Grands groupes français : halte à la curée !

Par Serge Blanchard  |   |  708  mots
Serge Blanchard.
Le rachat progressif de nos grands groupes est lourd de conséquences pour le tissu industriel français. Il est temps de réagir et de passer à l'attaque. Par Serge Blanchard, président de SCB SUBSAHARA, et auteur de "Notre avenir dépend d'eux" (Bourin Editeur 2010)

C'est la curée! Nos grands groupes se font enlever les uns après les autres dans l'indifférence générale. Lafarge, Alstom, STX... Nous nous évertuons à ne pas comprendre que c'est une partie de l'avenir du pays qui disparaît. On nous dit par exemple qu'Essilor va bâtir un groupe mondial d'optique. Le groupe mondial c'est surtout Luxottica qui va le conduire avec plus de 30 % de son capital.

Têtes de pont

Nos grands groupes, nos porte-avions, doivent être identifiés comme des têtes de pont. C'est autour d'eux que se construisent les filières, par leur capacité à engager les grands projets et à fixer le calendrier en termes de demande ou de technologie. Pas de filière aéronautique sans Airbus. Pas de filière agroalimentaire sans Danone. Quand nous perdons un de ces fleurons, ce n'est pas un fait banal. Avec les centres de décision, nous perdons la clé de voute de l'organisation d'une filière. Impossible ensuite de jouer dans la cour des grands. Les meilleurs ingénieurs, les meilleurs chercheurs, les PME les plus innovantes se tournent alors  vers d'autres clients.

On nous parle beaucoup de nos licornes. Parfait, mais combien vont résister aux fameux Gafa qui interviennent dans des secteurs où l'effet de taille est encore plus déterminant ? On nous parle aussi des Airbus de tel ou tel secteur. Excellente idée, mais comment jouer un rôle central dans le consortium ? L'arrivée d'Airbus à Toulouse a été une manne pour l'emploi, l'économie locale, le tissu de PME, les écoles d'ingénieurs. En aurait-il été de même si le siège avait atterri à Hambourg ?

Sur la "shopping list" des leaders étrangers

Nos grands groupes font saliver les prédateurs. En premier lieu, ils sont excellents. Qualité des produits, fiabilité des process, réputation, niveau de performance. Ensuite, ils sont encore trop français, un peu européens, mais encore trop peu internationaux. Ils constituent donc de belles portes d'entrée en Europe. Les synergies commerciales sautent aux yeux, les doublons sont limités. Enfin, leur management est intelligent, adaptable et, somme toute, docile. Nos groupes apparaissent plus faciles à intégrer que des groupes italiens ou japonais. Il n'est donc pas surprenant qu'ils soient sur la "shopping list" des leaders étrangers. C'est vrai dans tous les secteurs : services informatiques, semi-conducteurs, chimie, etc. Qui est le suivant : Capgemini, STMicro ?

Que faire ? Tout d'abord, pour le gouvernement, appuyer ces grands groupes. Il s'agit de la structure productive du pays. Se battre après la bataille pour savoir si GE respecte ses engagements vis-à-vis d'Alstom est important, mais la messe est dite. Il faut agir avant le drame. Par exemple encourager le recrutement des jeunes, mettre en place vraiment une politique efficace de l'apprentissage. L'exemple est ici de l'autre côté du Rhin. Il faut aussi encourager l'accrochage de plateformes de PME innovantes à l'image de ce que fait Michelin. Une startup grandit mieux à l'ombre d'un grand frère. Et le grand frère y trouve son intérêt.

Changer de pied

Pour nos groupes, c'est simple. Il faut changer de pied. Si Luxottica ou Solvay ne sont pas les Apple du Vieux monde, ils ont pourtant mené la danse face à Essilor ou à Rhodia. Il faut accélérer. Rien ne nous en empêche. Suez a fait l'acquisition en début d'année de GE Water. Superbe mouvement stratégique. Les esprits chagrins ont marmonné que le prix était trop élevé. Peut-être, mais le saut est majeur pour Suez avec, à la clé, non seulement une position forte aux Etats-Unis mais aussi une boite à outils numériques de premier ordre.

On ne peut pas se contenter de se demander qui est le prochain sur la liste des départs. On ne peut pas plus se contenter de devenir un pays de filiales de groupes étrangers. On peut rêver d'une terre d'accueil de filières de premier rang mondial, fédérées autour de nos grands groupes, mais une flotte sans porte-avions est une flottille. Un pays sans industrie est un musée. Ouvrons les yeux. Nous dilapidons un appareil productif qui ne sera pas remplacé par un portefeuille de startups, aussi brillantes soient-elles. Passons à l'attaque.