"L'ambition climatique de la Banque européenne d'investissement n'est pas remise en cause par la crise actuelle" Ambroise Fayolle, BEI

ENTRETIEN. Le bailleur de fonds de l'Union européenne espère mobiliser 1.000 milliards d'euros sur dix ans en faveur de la transition énergétique, comme le rappelle le vice-président français de l'institution, Ambroise Fayolle.
Ambroise Fayolle, vice-président français de la BEI.
Ambroise Fayolle, vice-président français de la BEI. (Crédits : Olivier Mirguet pour La Tribune)

LA TRIBUNE - Fin 2019, les pays actionnaires de Banque européenne d'investissements (BEI) ont trouvé un accord pour accroître le soutien à la transition énergétique. La crise actuelle a-t-elle remis en cause ces objectifs ?

AMBROISE FAYOLLE - À très court terme, la priorité de la Banque depuis mars a été de mener une action importante pour soutenir les PME, par exemple en prêtant à des institutions financières ou des fonds pour qu'ils accordent des prêts à ces entreprises. Cette action a pris une importance considérable compte tenu de la violence de l'impact économique de la crise. Nous avons aussi lancé un fonds de garantie d'environ 200 milliards d'euros, qui viendront en complément des actions prises par les banques promotionnelles nationales, comme la BPI, ou les grands acteurs financiers. Nous avons donc ajusté notre capacité de déploiement pour venir aider les PME le plus possible, pour qu'elles survivent à un environnement économique difficile. Nous n'avons pas rajouté de conditions sur le climat à ces interventions d'urgence. Mais cela ne change pas notre objectif de soutien, dans la durée, à l'action climatique. L'ambition reste toujours la même. Et nous commençons déjà à préparer la suite.

Comment la Banque européenne d'investissements compte-t-elle accélérer la transition énergétique ?

Notre objectif est de transformer la BEI en banque européenne du climat. Fin 2019, nous avons adopté une nouvelle politique de l'énergie qui vise à ne plus financer, d'ici fin 2021, les projets dont les émissions sont supérieures à 250 grammes de CO2 par kilowattheure. Ce seuil exclut les projets gaziers, sauf s'ils ont une composante de gaz vert qui devient importante au fil du temps. Par ailleurs, à horizon 2025, l'action climatique doit représenter 50% de nos financements, contre un objectif actuel de 25%. Nous allons donc financer davantage de projets liés aux énergies renouvelables, à l'efficacité énergétique des bâtiments, aux batteries électriques, à l'hydrogène... C'est un objectif extrêmement ambitieux qui doit nous permettre de mobiliser, avec l'appui de partenaires privés, environ 1.000 milliards d'euros en faveur du climat au cours de la décennie 2021-2030. Nous souhaitons, en outre, être alignés à 100% sur l'accord de Paris d'ici à la fin de l'année. Autrement dit: l'autre moitié de nos investissements ne pourra pas contrarier l'atteinte de l'objectif climatique.

Lire aussi : L'Europe veut financer 1.000 milliards d'euros de projets verts en dix ans

1.000 milliards d'euros de financement sur dix ans, c'est beaucoup mais peu à la fois compte tenu des enjeux...

C'est vrai, mais pour la BEI, c'est beaucoup. Cela va nécessiter des changements profonds dans notre manière de travailler. Nous espérons, en outre, que les politiques de la BEI, qui est la principale banque multilatérale du monde, vont entraîner d'autres acteurs financiers à suivre notre dynamique climat.

Votre modèle repose justement sur la mobilisation de fonds privés pour accompagner vos investissements. Est-il plus facile de convaincre ces investisseurs d'y participer ?

Au-delà de la crise actuelle, il existe un intérêt beaucoup plus fort des investisseurs pour le financement des projets qui ont une composante verte, mais aussi une dimension sociale. Cela va avoir un impact très important, qui va accélérer la mise en place des stratégies climat. Les investisseurs, nous le constatons, sont de plus en plus désireux de financer ces projets. Ils redoutent de se retrouver avec des stranded assets, des actifs qui pourraient perdre de leur valeur plus rapidement que prévu. Ce type de réflexion s'est développé très fortement depuis 18 mois. Ce qui devrait accélérer le besoin et la mise en place de notre stratégie.

Quelles sont les grandes priorités d'investissements de la BEI pour accélérer la transition énergétique ?

Nous avons trois pistes d'investissements. L'innovation d'abord, comme la batterie, l'hydrogène, la mobilité... Si nous souhaitons réussir la transition énergétique, nous avons un besoin important d'innovations. C'est une chance pour l'industrie européenne de pouvoir retrouver une compétitivité dans ces secteurs. Nous finançons déjà des projets. Mais ils va falloir aller plus loin parce que les besoins sont considérables. Autre piste: l'efficacité énergétique. Il y a des efforts considérables à faire dans ce domaine, qui vont nécessiter des moyens financiers très importants. Enfin, la poursuite de la mise en place de stratégies décarbonées, par exemple en investissant davantage dans les énergies renouvelables.

Comment va s'articuler l'action de la BEI avec le Pacte vert européen et le futur plan de relance proposés par la Commission?

Nous sommes en train de travailler sur ce sujet en ce moment. Au cours des dernières années, nous avons développé une relation extrêmement étroite avec la Commission européenne, par exemple pour financer des projets plus risqués ou des projets qui nécessitent une première perte couverte par un acteur comme la Commission. Pour tous ces sujets, cette coopération financière nous a permis de mettre en place des instruments extrêmement efficaces. Par exemple, le plan Juncker nous a permis de financer de très gros programmes d'efficacité énergétique, avec des montants élevés et un risque partagé. La collaboration avec les équipes de la Commission européenne est essentielle pour la mise en place de notre stratégie climat. Nous souhaitons encore accélérer avec la mise en place du plan vert européen.

La nouvelle ambition de la BEI a suscité des débats entre les pays européens. La crise ne risque-t-elle pas de les faire resurgir ?

Notre stratégie énergie a été approuvée par près de 95% de notre actionnariat. Ces thématiques sont assez consensuelles, y compris sur des sujets aussi sensibles que le gaz. Elles le sont encore aujourd'hui même si l'attention se porte sur aussi sur la gestion de la crise économique. Il y a une prise de conscience au niveau des États, des collectivités territoriales et des opinions publiques. Et c'est d'ailleurs le seul moyen d'atteindre les objectifs climatiques que l'on s'est fixés. Au delà de la crise économique, sur laquelle les acteurs publics sont extrêmement déterminés, l'ambition climatique restera très forte et ne sera pas remise en cause par la crise actuelle.

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