier tour, sauve la mise en remportant 7 régions. Mais cette victoire, améliorée par la prise historique de l'Ile-de-France, est amoindrie par le fait que dans deux régions, Paca et Nord-Pas-de-Calais-Picardie, elle a bénéficié de l'apport des voix de la gauche. Comme l'a dit Nathalie Kosciusco-Morizet, si la gauche avait appliqué la doctrine du ni-ni, ni retrait ni désistement, de Nicolas Sarkozy, le FN aurait remporté ces deux régions. La gauche unie, enfin, limite de son côté la casse en conservant 5 présidence de régions, mais subit un échec assez cuisant alors qu'elle avait pratiquement réalisé le grand chelem en 2010.

Ce sursaut républicain est une bonne nouvelle pour la France qui avait montré dimanche 6 décembre un tout autre visage, plus sombre, avec le FN en tête dans six régions, suscitant l'inquiétude de nos voisins et de nos partenaires économiques, face à la perspective de voir un Front anti Euro, anti Europe et anti mondialisation prendre le pouvoir. Au terme du second tour, le danger est écarté, mais il reste réel, car c'est bien le vote du premier tour, le 6 décembre, qui constitue le baromètre de l'état, désastreux, du moral des Français.

L'alerte a été chaude et le message de sanction très net pour toute la classe politique. De ce scrutin sous tension, véritable prélude de la présidentielle de 2017, essayons de tirer quelques leçons.

1/ Pas de triomphalisme, ni à droite, ni à gauche

Aucun des responsables politiques n'a pris le risque de revendiquer une « victoire », ni les chefs de parti, ni les candidats de droite élus en PACA (Christian Estrosi), Nord-Pas-de-Calais-Picardie (Xavier Bertrand), ou en ALCA (Philippe Richert). Car si victoire il y a, elle n'est due qu'au réflexe républicain des électeurs de gauche qui ont délibérément choisi de se saborder et de voter pour le candidat républicain de droite. Ce « 21 avril » des régions qui rappelle le mauvais souvenir du duel Jean-Marie Le Pen/Jacques Chirac est un déni de démocratie et raye de la carte toute représentation de la gauche dans ces régions. Pour Nicolas Sarkozy, qui a appelé à l'unité des Républicains et à l'union de la droite et du centre, le résultat de ces élections régionales est décevant, même si la conquête de l'Ile-de-France par Valérie Pécresse conforte la droite dans son positionnement de force d'alternance pour 2017. Mais au premier tour, la vague bleue annoncée jusqu'au début de l'automne s'est échouée dans les sables d'une jacquerie populaire qui traduit une grande colère de près de 4 Français sur dix. Pour la gauche, qui s'en tire bien, après trois élections intermédiaires perdues (municipales, européennes et départementales), ces élections régionales ne sont pas non plus un grand succès. La gauche qui dirigeait toutes les régions sauf une continue de perdre du terrain et des élus de terrain, et se retrouve à la tête de seulement cinq des treize nouvelles super régions. Pour elle aussi, le premier tour le 6 décembre a été une dure sanction de la politique menée par François Hollande, qui tarde à produire les résultats escomptés.

2/ Entendre l'avertissement des électeurs qui ont voté FN

Même si le FN ne dirigera aucun région, alors qu'il était arrivé en tête dans six d'entre-elles au premier tour, le parti de Marine Le Pen va plus que doubler le nombre de ses élus et pourra peser, partout, sur les débats budgétaires et sur les grandes orientations économiques des grandes régions, dotées de compétences économiques renforcées. Mieux, le Front national, n'ayant pas à faire ses preuves à la tête d'un exécutif régional, va pouvoir se poser dans son rôle d'opposition, qui lui sert le mieux, et se servir de ce portevoix pour tirer à vue sur le "système" jusque pendant la campagne présidentielle. Face à cette situation nouvelle, droite et gauche jurent la main sur le cœur avoir entendu l'avertissement et promettent d'en tenir compte. En Paca et dans le Nord, où la gauche ne sera pas représentée, le risque est pourtant que Christian Estrosi comme Xavier Bertrand soient tentés de mener une politique proche de celle prônée par le FN, qui gouvernerait dès lors la région par procuration.

