Devant la dévastation du paysage politique français, que faire ?

Par Pierre-Yves Cossé  |   |  1575  mots
La France dispose d'atouts conjoncturels pour revenir sur le devant de la scène internationale. Mais il n'est pas sûr qu'elle sache les utiliser... Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan.

Évidemment, rabâcher, cela est un avatar de la vieillesse extrême. Mais comment faire autrement lorsque les faits sont là ?

La crise s'est approfondie. La perte de confiance dans le Président de la République est sans précédent. Un indice : son intervention à la télévision a laissé indifférent et n'a même pas été reproduite dans de nombreux quotidiens. L'opposition républicaine, fragilisée et divisée sur tout n'inspire pas confiance. De nouveaux scandales scandent la vie publique.

L'idée se répand que cela ne peut pas durer comme cela durant trois ans. Il va se passer quelque chose.

Un rebond ? D'où pourrait-il venir ?

De l'Europe réorientant sa politique économique dans le sens de la croissance et de l'investissement sous la pression de MM Renzi, Hollande  et Cameron (qui est d'un avis opposé aux deux premiers)? L'inflexion probable en faveur de l'investissement et la transition énergétique sera progressive et d'ampleur limitée. Un étalement dans le temps de la réduction des déficits publics pourrait être toléré mais il est peu probable que les pays qui on fait des sacrifices substantiels exonèrent la France des efforts et des réformes, même si elle ne la sanctionne pas pour le non respect des 3%. Et, alors que la droite et la chancelière allemande sortent renforcée des élections européennes, ce n'est pas le possible nouveau président de la Commission, M Juncker, ferme partisan de la priorité à la lutte contre les déficits et originaire d'un des principaux paradis fiscaux en Europe qui pèsera dans le sens d'un new deal.

 

De la conjoncture internationale ? La quasi stagnation de l'Europe au premier trimestre n'est pas rassurante et ne contribuera à la relance de nos exportations. Certes M Draghi et la BCE vont intervenir pour éviter que l'Union Européenne ne bascule dans la déflation. Mais sera ce suffisant pour faire baisser l'euro, au moins légèrement. Improbable.

Relevons une petite bonne nouvelle : les ressources fiscales supplémentaires en 2014 et probablement en 2015, qui permettent de diminuer l'impôt sur les revenus les plus modestes. Ne remercions ni l'Europe ni nos gouvernements, ils n'y sont pratiquement pour rien mais le président Obama et les Etats-Unis qui ont fait plier les banques suisses. Parviendront-ils à faire plier les grandes multinationales pour qu'elles paient un minimum d'impôt sur le bénéfice. C'est beaucoup moins sûr.

 

De la politique économique ? Non. Le programme d'économies d'une cinquantaine de milliards d'économies finira par être adopté et aura un effet dépressif sur l'activité économique.

Or François Hollande répète qu'il veut être jugé sur ses résultats dans le domaine de la croissance et de l'emploi. L'ANPE, qui n'est pas un organisme séditieux, vient de lui répondre : sur la base d'hypothèses économiques pas particulièrement pessimistes, les demandes d'emploi devraient augmenter de plus de 100 000 en 2014 et de 55 000 en 2015.

Le Président va continuer à perdre le peu de crédit par des annonces sur la baisse du chômage, qu'il croira entrapercevoir au coin de la rue.

 

 

Alors, si le rebond n'est pas quantitatif, peut-il être d'ordre qualititatif, manière de gouverner et pertinence des initiatives ? La difficulté est extrême.

Le Président cédant aux pressions exercées de toute part a nommé un nouveau Premier Ministre Manuel Valls, qui était fort pressé, au lendemain de la déroute des municipales. Celui- ci s'est légitimement engagé dans la campagne des européennes. Le nouveau « séisme » électoral l'a affaibli. Mais le président de la République ne peut au bout de quelques semaines renvoyer un Premier Ministre, beaucoup plus populaire que lui.

En dépit de son volontarisme, l'autorité du Premier Ministre sur sa majorité parlementaire est fragile et des dissidences probables. Quelques dysfonctionnements sont déjà apparus. La proposition sur la famille n'a pu être adoptée à l'Assemblée Nationale, ce qui est une situation exceptionnelle sous la cinquième république. Dans les prochains jours, le débat sur la réforme pénale et surtout sur les économies budgétaires seront des tests décisifs.

