Shutdown : "le Tea Party n'a pas perdu la guerre"

Par Propos recueillis par Romain Renier  |   |  724  mots
Pour Dominique Moïsi, le vrai perdant de la passe d'armes sur le relèvement du plafond de la dette est le parti républicain, qui paye la place qu'il a donné au Tea Party. Il y voit un enseignement pour les parties conservateurs européens traditionnels. (Photo : Sophie Le Roux)
Le parti républicain est le véritable perdant de la passe d'armes sur le relèvement du plafond de la dette qui a eu lieu aux États-Unis, plus que le Tea Party, selon Dominique Moïsi, politologue et géopoliticien, conseiller spécial de l'IFRI et qui a enseigné à l'université Harvard.

Durant plus de deux semaines, républicains et démocrates se sont affrontés sur le relèvement du plafond de la dette, causant la fermeture d'une grande partie des services publiques de l'État fédéral américain et faisant craindre au monde un défaut de paiement cataclysmique créé de toute pièce. Finalement, les républicains ont dû céder provisoirement, sans obtenir ce que son aile dure, le Tea Party, souhaitait : le retrait de la loi sur l'assurance médicale phare de Barack Obama, surnommée Obamacare.

Dans un entretien accordé à La Tribune, Dominique Moïsi, politologue et géopoliticien, conseiller spécial de l'Institut français des relations internationales et ancien enseignant à Harvard en dresse un état des lieux. Verdict : les républicains payent cher la montée en puissance du Tea Party.

Qui sont les vrais perdants de la bataille entre républicains et démocrates sur le relèvement du plafond de la dette américaine ?

Il y a bien sûr le Tea Party, qui a dû reculer, encore que pas tant que cela. Il y a ensuite les républicains dans leur ensemble, dont les plus modérés ont réalisé que leur alliance avec le Tea Party les a mené au désastre et à la ruine politique. Mais il y a aussi l'ensemble du système politique qui a montré son total dysfonctionnement. Les perdants sont donc nombreux.

Globalement, l'opinion publique a été choquée par la fermeture des services publics. Elle s'inquiète aussi du coût, tant sur le plan personnel que du point de vue de la collectivité, qu'a engendré ce shutdown.

Le Tea Party s'est-il pour autant définitivement décrédibilisé aux yeux de l'opinion ?

Dire que ce qui s'est passé marque la fin du Tea Party relève de l'illusion. Car sa tradition d'opposition à l'État fédéral et à la dépense publique n'est pas son principal fond de commerce du point de vue électoral. La cohésion autour du Tea Party repose surtout sur le racisme. C'est un populisme xénophobe.

Lorsqu'il s'agit d'être solidaire, le Tea Party se dit contre la dépense et contre l'État, mais lorsque ce sont des électeurs américains blancs qui ont des ennuis, le Tea Party n'hésite pas à appeler l'État à l'aide. Le Tea Party a perdu cette bataille, mais il n'a pas perdu la guerre.

On ne peut pas en dire autant du parti républicain...

En effet, le parti républicain est pénalisé dans son ensemble. Le problème c'est que les élections se jouent au niveau local. Dans beaucoup d'États du sud, des républicains ont ouvert la porte au Tea Party dans le but d'être élus ou réélus sans songer plus que cela à l'avenir du parti dans sa globalité.

Peut-on imaginer une recomposition des forces politiques, avec la création d'un centre réunissant les démocrates les plus à droite et les républicains modérés ?

Je ne pense pas. Le parti républicain est désormais piégé, car il s'était déjà aliéné le vote des noirs et des hispaniques en reprenant les thèmes anti-immigration du Tea Party. Dès lors, il a perdu le soutien des indécis. Du point de vue sociologique, c'est un très mauvais pari, et les républicains modérés en sont parfaitement conscients. Mais, même si certains Américains en rêvent, le centre ne fait pas partie de l'Histoire américaine.

La situation de la droite américaine est-elle comparable à celle des partis conservateurs européens ?

Oui, tout à fait. On peut tout à fait comparer la montée en puissance du Tea Party aux Etats-Unis à la montée des populismes en Europe, car ils ont le même fond xénophobe. Ils jouent tout autant sur la peur de l'immigration et le rejet de l'autre. Tea Party, Front National, même combat ! Il y a dans ce qui s'est passé aux Etats-Unis un message pour les partis conservateurs européens traditionnels qui seraient tentés par une alliance avec les populistes qui consiste à dire : "Attention, vous faites alliance avec des gens qui n'ont pas les mêmes valeurs républicaines que vous". On ne s'allie pas impunément avec les populistes.