La mort de l'argent, tel que vous l'avez connu

Par Michel Santi  |   |  723  mots
(Crédits : DR)
OPINION. L'usage de l'argent, en espèce, pourrait être amené à disparaître dans les années à venir au profit de valeurs digitalisées muent via des applications diverses et variées telles que WhatsApp ou encore Facebook. Un bouleversement majeur pour les Etats qui perdraient ainsi le monopole de la monnaie, ce formidable outil de légitimation de leur pouvoir. Par Michel Santi, économiste*.

Je l'annonce depuis plusieurs années : l'usage des espèces - du cash - est en voie de disparition et le Coronavirus achèvera de creuser sa tombe. Il ne set à rien de lutter contre un phénomène inéluctable car l'utilisation des billets de banque aura plus ou moins disparu de nos économies intégrées - y compris de Chine - dans 10 ans. Pour autant, l'avenir n'est pas sombre uniquement pour la monnaie fiduciaire : il l'est également pour le monde de la banque promis à un triste destin, et déclin. De fait, les banques suivront de près le cash dans les oubliettes de la finance, et ce n'est pas l'évolution cataclysmique de leurs valorisations boursières qui me contredira.

N'évoquons même pas la fermeture du nombre de branches d'une multitude de banques à travers la planète, des licenciements progressifs au profit de la digitalisation, et bien sûr des taux d'intérêt négatifs qui donnent le coup de grâce à la banque de Papa. Bref, la banque traditionnelle et le compte bancaire tel qu'on le connaît encore aujourd'hui en 2020 auront également tous deux disparus à l'horizon 2030. Que les dubitatifs s'intéressent simplement aux capitalisations dramatiques de Deutsche Bank ou de HSBC et qu'ils veuillent bien les comparer à la plateforme digitale du futur par excellence, Revolut, valorisée à près de 6 milliards de dollars.

L'avenir de la monnaie passe par le digital

Je vous laisse faire les comparaisons chiffrées mais vous conseille vivement de vous asseoir auparavant... Le fait est que les percées technologiques signifient désormais que les services financiers ne sont plus l'exclusivité des banques, ne sont même plus favorables au maintien du système bancaire traditionnel. Les banques centrales elles-mêmes, préoccupées de conserver leur contrôle sur le système monétaire, tentent fébrilement de lancer leur propre monnaie digitale.

Car l'avenir de l'argent consistera en des applications diverses et variées qui seront programmées dans le sens de l'hyper personnalisation où les besoins des consommateurs, leur solvabilité et leur épargne y seront intégrés. C'est la représentation même de l'argent qui est - de manière imminente - sur le point d'être bouleversée, chamboulée et retournée sens dessus-dessous car ce terme d'"argent" est appelé à englober très prochainement tout ce qui est susceptible d'être échangé pour une valeur quelconque...et même pour nulle valeur directement palpable ou perceptible. Sinon, pourquoi croyez-vous que Mark Zuckerberg se soit lancé dans l'introduction de Libra destinée à être monnayée sur Facebook, sur WhatsApp et sur Instagram ?

Un combat de titan

Ma prédiction ? Que l'argent de demain ne servira plus seulement à payer votre alimentation et votre essence, mais qu'il deviendra une créature taillée sur mesure pour ces réseaux - pour de multiples réseaux - autorisant les usagers à des transactions ou à de simples interactions pair-à-pair (peer-to-peer). Il est là, le changement, ou plutôt la volte-face du paradigme : l'argent est à présent indissociable de la technologie. L'argent est devenu une Data, et cette Data nous force à modifier du tout au tout notre compréhension et notre façon d'appréhender l'argent. Ce faisant, une autre révolution silencieuse - et majeure - est en train de poindre sous nos yeux et dont il est impératif de prendre conscience.

Un des attributs fondamentaux d'un Etat est d'avoir le contrôle macroéconomique de la zone dont il est responsable et, à cet effet, sa monnaie fut à l'évidence l'instrument idéal pour exercer et maintenir jusque-là sa régulation et son emprise. C'est ainsi que le impôts, libellés dans la monnaie imprimée par l'Etat, représentent un outil formidable de légitimation de cet argent. Un combat de titan, et de dimension historique, se prépare donc entre l'Etat qui utilisera toute sa force de frappe pour conserver ses privilèges et ce monde nouveau qui ne peut prospérer que grâce à la décentralisation absolue.

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier «Fauteuil 37» préfacé par Edgar Morin
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