3/ Changer la façon de faire de la politique

La colère des Français a des causes multiples : Europe, mondialisation, chômage, immigration... Mais une des causes profondes de la progression du vote protestataire est le dégoût d'une proportion croissante d'électeurs pour la façon dont se fait la politique en France. Absence de renouvellement des élus, qui s'accrochent à leurs mandats comme des moules sur un rocher, fossilisation des cadres et professionnalisation du personnel politique rendent les Français notamment les plus jeunes de plus en plus hystériques. Le vote FN est aussi un vote pour donner un grand coup de balai à une « classe politique » considérée comme incapable et impuissante et il est temps que cet avertissement soit entendu. Sans tomber dans le populisme anti-élus et anti-parlement, il reste beaucoup à faire pour répondre à cette attente. A-t-on besoin de 500.000 élus locaux pour administrer la France ? A-t-on besoin de 577 députés et 348 sénateurs ? Peut-on organiser une vraie transparence sur le patrimoine des élus pour mettre fin à la corruption ou au soupçon de corruption dont ils font l'objet ?

4/ Un appel puissant à accélérer les réformes et obtenir des résultats

A l'état d'urgence politique et social que révèle cette élection doit répondre un état d'urgence économique pour remettre la France sur la voie des réformes. A 18 mois de l'élection présidentielle, François Hollande, en échec sur sa promesse principale, l'emploi, va-t-il tenir compte du message des électeurs pour accélérer la modernisation du marché du travail, pour le rendre plus flexible ? Va-t-il donner plus de pouvoirs à Emmanuel Macron, qui incarne la ligne sociale-libérale et prépare avec sa loi #noé une nouvelle vague de libéralisation de l'économie ? Ou bien va-t-il au contraire chercher à rassembler ses gauches en faisant rentrer quelques écolos au gouvernement dans le probable remaniement qui tirera les leçons de ce dernier scrutin avant 2017 ? Le temps est en tout cas compté, car dès ce lundi, le pays qui vient de vivre un retour en force de la politique, va entrer en campagne électorale. Les réponses qui seront trouvées au choc du 6 décembre 2015 donneront le ton de l'élection présidentielle et une chose est sûre, le droit à l'erreur n'existe plus. Si François Hollande puise une nouvelle légitimité dans le contexte post-attentats, son sort est désormais lié à sa capacité à obtenir des résultats rapides sur le front de l'emploi.

5/ Quelle ligne politique pour la droite ?

En remportant au finish l'Ile-de-France face à Claude Bartolone, Valérie Pécresse apporte à Nicolas Sarkozy la victoire en nombre de régions. Le président des Républicains, dont la ligne politique jugée trop à droite est contestée par ses principaux adversaires, voit certes s'écarter de sa route ses plus jeunes rivaux : Xavier Bertrand (NPDCP), Laurent Wauquiez (Auvergne-Rhône-Alpes) et Valérie Pécresse (IDF) ont d'ores et déjà prévenu qu'ils se consacreront à leur mandat (et ne seront donc pas candidats à la primaire de la droite). Mais, dès le soir du premier tour, Alain Juppé et François Fillon ont réclamé un débat sur « la ligne du parti » après les Régionales, affichant leur volonté d'affronter Nicolas Sarkozy pour proposer aux Français un projet d'alternance en 2017. Le président des Républicains va voir monter la contestation interne dès cette semaine lors de la réunion du bureau politique. Il a appelé hier à l'unité de la famille des Républicains et à l'union avec le centre et à « prendre le temps de débattre au fond des choses » pour « apporter des réponses fortes, précises, qui nous engagent » sur les « avertissements » des Français. Au programme : « l'Europe, la politique économique, le chômage de masse, la sécurité, l'éducation et l'identité ». Nicolas Sarkozy a annoncé vendredi dans « Le Figaro » la tenue d'un congrès début février, pour que, sur deux jours « chacun dise le plus librement, le plus fortement et le plus sereinement possible ce que doit être la ligne du projet ». Entre Fillon, partisan d'une ligne radicalement libérale, Juppé, partisan d'un réformisme radical, mais en gardant l'équilibre avec les centriste et Sarkozy, qui comme en 2012, veut tirer le parti sur sa droite pour reconquérir les voix parties au Front national, la bataille s'annonce sans pitié. Pour les départager, le calendrier de la primaire, prévue pour novembre, pourrait être avancée avant l'été.