Politique européenne de la concurrence : pourquoi le rapport Beffa-Cromme est erronné

Par Les Arvernes*  |   |  922  mots
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Le rapport sur la compétitivité européenne de Jean-Louis Beffa et Gerhard Cromme, remis à François Hollande et Angela Merkel, se voulait force de proposition pour les dirigeants européens. Mais, pour les Arvernes, un groupe de hauts fonctionnaires, d'économistes, de chefs d'entreprises et de professeurs d'universités, il n'est qu'un "rapport-diversion", bâclé, banal, et étonnamment subjectif...

Alors que le chômage explose, que le Président de la République, enfermé dans le déni, éconduit de manière fort peu diplomatique la Commission européenne qui a l?audace de nous rappeler nos insuffisances et nos engagements, qu?une initiative ficelée en catastrophe pour la jeunesse est annoncée, voici qu?un nouveau rapport, rédigé par Jean-Louis Beffa et Gerhard Cromme est présenté. Disons-le tout net : ce « rapport-diversion », dont la brièveté suggère qu?il a été bâclé, n?est pas à la hauteur, en particulier en ce qui concerne la politique européenne de la concurrence. La soi-disante analyse que Jean-Louis Beffa présente est en réalité banale, erronée et si manifestement connotée qu?elle en devient suspecte.

Un rapport banal et erroné
Banal, ce rapport, aigre critique colbertiste de la politique de la concurrence, recycle la rengaine française de ces vingt dernières années : méfiance vis-à-vis du contrôle des aides d?Etat, méfiance vis-à-vis du régime d?autorisation préalable des fusions d?entreprises, méfiance vis-à-vis de l?Europe. Erroné, car il présente la Commission comme le Croquemitaine de la politique industrielle, empêcheur buté de fusionner en rond. La réalité est autre. Au 31 mai 2013, et depuis l?instauration en septembre 1990 du régime d?autorisation préalable des fusions, la Commission a été saisie d?un peu plus de 5200 opérations : elle en a interdit 24, soit moins de 0,5% !

Erronée également, l?idée selon laquelle la Commission ne tiendrait pas compte de la réalité mondiale de la concurrence. Bien sûr, ses analyses sont perfectibles. D?ailleurs, les entreprises interrogées par elle, car elle ne prend pas de décision sans recueillir leur avis, ne se privent pas de le lui faire savoir. Mais pour qui a pris la peine de lire les décisions de la Commission en la matière, il est clair que cette dernière, sous le contrôle étroit du juge communautaire, fait une analyse poussée du cadre géographique des affaires qu?elle traite, et ne néglige nullement l?existence de concurrents non européens quand ceux-ci sont présents sur le marché.

La politique de la concurrence est la réussite de l'Union Européenne
Dès lors, il convient de s?interroger sur les véritables motivations de ce rapport. S?agit-il, pour la France colbertiste, de ramener la politique européenne à la seule défense des intérêts des grands groupes, comme si l?Allemagne ne devait pas sa puissance économique au dynamisme de ses petites et moyennes entreprises ? S?agit-il, pour ses auteurs, d?une étape vers des responsabilités ministérielles ? S?agit-il, pour l?ancien président de Saint-Gobain, entreprise française dont l?existence remonte à la Monarchie, et, par hasard, entreprise qui a le triste privilège d?avoir reçu des services de la concurrence de la Commission la plus lourde amende de l?histoire communautaire, d?une vengeance posthume (880 millions d?euros, pour cartel) ?

Pour nous Français qui croyons à la concurrence, à ce que Schumpeter appelle le principe de « destruction créatrice », l?affaire est entendue. La politique de la concurrence est l?une des rares réussites de la construction européenne. Le principal tort des services de la concurrence, comme souvent pour les chefs de grandes entreprises et nos hommes politiques, est de protéger les petits. Les PME, si mal traitées, notamment en France, par les grandes entreprises, qui n?ont parfois comme seule défense que de saisir les services de la concurrence des abus de position dominante dont elles sont victimes. Les citoyens, quand il s?agit de combattre les cartels, par lesquels les entreprises surfacturent les biens et services et érodent ainsi le pouvoir d?achat.

La Commission européenne n'en fait pas assez
Dans ce contexte, le reproche qui peut être fait à la Commission européenne n?est pas de trop en faire en matière de concurrence. Il est de n?en faire pas assez. Et nous n?aurions, citoyens, entreprises, collectivités publiques, Etats, qu?à nous féliciter si la Commission décidait d?être plus sévère pour les élus qui gaspillent inconsidérément nos ressources (aides d?Etat), pour les entreprises qui nous spolient (cartel) ou qui empêchent la concurrence (fusions, abus de position dominante) détruisant notre compétitivité, et donc nos emplois.

Quant au rêve prométhéen d?utiliser la politique de la concurrence pour bâtir des champions européens ou protéger nos entreprises de la concurrence internationale, il ne peut s?agir, tant les Européens sont divisés (pensons au rocambolesque feuilleton GDF/Enel/Suez de 2006) que de situations tout à fait exceptionnelles. Pour de telles situations, que les entreprises concernées soient européennes ou non, nous proposons de donner au Conseil des Ministres de l?Union la possibilité, à la majorité qualifiée, de se saisir d?une décision de la Commission dans le domaine des fusions et de la réformer.
 

(*) Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, d'économistes, de chefs d'entreprise et de professeurs d'universités, qui ont pour but d'être "le moteur de la refondation idéologique de la droite, afin de préparer et remporter les prochaines élections présidentielles et législatives."
 

Pour aller plus loin, lire notre interview de Jean-Louis Beffa