Aérien : les low cost ont engagé la bataille finale

Par Emmanuel Combe  |   |  771  mots
Emmanuel Combe, Professeur des Universités, professeur affilié à ESCP Europe.
Pour rafler la totalité du trafic intra-européen de point-à-point, les compagnies aériennes à bas coûts s'implantent aujourd'hui sur les grands aéroports. Pour éviter cette issue fatale, les transporteurs classiques doivent miser sur un modèle low-cost au moins sur les vols de point-à-point. Par Emmanuel Combe, professeur des Universités, professeur affilié à l'ESCP Europe et vice-président de l'Autorité de la concurrence.

A l'heure où Air France affronte une crise structurelle, il n'est pas inutile de revenir sur une bataille qui fait rage dans le ciel européen, sans parler même de celle qui se déroule sur le long courrier face aux compagnies du Golfe et asiatique : la bataille du low cost.
En l'espace de 15 ans, les low cost ont imposé en Europe un nouveau modèle de production et de consommation, sur le segment des vols dits «de point à point ». Au-delà de leur forte part de marché - près de 50% aujourd'hui-, ils ont fait la preuve de leur rentabilité dans la durée. Mais un tel succès, en un laps de temps si réduit, s'est construit sur un modèle dont le potentiel de croissance arrive aujourd'hui à épuisement. S'ils veulent pérenniser demain leur domination dans le ciel européen, les low cost n'ont d'autre choix que d'évoluer.

Une activité encore très orientée vers la clientèle loisirs

Durant la décennie 2000, la croissance des low cost s'est faite d'abord par ouverture de nouvelles lignes, au départ de capitales européennes mais aussi et surtout de villes secondaires. En pratiquant des prix bas -de l'ordre de 80 euros pour easyJet et de 40 euros pour Ryanair- en échange d'une prestation très dépouillée, les low cost ont misé sur l'induction de trafic, en faisant voyager ceux qui ne voyageaient pas ou utilisaient d'autres moyens de transport, à l'image des jeunes ou de la clientèle VFR ( « Visiting, Friends and Relatives »). Mais une fois l'Europe quadrillée dans ses moindres recoins, les opportunités d'ouverture de nouvelles lignes se sont faites plus rares, alors que la taille des low cost continuait de croître -450 appareils pour Ryanair et 300 pour easyJet sont prévus à l'horizon 2020. Plus encore, l'activité des low cost, encore majoritairement orientée vers la clientèle loisirs est restée très sensible au prix du billet et marquée par une forte saisonnalité, obligeant même certaines compagnies à clouer au sol leurs avions durant la saison hivernale.

La bataille des grands aéroports

Voilà pourquoi les low cost se sont engagés -depuis plusieurs années pour Vueling ou easyJet, plus récemment pour Ryanair- dans une seconde bataille, consistant à concurrencer les majors sur leurs lignes principales, par ouverture de bases dans des aéroports primaires. Cette stratégie obéit le plus souvent au même timing : opportunistes, les low cost mettent à profit la moindre faiblesse d'un opérateur historique sur son marché domestique et son hub pour lancer un premier assaut ou renforcer leurs positions. L'exemple récent de l'aéroport de Rome Fiumicino en est une illustration : la fragilité d'Alitalia a aussitôt conduit Ryanair, Vueling et easyJet à accroître leurs capacités.

Ce repositionnement stratégique des low cost sera toutefois complexe à opérer : il s'agit d'enrichir le produit pour mieux séduire les hommes d'affaires, sans altérer la base de coût, très compétitive. En particulier, sur les lignes à fort trafic, les low cost doivent proposer des fréquences quotidiennes suffisantes, avec des horaires de qualité, et être référencés dans les GDS, pour adresser la clientèle des grands comptes : tout cela a un coût. De plus, l'impératif de productivité, consistant par exemple à ce que l'appareil fasse un demi-tour en 30 minutes devient plus difficile à mettre en oeuvre dans un aéroport congestionné. Sans compter que pour une entreprise comme Ryanair, l'arrivée sur de grandes plateformes signe la fin des « aides aéroportuaires ».

Des partenariats entre compagnies classiques et low-cost?

Pour les low cost, l'objectif ultime de cette nouvelle bataille est clair : atteindre une taille critique suffisante dans les aéroports principaux pour faire basculer demain l'ensemble du trafic point à point dans leur escarcelle. En négociant avec les majors des partenariats, pour alimenter leurs vols long courrier par des vols low cost en connexion, comme l'a récemment suggéré Ryanair à Air France ; en prolongeant leur propre modèle low cost sur le long courrier, comme le fait déjà Norwegian au départ de la Scandinavie ; ou en proposant purement et simplement ... de reprendre l'activité moyen courrier des compagnies majors, y compris celle alimentant les hubs.

S'ils veulent éviter cette issue fatale, les compagnies majors n'ont d'autre choix aujourd'hui que de miser, sans état d'âme et avec ambition, sur le passage à un modèle low cost, au moins pour le trafic en point à point, comme l'ont déjà fait Lufthansa avec Eurowings, British Airways avec Vueling, et dans une moindre mesure, Air France avec Transavia.