Le quota carbone individuel au secours du climat

Par Philippe Géraudel  |   |  849  mots
Sur la base d'une estimation de la capacité de la planète à absorber 8 milliards de tonnes de CO2 en 2022, chacun des 8 milliards d'êtres humains recevrait un quota d'une tonne de CO2, soit l'équivalent des émissions d'un vol aller-retour Paris New York.
OPINION. La taxe carbone dans son concept actuel s'avère insuffisante pour remplir ses objectifs. Un quota individuel de carbone établi scientifiquement permettrait en revanche de taxer les pollueurs tout en favorisant les personnes en grande précarité des pays en voie de développement. Par Philippe Géraudel, multi-entrepreneur en nouvelles technologies de l'information et de la communication.

La création de la taxe carbone en France avait un objectif vertueux, inciter financièrement à la réduction de la consommation carbonée. Mais elle négligeait une dimension essentielle: le besoin de justice dans la répartition de l'effort. Le mouvement des gilets jaunes s'est chargé de le rappeler. Alors, quelle solution pour les décideurs publics? Comment poursuivre la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES)? Comment la rendre équitable? Mieux, comment en faire un instrument de diminution des inégalités? La solution existe: le recours à un mécanisme de "quota carbone" individuel échangeable entre individus.

Une responsabilité profondément inégale dans le réchauffement climatique

Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, les réductions globales de gaz à effet de serre (GES) décidées lors des conférences des parties (COP) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) s'avèrent un échec depuis 1995, date de la première COP tenue à Berlin il y a 25 ans. Les gains réalisés en émissions de GES au niveau mondial sont systématiquement annulés par l'accroissement des émissions de CO2 engendré par la course à la croissance.

Reste une piste : réduire très rapidement ces émissions en agissant dès maintenant sur la consommation individuelle de biens et de services. On le sait, cette consommation est profondément inégale et varie considérablement entre habitants des pays riches et habitants en grande précarité des pays en voie de développement. La responsabilité des uns et des autres dans le réchauffement climatique n'est pas comparable et l'équité exige d'en tirer toutes les conséquences. Pour y remédier, chaque individu recevra annuellement sur son "compte carbone" la même quantité de droits d'émission de GES, sorte de "droit de tirage". Ainsi, à titre d'exemple, sur la base d'une estimation de la capacité de la planète à absorber 8 milliards de tonnes de CO2 en 2022, chacun des 8 milliards d'êtres humains recevra un quota d'une tonne de CO2, soit l'équivalent des émissions d'un vol aller-retour Paris New York, alors qu'une baguette de pain représente 140 g de carbone et un kilomètre en voiture diesel 250 g.

Le pollueur sera le payeur

Une place de marché mondiale négociera directement les quotas de carbone disponibles entre les acheteurs qui dépassent leur quota et les vendeurs qui n'utilisent pas la totalité du leur. Un Européen qui rejette en moyenne 8 tonnes de carbone par an sera ainsi obligé d'en acheter 7 tonnes. Pour être dissuasif, le prix de chaque tonne supplémentaire sera progressif suivant un barème à ajuster chaque année.

Avec une progression (indicative) du type  2e tonne=37€, 8e=226€, 16e=870€, 20e=1360€, les huit tonnes de l'Européen lui coûteront 828€ ,soit 2.27€/jour, les 16 tonnes de l'Américain 5.240€ ,soit 14,36€/jour, les 20 tonnes du Koweïtien 9.910€, soit 27.15€ /jour. Les plus grands "pollueurs" apprendront ainsi à leurs dépens à réduire leurs émissions de CO2. Autre effet bénéfique, les industriels se verront fortement incités à réduire le bilan carbone de chaque article produit afin de rester compétitifs en rejet de CO2 comme en prix.

Une arme contre la pauvreté

En contre partie, les personnes en grande précarité des pays en voie de développement, faibles consommatrices de biens et services, verront leur pouvoir d'achat augmenter significativement. Leur tonne de carbone sera divisée en 20 lots de 50kg qui seront mis sur le marché suivant 20 prix décroissants allant de 1.360€ la tonne pour le 20ème lot à 37€ pour le 2ème. Ainsi, à titre d'exemple, la vente de leurs 10 lots les plus chers leur rapporterait 1,28€ par jour, celle de 18 lots 1.35€ par jour.
Ces sommes sont non négligeables si l'on veut bien se rappeler que 780 millions d'êtres humains vivent avec moins de 1,71 € par jour.

Toujours sur la même base théorique, la seule contribution de moins de 100 millions d'Européens suffirait à apporter ce supplément de 1.35€ à ces 780 millions d'humains très pauvres. Chaque compte carbone sera géré comme un compte bancaire et les transactions comptabilisées en euros et en grammes de CO2 rejetés, 1 baguette de pain étant égale à 1€ et 140g de CO2.

Les conditions d'une véritable résilience de la planète

Progressivement, grâce à ce cercle vertueux, s'enclenchera une diminution des inégalités sociales et environnementales entraînant dans son sillage amélioration de niveau de vie, d'accès à l'éducation, de santé publique, de natalité et réduction des migrations, des famines, des épidémies, etc. Sur la base d'une capacité d'absorption de carbone par la terre demeurant constante, d'une croissance démographique maîtrisée et d'une poursuite des efforts écologiques, l'espoir est réaliste d'une régénérescence de notre écosystème.

La création du "quota carbone" ne sera pas suffisante: il restera indispensable d'inciter et soutenir par des "primes carbone" substantielles le développement des économies
d'énergie, de l'économie circulaire, des énergies renouvelables, de l'agriculture responsable et du contrôle des naissances dans les pays en voie de développement.