Pour qui Obama et Romney auraient-ils voté en France ?

Par Pierre Lemieux  |   |  629  mots
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Pierre Lemieux est professeur associé à l'université du Québec en Outaouais et auteur de « Une crise peut en cacher une autre » (Les Belles Lettres, 2010).

Obama est-il libéral ? Romney est-il conservateur ? Je soupçonne que la plupart des Français répondraient oui, sans se rendre compte comment, aux USA, ces termes diffèrent de leur acception européenne. Ce que l'on appelle "liberal" aux USA ne correspond pas au terme français "libéral", et "conservative" diffère de l'acception de "conservateur" en Europe.

Aux USA, "liberal" ne connote pas un attachement à la liberté individuelle dans le domaine économique comme dans le domaine social ; le sens du terme est plus proche de "social-démocrate". Être libéral aux États-Unis ne signifie donc pas être libéral au sens classique du terme. De même, "conservative" ne renvoie à aucun préjugé pour l'Ancien régime ou à la droite corporatiste; il suggère plutôt la croyance dans l'efficacité des marchés et la désirabilité de limiter le dirigisme économique.

On dit souvent en Amérique que les "liberals" prônent la liberté dans le domaine social (les m?urs), alors qu'ils s'opposent à la liberté économique (liberté contractuelle, propriété privée) ; et que les "conservatives" prennent la contrepartie exacte de ces positions. Ce raccourci n'est pas tout à fait faux. Les deux camps demeurent quand même marqués par la tradition américaine d'indépendance individuelle et de liberté d'entreprise.

Obama est social-démocrate, mais d'une sorte qui paraîtrait à droite du centre en France. Obama veut que l'État intervienne davantage, il propose d'alourdir l'impôt des riches, mais tout cela sans augmenter le poids des dépenses publiques dans l'économie. Il croit que l'État ne doit intervenir que dans les domaines où les gens ne peuvent faire mieux par eux-mêmes - bien que l'on admettra qu'il ne comprend rien à l'économie et qu'il imagine ces domaines fort étendus. Dans les questions de m?urs, il est proprement libéral, mais il n'y voit sans doute que des questions de contraception, d'avortement et de droits des homosexuels. Comme les conservateurs, il s'oppose à la libéralisation des drogues, il a augmenté la répression de l'immigration illégale, et il n'a rien changé à la montée de l'État de Surveillance. Bref, c'est un social-démocrate doux et à géométrie variable.

Romney est conservateur, mais choquerait bien des conservateurs en France. Bien sûr, il veut un État fort qui assure la loi et l'ordre (y compris la poursuite de la guerre à la drogue), il veut mieux contrôler l'immigration, et il défend des valeurs religieuses dans les questions de m?urs. Par contre, il favorise le capitalisme global, s'oppose au protectionnisme (bien qu'il fasse des exceptions), propose de réduire les impôts ainsi que les dépenses publiques, se montre critique de la réglementation, et promet de supprimer le régime d'assurance maladie public créé sous l'administration Obama. Bref, Romney se présente comme un conservateur qui a subi l'influence du libéralisme classique.

Il est presque certain qu'Obama comme Romney auraient voté Sarkozy en France. Les clivages politiques sont différents des deux côtés de l'Atlantique, en bonne partie à cause de la tradition d'indépendance individuelle et de libéralisme classique qui a si fortement marqué l'Amérique. Ron Paul, l'autre candidat à l'investiture républicaine, qui est beaucoup plus proche du libéralisme classique européen, n'aurait sans doute voté pour aucun des deux candidats à l'élection présidentielle française.

Tout cela suggère également qu'au-delà du sens différent des étiquettes politiques en Europe et en Amérique, la distinction droite-gauche a perdu beaucoup de pertinence dans l'analyse des problèmes de notre temps. La distinction autoritarisme-liberté est plus utile. Sur cet axe, Obama et Romney ne se situent pas aussi loin l'un de l'autre qu'on pourrait le croire.