Chine-États-Unis : l'arme fatale

Par Michel Santi (*)  |   |  670  mots
(Crédits : TINGSHU WANG)
CHRONIQUE. Les Chinois sont persuadés que les États-Unis sont une puissance sur le déclin, et ils basent - en conséquence - toutes leurs actions en fonction de cette prévision. Voilà pourquoi la Chine se sent aujourd'hui suffisamment forte pour s'attaquer à un bastion jusque-là imprenable et incontesté, à savoir la monnaie américaine et son privilège exorbitant. Par Michel Santi, économiste (*).

Cette stratégie visant à saper le dollar pour directement remettre en question l'emprise des USA ne consiste pas en une attaque frontale. Son fer de lance en est le lancement du yuan digital et sa promotion active en vue de son internationalisation qui autoriseront, entre autres, le contournement du pouvoir de sanctions gigantesque auquel font régulièrement appel les USA. Vu des États-Unis, cette menace chinoise est prise très au sérieux, car la perte de cette arme de dissuasion massive que sont les sanctions représenterait pour eux un affaiblissement considérable, et un risque encore supérieur à celui d'un conflit armé.

Avec son yuan digital, la Chine offre aux futurs usagers à travers le globe - privés, institutionnels, mais également étatiques -  un modèle clé en mains, une boîte à outils, pour l'emploi des futures monnaies digitales. En sécurisant et en popularisant son propre modèle de monnaie digitale, comme elle l'a déjà fait avec la 5G et avec la reconnaissance faciale, la Chine serait susceptible de balayer - grâce à la technologie - la domination du dollar, car les infrastructures financières américaines sont très clairement en retard d'une modernisation. À l'instar de la politique du vaccin chinois dont l'objectif évident est la conquête des cœurs des citoyens des pays émergents, ce yuan digital s'adressera aussi au milliard sept cents millions de pauvres à travers le monde ne disposant pas de compte bancaire. On imagine sans peine le prestige et la puissance qui seraient conférés à la Chine dès lors que les laissés pour compte, que les travailleurs migrants et que les réfugiés s'emploieraient à faire usage du yuan digital pour effectuer des achats en ligne et des transferts d'argent.

Des transactions libellées en yuan digital...

On imagine également sans peine les parts de marché que se taillerait un yuan digital efficient dans un contexte où les virements bancaires internationaux prennent plusieurs jours et nécessitent des procédures toujours complexes. On imagine enfin la préoccupation américaine face à des échanges qui  - court-circuitant la système SWIFT sous son contrôle - non seulement lui échapperaient désormais totalement, mais qui rapprocheraient par ailleurs de manière décisive les usagers disséminés à travers la planète de la maison mère Chine. Sans même avoir de compte bancaire, les entreprises chinoises - qui sont de plus en plus implantées dans le monde - effectueraient ainsi des transactions libellées en yuan digital, hors de toute intermédiation bancaire classique, contribuant activement à détrôner le billet vert qui représente aujourd'hui plus de 85% du volume global des échanges.

C'est une véritable révolution macroéconomique qui se profile, car ce système permettra à un Etat donné de programmer la date d'expiration de certains paquets de monnaie digitale, et ce dans le but de réguler la consommation. Les répercussions en termes de croissance, de contrôle de l'inflation, de lutte contre les récessions sont potentiellement massives, car il sera dès lors possible de redresser une économie, de redonner des emplois aux chômeurs, en régulant le flux des dépenses et de la circulation d'argent dans les rouages de l'économie. L'épargnant et l'investisseur seront ainsi contraints de dépenser aujourd'hui certaines sommes à partir du moment où elles ne seraient plus - demain - utilisables.

Par delà les implications du yuan digital et des intentions de la Chine, le fait est que ce pays est le tout premier au monde à inaugurer une ère où la nature et l'utilisation de l'argent sont appelées à se transformer radicalement.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
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