Un effet Lehman Brothers à la puissance 23

Par Michel Santi  |   |  940  mots
Pour Michel Santi, le défaut de paiement américain est inévitable. Ses partenaires économiques devraient s'alarmer ... | REUTERS
Le Congrès américain avait jusqu'au 17 octobre pour trouver un accord sur un relèvement du plafond de la dette. Mais, pour l'économiste Michel Santi, cela ne fera que reporter le moment où la "bombe" explosera avec un effet dévastateur démultiplié comparé à celui de la chute de Lehman Brothers.

La bombe nucléaire tant redoutée par Warren Buffet explosera-t-elle ? Sauf décision cosmétique de dernière minute, qui ne sera que du colmatage et qui n'aura d'autre but que de sauver la face de partis politiques américains décrédibilisés, les mesures "extraordinaires" adoptées par le Département US de la Trésorerie s'avèreront très prochainement insuffisantes pour payer les dépenses de son gouvernement, qui faillira donc à ses obligations.

Les systèmes de trading affectés

Les États-Unis d'Amérique - qui ne seront plus en mesure de rembourser les intérêts sur leur dette - seront dès lors en cessation de paiement. Envolée des taux d'intérêt, liquidation de stocks de Bons du Trésor et assèchement de la liquidité sur les marchés ne seront que les manifestations préliminaires qui ne manqueront pas d'accompagner le défaut de paiement du plus important marché de la dette au monde.

Dans un second temps, c'est la quasi-totalité des systèmes de trading et d'intermédiation, comme c'est une multitude d'accords commerciaux qui en seront affectés, car les Bons du Trésor US y sont amplement utilisés comme caution ("collateral"). Sachant que c'est bien évidemment la planète entière qui sera lésé puisque 47% des détenteurs de la dette américaine sont des étrangers…qui subiront l'interruption du paiement de sa dette (et de ses intérêts) par la première puissance mondiale.

Des répercussions bien supérieures à la faillite de Lehman Brothers

C'est donc l'ensemble de la "plomberie" d'un système financier d'une sophistication extrême qui sera sévèrement altérée par un choc d'une ampleur considérable. De fait, le défaut de paiement de la Trésorerie des États-Unis nous fera même regretter les conditions de marché ayant prévalu juste avec la faillite de Lehman Brothers !

Si le cataclysme de septembre 2008 a gelé le marché des capitaux, s'il a induit un sentiment de panique et de méfiance généralisées où les banques ne se prêtaient même plus entre elles, si le "trade finance" - le financement des affaires commerciales - a marqué une pause, si les Bourses se sont effondrées d'environ 30%... un défaut américain aujourd'hui ou demain aurait des répercussions d'une tout autre ampleur.

En effet, les 517 milliards de dollars d'engagements de Lehman au 15 septembre 2008, c'est-à-dire au jour de sa faillite, font pâle figure comparés aux encours de la dette fédérale US qui sont de 12 trillions de dollars !

La globalité du système capitaliste impacté

Une telle catastrophe ne sera pas 23 fois plus dramatique que celle de Lehman, car son importance ne sera pas arithmétique. En réalité, elle sera exponentielle et devra plutôt être mesurée à la puissance 23 car, si les dégâts liés à Lehman pouvaient être circonscrits à une société qui a fait faillite, à un secteur d'activité (la finance) qui en a souffert, à un type d'investissements (la Bourse) qui a décroché, c'est la globalité de nos économies, des échanges commerciaux et de notre système capitaliste qui seront ébranlés car les seules banques américaines détiennent 1,8 trillion de dollars de Bons du Trésor US à leur bilan - et ce, sans même évoquer les avoirs des établissements financiers étrangers, et bien-sûr européens.

Les chiffres publiés par la Réserve fédérale américaine ne montrent-ils pas que les banques étrangères (donc non américaines) détiennent 2,9 trillions de dollars en Bons du Trésor US, qu'il faut majorer de 315 milliards de dollars de papier-valeurs émis par Fannie Mae et par Freddie Mac ?

C'est donc l'ensemble de notre architecture qui, du jour au lendemain, connaîtra une crise existentielle au seul motif que les banques devront constater des pertes sur leurs portefeuilles massifs en Bons du Trésor US.

Le gel des activités bancaires mondiales

En effet, comme le système financier n'est pas modelé pour encaisser des pertes sur l'actif réputé le plus sécuritaire - à savoir les Bons du Trésor US - la totalité des banques de ce monde devra unilatéralement geler l'ensemble de ses activités, étroitement corrélées et adossées à cet actif.

Le tsunami sera donc d'autant plus dévastateur que, contrairement au psychodrame Lehman, la Réserve fédérale et les diverses agences qui garantissent les dépôts (comme la Federal Deposit Insurance Corporation) ne seront plus présentes pour soutenir le secteur privé ! Elles seront effectivement en mode « shutdown », ou carrément en état de banqueroute. Plus personne pour juguler la panique, ni pour stopper l'hémorragie.

Des conséquences plus graves encore

Dès le 17 octobre, c'est donc l'ensemble du système des paiements américains qui sera progressivement paralysé. Le bon italien à 10 ans atteindra 11% ans. La Banque centrale européenne déclenchera le mécanisme OMT.

Les marchés des capitaux européens seront à leur tour instantanément infectés. Certaines banques majeures devront êtres nationalisées. Certains gouvernements à travers la planète seront renversés. Oh, et les États-Unis d'Amérique auront bien-sûr fait faillite ! 

 *Michel Santi, économiste franco-suisse, conseille des banques centrales de pays émergents. Il est membre du World Economic Forum, de l'IFRI et est membre de l'O.N.G. « Finance Watch ». Vient de paraître : une édition étoffée et mise à jour des "Splendeurs et misères du libéralisme" avec une préface de Patrick Artus et, en anglais, "Capitalism without conscience".