Comment sauver la retraite des cadres ?

Par François Charpentier  |   |  1235  mots
Outre la situation démographique marquée par le vieillissement de la population, les régimes Agirc et Arrco sont eux aussi confrontés au chômage et aux effets d'une croissance faible.
C'est la fin d'une success story pour la retraite des cadres. Économies, capitalisation, plusieurs pistes sont envisagées. Mais on échappera difficilement à une redéfinition du statut cadre. Par François Charpentier*

Les régimes de retraite complémentaire sont confrontés à de sérieuses difficultés. C'est vrai dans le secteur public où l'Union Mutualiste retraite (UMR) vient admettre que les besoins de financement pour son produit Corem (qui a succédé au Cref en 2002) se montent au bas mot à 450 millions d'euros (plus de 2,5 milliards d'euros si on fait application des tables de mortalité prospectives de 2005), alors que les rentes promises n'ont pas été revalorisées depuis... 12 ans. C'est vrai aussi de Préfon qui a annoncé le jour de ses 50 ans que le régime ramenait son taux technique à 1%. Autrement dit que les engagements pris ne seront pas tenus. C'est vrai chez de nombreux assureurs vie, en France, comme en Allemagne ou en Suisse, tous confrontés à la baisse vertigineuse des taux d'intérêt et en butte aux actions des associations de défense des consommateurs...

L'Agirc et l'Arrco au plus mal

Dans le secteur privé la situation n'est pas meilleure. Outre la situation démographique marquée par le vieillissement de la population, les régimes Agirc et Arrco sont eux aussi confrontés au chômage et aux effets d'une croissance faible. Résultat, le régime des cadres, dont l'équilibre financier ne tenait ces dernières années qu'aux produits financiers des réserves, apparaît durablement compromis. Aujourd'hui les réserves de l'Agirc sont quasiment épuisées. Les cotisations ne parvenant plus à couvrir les prestations, le roi est nu. En d'autres termes, ce régime né d'une convention collective en mars 1947 aura bientôt vécu avec des conséquences potentiellement et politiquement explosives. Avec lui prend fin, en effet, le mythe du cadre qui a fait se décarcasser des générations d'ouvriers et d'employés en mal d'ascension sociale pendant les Trente Glorieuses et au-delà.

Une immense "success story" qui prend fin pour les cadres

La désillusion risque d'être d'autant plus forte pour ces cadres qu'après un siècle et demi d'errements (de la loi Le Chapelier de 1791 qui a empêché toute négociation collective jusqu'en 1884, date de la reconnaissance officielle des syndicats, aux assurances sociales de 1930 qui ont fait des «collaborateurs » les « exclus de la sécurité sociale », sans oublier les « petits rentiers » ruinés par l'inflation), l'Histoire de l'Agirc apparaît avec le recul comme une immense « success story ». Une Histoire qui verra les cadres récupérer leur régime d'avant-guerre pour améliorer notablement le montant de leur retraite à un régime général auquel ils ne voulaient pas cotiser à l'origine. Qui les verra, ensuite, étendre ce régime unique à de nouvelles catégories sociales, notamment aux « techniciens supérieurs ». Qui les verra enfin, devenir « la » référence pour ces régimes de non-cadres qui vont se créer à partir des années 1950 pour se fondre en 1961 dans une fédération Arrco forte de 43 régimes et de plus d'une centaine de caisses. Deux chiffres témoignent encore aujourd'hui de ces succès: la retraite complémentaire d'un cadre compte, en moyenne, pour 57 % dans le montant total de sa pension. Pour un salarié non cadre la proportion est de 31%.