Quant aux réformes qui pourraient donner un nouveau souffle au quinquennat, rien de convaincant pour l'instant. Les dépenses publiques vont être rabotées sans redéploiement ni restructurations, quitte à déclencher de forts mécontentements sectoriels (armée) Personne ne parle, par exemple, de fusions de caisses de sécurité sociale ou de retraites, de regroupements de services ou d'hôpitaux…Mais ce qui reste formellement la majorité a-t-elle encore le pouvoir de résister aux lobbys ? On peut même craindre que faute de réformes se multiplient des mesures ponctuelles et couteuses censées apaisées telle ou telle catégorie de mécontents.

 

La réforme territoriale, nécessaire et complexe, est annoncée comme la grande œuvre du quinquennat. Au stade actuel, c'est le flou et l'imprécision. Suppression des conseils départementaux : oui, mais qui se chargera de leurs missions sociales ? Les régions, les métropoles et communautés de communes, des agences spécialisées ? Les regroupements de régions vont dans le bon sens mais qui va en décider ? Beaucoup de patience et de compromis seront nécessaires alors que le Sénat va repasser à droite à l'automne et que le report souhaité des élections locales sera difficilement acceptée par une opposition pressée de prendre les places. En attendre rapidement des économies substantielles est un leurre

 

Un rebond rendu possible par les atouts encore à la disposition du Président ? D'abord, la force des institutions de la cinquième République (merci, mon général) et le légalisme des Français incitent au respect des échéances. Puis, paradoxalement, la force du Front National de Marine le Pen joue en faveur de François Hollande. Cette force inquiète d'autant plus la classe politique, que l'opposition est affaiblie, divisée et peu crédible. Leur intérêt commun est de gagner du temps avant de retourner devant les électeurs. Le temps que l'on constate le peu de résultats obtenus tant à Bruxelles que dans les municipalités par le Front National. Le temps que l'UMP se réorganise, trouve son leader et se rapproche des centristes.

Ces atouts facilitent un rebond mais il ne le crée pas.

 

Faute de rebond et de choc de confiance, deux voies sont imaginables, elles impliquent toutes deux de la lucidité et du courage du président, qui ne pourra poursuivre son mandat dans les conditions habituelles.

La première est celle d'une gestion prudente, attentiste et consensuelle. Le Premier Ministre parvient à faire adopter par le Parlement les textes majeurs comme les budgets, les députés de la majorité préférant attendre 2017 pour perdre leurs sièges. L'UMP modère ses pressions en attendant d'avoir retrouvé sa crédibilité et de s'être rapproché des centristes pour affronter le Front National aux échéances prévues. Le Président se met en retrait de la politique économie, au profit de son Premier Ministre, et se limite à la conduite de la politique internationale, après avoir annoncé qu'il ne se représentera pas. Quelques bonnes nouvelles contribuent à la détente du climat : initiatives européennes en faveur de la croissance et de l'investissement, amélioration de la conjoncture internationale, quelques coups industriels réussis (dénouement positif du dossier Alsthom) redémarrage progressif de l'investissement dans l'industrie et le logement. Les mesures présentées sont délibérément consensuelles, concernant par exemple la formation des jeunes et des adultes. Un compromis est trouvé sur la réforme territoriale. Les conflits sociaux inévitables ne s'accompagnent pas d'explosions de violences.

 

La seconde est celle d'une novation politique et institutionnelle. Le Parlement est bloqué suite aux dissensions dans la majorité et à l'acharnement de l'opposition. La cote du Premier Ministre s'effondre. La réforme territoriale est dans l'impasse. Les mauvaises nouvelles s'accumulent : dégradation de la conjoncture, crise avec Bruxelles, aucune reprise de l'investissement, remontée du chômage. Les conflits sociaux se multiplient avec des poussées de violence.

Un choc de confiance est nécessaire et un gouvernement de salut public s'impose. Le pays ayant viré à droite, il ne peut être présidé que par un leader de la droite. Le seul ayant l'expérience et l'autorité nécessaire pour une telle fonction est l'actuel maire de Bordeaux. Alain Juppé est appelé par François Hollande à le diriger avec le concours des centristes et de quelques ministres socialistes, comme en Mai 1958. Le président annonce qu'il se comportera en président de cohabitation, bref comme Jacques Chirac avec Lionel Jospin, à la différence près qu'il ne se présentera pas à la future élection présidentielle. Ce gouvernement est centré sur le redressement économique autour de quelques réformes ( santé, logement, organisation territoriale, lutte contre les rentes, développement de l'investissement, transition énergétique) Il fait adopter une loi introduisant une « dose » de représentation proportionnelle pour les élections législatives, conformément au programme centriste et socialiste, susceptible d'apaiser et d'équilibrer la vie politique.

Le président de la République indique au Parlement qu'en cas de désaveu il dissout et - éventuellement- démissionne après les élections législatives.

La confiance serait rétablie et la France gouvernée.