Électricité et climat : le délicat équilibre

Par Dr. Nicolas Mazzuchi  |   |  943  mots
La mise en place d'une politique volontariste destinée à assurer un mix énergétique équilibré entre nucléaire et énergies renouvelables, permettrait aux États de lutter efficacement contre le réchauffement climatique. (Crédits : DR)
OPINION. Les énergies renouvelables ont prouvé leur utilité dans la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Mais elles ne peuvent pour le moment être la base des systèmes de productions électriques nationaux à l'instar du nucléaire. De fait, il est impérieux de les faire agir de concert avec le nucléaire afin de parvenir à un mix énergétique équilibré. Et pour cela une politique volontariste en la matière est nécessaire. Par Dr. Nicolas Mazzucchi, auteur de "Energie, ressources, technologies et enjeux de pouvoir" (Armand Colin, 2017).

Alors que la COP24, destinée avant tout à mesurer les progrès de l'Accord de Paris et à tracer la feuille de route pour les prochaines étapes, se referme le 14 décembre, il est nécessaire de se pencher sur l'état des enjeux climatiques et des progrès accomplis. L'Accord de Paris, c'est sa principale nouveauté par rapport au Protocole de Kyoto qui servait de cadre de référence jusqu'en 2015, se fonde sur les engagements - appelés INDC - des Etats, ceux-ci étant librement déterminés.

Chacun peut donc choisir une voie particulièrement vertueuse, comme la plupart des pays européens, ou, au contraire, ne proposer que des efforts limités. Sans revenir sur les tenants et les aboutissants de l'Accord de Paris, ni même les chances que les ambitions de celui-ci finissent par se concrétiser, le constat est aujourd'hui sans appel : nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire.

De l'importance de la filière nucléaire

Il ne faut pas se le cacher, certaines solutions ont pendant longtemps été minorées au profit d'autres. S'agit-il de choix idéologiques ou économiques ? C'est fort possible. Toujours est-il qu'il faut noter une convergence assez inédite de la part des principaux organismes liés au monde de l'énergie et de l'environnement en faveur du nucléaire. A quelques mois d'intervalle, le rapport du GIEC consacré, justement, à la limitation de la hausse des températures à 1,5° C et le World Energy Outlook 2018 de l'Agence internationale de l'énergie, s'accordent pour augmenter, drastiquement, la place du nucléaire dans le mix électrique mondial.

Le rapport du GIEC est le plus radical en ce sens. Dans son scénario le plus « vertueux », dit P4, il ne propose pas moins d'une augmentation de plus de 4 fois la part de nucléaire dans la demande en énergie primaire en 2050 sur la base de 2010. Dans le contexte proposé, le nucléaire, la biomasse et les renouvelables connaissent des hausses spectaculaires. De son côté l'Agence internationale de l'énergie pointe non-seulement la dynamique nucléaire nécessaire pour achever un certain nombre d'objectifs climatiques nationaux ou globaux - sans toutefois atteindre le pallier symbolique des 1,5° C - avec une hausse modérée ou importante, selon le scénario, de la part du nucléaire.

L'impérieuse nécessité d'un mix énergétique

Cette évolution assez nette des grands organismes internationaux démontre un point-clé : le climat ne peut être sauvé que par la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, CO2 en tête. Toutefois, en corollaire du point précédent et dans une vision plus socio-politique, cette victoire qui n'est atteignable que par l'adhésion globale, ne peut être remportée en demandant trop d'efforts aux populations quant à leur mode de vie. En ce sens il convient de résoudre la délicate équation entre confort/productivité et lutte contre les changements climatiques. Deux voies - non-exclusives l'une de l'autre, bien au contraire - s'offrent : l'efficacité énergétique et la modification des mix de production. La première voie, technologique s'intéresse à l'action sur les réseaux eux-mêmes, en les rendant plus connectés (les smart grids) ou sur le stockage d'électricité, pour ne citer que deux des grandes technologies de l'efficacité énergétique. La seconde voie quant à elle nous oblige à nous pencher sur les modes de production d'électricité, en France, en Europe et dans le monde.

Les énergies renouvelables de nouvelle génération, en plein développement partout sur la planète, ont prouvé leur utilité dans la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Or, le constat du GIEC en est la preuve, elles ne peuvent pour le moment - pour des questions technologiques et économiques - être la base des systèmes électriques nationaux des principaux pays de la planète, dans le laps de temps nécessaire à la sauvegarde du climat. Dans ce contexte une solution s'impose : faire agir de concert les énergies renouvelables de nouvelle génération et le nucléaire. Longtemps opposées ces sources d'électricité trouvent au contraire une complémentarité naturelle dans leurs différences. L'alliance d'une base nucléaire solide et d'un complément d'énergies renouvelables, les deux ne produisant pas de gaz à effet de serre lors de leur fonctionnement, s'avère une clé idéale pour la transformation des mix électriques nationaux.

Définir une politique axée sur le nucléaire et les énergies renouvelables

Toutefois - c'est là que le bât blesse - cette situation ne sera bénéfique pour la France que pour autant que les autorités nationales sauront concevoir une vraie politique nucléaire, aux côtés de la politique de soutien aux renouvelables, et sauront s'abstraire de pressions anti-nucléaires souvent idéologiques. Alors que les pays asiatiques sont ceux où la demande actuelle en nucléaire est forte, la France, par manque d'intérêt pour le secteur, est en train de perdre une opportunité économique majeure. La mise en faillite contrôlée de Toshiba-Westinghouse a ainsi ouvert un espace pour d'autres entreprises du nucléaire, ce que la Russie a parfaitement saisi.

Alors que la Chine peine encore à disposer de solutions techniques nationales matures, EDF et Orano disposent aujourd'hui d'opportunités un peu partout sur la planète. Néanmoins, pour être en mesure de les exploiter, ces entreprises doivent d'abord être soutenues en France par le gouvernement, au travers d'investissements et de commandes publiques. Dans un secteur aussi marqué par les enjeux géopolitiques, le soutien du gouvernement n'est pas un avantage, c'est une nécessité.