Les nouvelles géométries électorales

Par Philippe Mabille  |   |  1052  mots
Après les élections départementales, le paysage politique français forme désormais un triangle infernal. Quelles leçons pour 2017 ?

La leçon des élections départementales 2015, c'est que le paysage politique français forme désormais un triangle infernal : trois partis, de force à peu près égale, se partagent le marché électoral, dans un pays que la logique du scrutin majoritaire à deux tours avait habitué à un affrontement binaire gauche/droite. Cette nouvelle géométrie électorale fait entrer la France dans une ère nouvelle, celle du tripartisme. Du quadripartisme même, puisque le vrai parti majoritaire est constitué de l'immense majorité des abstentionnistes.

La forte progression du Front national, qui semble avoir réussi son ancrage territorial, au point que l'on parle désormais d'une addition de « Fronts locaux », a déjà changé la nature du débat politique. Certes, le FN ne peut pas se prévaloir, comme aux européennes il y a un an, d'être « le premier parti de France ». Mais il a réalisé des scores spectaculaires dans de nombreux cantons, dans les bassins miniers du Nord, dans ses bastions du Sud et dans ce que les géographes appellent « la France oubliée des périurbains ». Il ne représente cependant qu'un huitième des électeurs inscrits. Avec 5 131 650 voix au premier tour des élections départementales (avec une participation de 50 %), il semble même avoir atteint un plafond. Dire comme Manuel Valls que le FN est aux portes du pouvoir en agitant ce spectre comme un épouvantail est donc pour le moins excessif. Le parti traverse en outre une crise profonde avec le conflit au sommet entre le père, Jean-Marie, parti en vrille sur les vieilles lunes d'extrème-droite et la fille, Marine Le Pen qui veut vraiment arriver au pouvoir et cherche à dédiaboliser l'image du FN pour remplacer l'UMP. Le risque d'une partition à l'exemple de celle qu'avait tenté Bruno Mégret, pourrait affaiblir ses positions lors des élections à venir surtout si son père se présente comme il l'a laissé entendre aux Régionales en PACA puis à la présidentielle (même s'il ne s'agirait que d'une fausse rumeur sur cette dernière hypothèse)...

La carte de France révélée par ces élections, surtout au premier tour, ne montre pas pour autant l'image d'un pays en bonne santé. Toute l'Europe regarde avec inquiétude la poussée du populisme en France. La déroute du parti socialiste au pouvoir, qui subit sa quatrième défaite électorale en un an (municipales en mars 2014, européennes en mai, sénatoriales en septembre) est réelle. « La gauche peut mourir » - sous-entendu « mourir de ses divisions » -, avait alerté Manuel Valls, dans une sorte de prophétie autoréalisatrice. Ce sera la responsabilité historique du congrès du PS, à Poitiers en juin, que de tenter de soigner ce mal profond.

Ce n'est pas l'entrée encore hypothétique d'un Vert et d'un « frondeur » au gouvernement qui suffira à réaliser l'union de la gauche et à faire réélire François Hollande en 2017. Ce qui manque au président de la République, ce sont surtout des résultats tangibles sur le front de l'emploi. Quant à la droite, victorieuse, puisqu'elle reprend 28 départements, peut-elle pavoiser pour autant ? Nicolas Sarkozy y voit le signe annonciateur de sa dynamique de reconquête du pouvoir. C'est aller un peu vite en besogne alors que l'ancien président est loin d'avoir reconquis les faveurs de l'opinion. Surtout, l'analyse du vote montre que c'est l'union de la droite et des centres qui a permis de colorer la France départementale en bleu et de faire échec au Front national. Soit la ligne incarnée par Alain Juppé qui, comme il le répète dans l'entretien accordé à La Tribune, a bien l'intention d'aller jusqu'au bout pour représenter son camp en 2017. Dans le triangle de la politique hexagonale, les électeurs risquent d'avoir l'impression de tourner en rond si le seul duel qu'on leur propose est de refaire le match de 2012. Ce qui est sûr, c'est qu'en 2017, il n'y aura que deux places pour trois prétendants. Tout se jouera donc au premier tour. C'est là que l'arithmétique (électorale) rejoindra la géométrie. Sera probablement élu celui qui aura su le mieux vaincre les divisions de son camp et éviter la dispersion des voix qui a conduit la gauche à la Bérézina du « 21-Avril », en 2002.

Cette bataille commence dès maintenant. François Hollande va la mener en mettant tout en oeuvre pour éviter qu'il y ait une candidature d'Europe Écologie Les Verts ou pire, une jonction entre Jean-Luc Mélenchon et Cécile Duflot, pour former une sorte de front de « gauche Syrisa à la française ». À droite, la même logique va prévaloir et tout se décidera lors de la primaire de 2016. Si Nicolas Sarkozy l'emporte, il est à peu près certain qu'il y aura une candidature de François Bayrou. Au risque d'empêcher la droite d'accéder au second tour et donc de faire réélire le candidat socialiste (François Bayrou l'a déjà fait en 2012...).

C'est là, donc, que se joue vraiment la chance d'Alain Juppé. Parce qu'il est aujourd'hui le mieux à même de rassembler sur son nom la droite et les centres, le maire de Bordeaux possède un avantage stratégique sur l'actuel président de l'UMP : celui de servir de « bouclier anti-FN ». Même la gauche lui reconnaît cette qualité. En tout cas, entre Juppé et Sarkozy, désormais, les couteaux sont tirés. Alors que l'UMP a enfin accédé à sa demande de primaires ouvertes à l'automne 2016, chaque camp lâche ses coups. Ainsi, alors que Nicolas Sarkozy a moqué la défaite de la droite en Gironde, le département de son rival, Alain Juppé, de son côté, y est allé de sa propre pique : interrogé par des étudiants de SciencesPo Bordeaux, lors d'une conférence jeudi 2 avril, sur le nom qu'il donnerait au labrador qu'il recevrait s'il était élu président de la République, Alain Juppé a répondu avec humour: "Je ne sais pas... Nico?" Ambiance garantie à l'UMP, le parti que "Nico" voudrait rebaptiser les Républicains. Manuel Valls lui-aussi voudrait que le parti socialiste change de nom et s'appelle les Démocrates. Et si la nouvelle géographie électorale de la France, c'étaient l'Amérique...