Autoroutes : l'Etat paie l'erreur de Dominique de Villepin

Par Ivan Best  |   |  807  mots
Le coût de financement des autoroutes apparaît exorbitant pour l'Etat, aujourd'hui. C'est comme s'il avait emprunté à un taux d'intérêt de 7,8% par an. A comparer au taux actuel des emprunts d'Etat à 20 ans, soit 1,6%. Un coût lié à la privatisation des sociétés d'autoroute, décidée en 2006 par Dominique de Villepin.

Si la question de la hausse continue des tarifs des péages autoroutiers, au profit d'une rentabilité croissante des sociétés d'autoroute, propriétés de géants du BTP,  se pose aujourd'hui, c'est en raison d'une décision prise en 2006 par celui qui était alors premier ministre : Dominique de Villepin.

Il a alors imposé à son gouvernement la privatisation des sociétés d'autoroute, qui appartenaient pour la plupart à l'Etat -à l'exception notable de Cofiroute.

En quoi cette décision a-t-elle provoqué l'envolée des tarifs ? Ainsi que l'a souligné la Cour des comptes dans un rapport publié dès juillet 2013, le ministère des Transports, s'est retrouvé seul face à des groupes puissants -Vinci, Eiffage, l'espagnol Abertis-  dans un rapport de forces à l'évidence défavorable. Pour résumer, comme l'ont souligné les magistrats

« l'État a accepté de compenser par des hausses de tarifs un grand nombre d'investissements de faible ampleur, dont l'utilité pour l'usager n'était pas toujours avérée, ou qui relevaient des obligations normales des concessionnaires ».

La hausse des péages a été presque constamment supérieure à l'inflation, depuis 2006. Exemple : en 2008, la hausse des prix à la consommation atteint 1,9%, mais la société des autoroutes de Paris Normandie (groupe Abertis), par exemple, augmente les péages de... 4,32%.

 Les actionnaires bien servis

  A quoi ont servi ces hausses tarifaires ? Notamment à augmenter les profits des sociétés d'autoroute. Depuis la privatisation de 2006, ils ont augmenté continument. Même en 2009, alors que sévissait la plus forte récession depuis les années 30, les profits ont progressé. La hausse a été en moyenne de plus de 5% par an pour l'excédent brut d'exploitation, sur la période 2006-2011. Même chose pour les résultats nets. Seuls les autoroutes du sud de la France (ASF, groupe Vinci) ont vu leur bénéfice baisser un peu en 2013.

Quelle a été la destination de ces profits? Pour la quasi-totalité, ils ont été distribués aux actionnaires sous forme de dividendes. Et ce contrairement aux pratiques en vigueur avant la privatisation.

C'est ce qu'a souligné l'Autorité de la concurrence, dans un avis publié en septembre :

On observe très clairement, outre que les bénéfices des Sociétés Concessionnaires d'Autoroute (SCA) , ont doublé depuis 2004, que la politique de distribution des dividendes a radicalement changé après la privatisation. En effet, alors que les Sociétés d'Economie Mixte Concessionnaires d'Autoroutes (et COFIROUTE) distribuaient en moyenne 56 % de leurs bénéfices à leurs actionnaires entre 2003 et 2005, cette part a atteint 136 % en moyenne les huit années suivantes.

 Pour résumer, l'augmentation des péages a servi avant tout à rémunérer les actionnaires.

 Dominique de Villepin évoque "une bonne affaire pour l'Etat"

Mis en cause sur ce thème, notamment par Ségolène Royal,  Dominique de Villepin a bien sûr récusé cette affirmation, sur France Inter.

«L'ambition de mon gouvernement était de moderniser les infrastructures et de désendetter la France». Une estimation, qui était celle de tous les services de l'Etat et des parlementaires (...) estimait le montant à payer à un peu plus de 11 milliards d'euros (...) nous l'avons cédé à 14,8 milliards d'euros, c'était donc une bonne affaire pour l'Etat.

 Un coût de financement de 7,8% annuels

Une bonne affaire? Dominique de Villepin oublie au passage la hausse continue des péages, négociée après cette privatisation, et l'intérêt qu'aurait l'Etat à opérer lui-même, via un établissement public, compte tenu de la baisse vertigineuse depuis 2006 du coût de l'endettement public.

Un seul chiffre résume l'aberration actuelle : le système de concession actuel équivaut à l'hypothèse d'un financement des autoroutes (construction, entretien...) au taux annuel de 7,8%. A comparer au taux d'endettement sur les marchés financiers, pour l'Etat, qui est de 1,6% s'agissant des emprunts sur 20 ans !

 L'intérêt de mettre fin aux contrats

Mettre fin aux contrats autoroutiers, comme le suggèrent les parlementaires de gauche,  coûterait très cher à l'Etat : 39 milliards d'euros. Mais l'économie que feraient les consommateurs est telle, si les autoroutes étaient reprises par un établissement public, que le jeu en vaut la chandelle, comme l'explique  Gildas de Muizon, Directeur associé de Microeconomix, dans une contribution publiée par La Tribune : « nos calculs montrent qu'une telle opération (résiliation anticipée + remise en concurrence) permettrait à l'État de gagner plus de 10 milliards d'euros, compte tenu de la valorisation des sociétés d'autoroute. ».

 Le pourquoi d'une privatisation

La question posée, in fine, est celle du pourquoi de la privatisation. Dominique de Villepin n'a-t-il pas sacrifié le long terme -des autoroutes rentables pour l'Etat, y compris sans dérive des tarifs-, au profit de recettes de privatisation à court terme. Au passage, les banquiers d'affaires ont eu droit à d'importantes commissions. Mais il n'est plus question, là, d'intérêt général.