La grande rupture de 1973

La grande rupture pour tous ces régimes viendra en 1973 avec le premier choc pétrolier qui sonnera le glas des Trente Glorieuses, l'arrivée sur les marché du travail de la génération du baby boom se traduisant au même moment par une explosion du chômage. Dès lors l'âge d'or des retraites s'annonce révolu et les années 1970-1990 seront mises à profit pour préparer l'opinion publique à des lendemains moins prometteurs. De fait, c'est à partir de 1993 que l'État pour le régime de base et les partenaires sociaux pour les régimes Agirc-Arrco vont organiser le repli en bon ordre. Hausse des cotisations, allongement de la durée d'assurance, baisse des prestations, les gestionnaires feront preuve d'une grande imagination pour préserver l'essentiel. Jusqu'à la crise de 2009 qui a aggravé les déficits et qui précipite aujourd'hui les échéances. 

 Aller plus loin dans les économies de la capitalisation?

Partant de là, depuis le mois de juin dernier, les représentants du patronat et des syndicats sont entrés en conclave pour trouver une solution au problème posé. Dans le courant de ce mois de novembre, ils devraient engager des « discussions exploratoires » officieuses, des négociations s'ouvrant officiellement en début d'année 2015 pour se prolonger jusqu'en juin prochain. Bref, les partenaires sociaux s'entourent d'un luxe de précautions pour aborder le sujet susceptible de fâcher beaucoup de monde : sauver la retraite des cadres qui est aussi celle des patrons. Comment ? Plusieurs hypothèses sont à l'étude, aucune n'étant exclusive des autres.

Première orientation qui paraît cohérente avec tous les accords passés depuis 1993, il faut accélérer le rapprochement de l'Agirc et de l'Arrco, devenu régime unique le 1er janvier 1999, et parvenir enfin à la fusion entrevue par les pères fondateurs des deux grands régimes à la fin des années 1960. Il reste que favoriser ce mouvement c'est additionner un déficit immédiat et un déficit à cinq ou six ans.

Une seconde voie consiste à aller plus loin dans les économies. Beaucoup a été fait ces dernières années pour réduire le nombre des régimes et des caisses (50 à l'Agirc et 110 à l'Arrco en 1993) et pour mettre en place des groupes paritaires de protection sociale. On en compte 13 aujourd'hui comportant, outre une caisse de retraite complémentaire Agirc et une pour l'Arrco, des pôles mutualistes et même assurantiels. L'objectif est de ramener ce chiffre à quatre (trois groupes interprofessionnels autour de AG2R-La Mondiale-Réunica, Malakoff-Médéric et Humanis et un groupe professionnel autour de PRO BTP) et de ramener de six à deux le nombre de plateformes informatiques.

Une troisième hypothèse est sur la table. Elle consiste à bâtir pour les cadres qui disposeront de l'assurance vieillesse, puis d'un régime complémentaire Agirc-Arrco reformaté autour de deux ou trois plafonds, un dispositif supplémentaire en capitalisation en partant de la cotisation de 1,5% pour le décès introduite dès 1947 dans le régime Agirc.

Redéfinir le statut cadre

Enfin, on ne cache pas dans les milieux patronaux qu'il convient aussi de redéfinir le statut cadre devenu parfaitement obsolète. « La retraite complémentaire ne peut plus être le marquer du statut cadre », indique à ce propos un dirigeant patronal. En pratique, cela conduirait à réduire très sensiblement le nombre de salariés susceptibles d'entrer dans un futur régime de retraite des cadres.

Mises bout à bout ces solutions devraient permettre de préserver l'essentiel. Mais l'on n'évitera pas de jouer aussi sur la valeur du point, conformément au principe de répartition qui veut que les sacrifices soient répartis entre les cotisants et les allocataires, les actifs et les inactifs. C'est une règle d'équité que se flattent d'avoir toujours respectée les gestionnaires depuis le 14 mars 1947, date de création du régime. Son application rigoureuse aujourd'hui, dans un environnement économique ne laissant pas espérer le retour à une croissance dynamique, ne peut que conduire à une baisse du montant des pensions de retraite déjà liquidées.

*François Charpentier est l'auteur de "Retraites complémentaires", aux éditions Economica