"Il faut replacer les aéroports régionaux dans un paradigme d'utilité économique et sociale"

Par Alain Falque  |   |  1636  mots
OPINION. Analysant l'impact du coronavirus sur le transport aérien, Alain Falque, expert reconnu du secteur, explique pourquoi l'aide de Etat à Air France doit être élargie aux autres compagnies aériennes françaises. Il décrit aussi pourquoi les aéroports régionaux doivent adopter de nouvelles méthodes de gestion et se coordonner entre eux à l'échelle régionale, voire inter-régionale, en intégrant les autres modes de transport.

La crise sanitaire sert de révélateur à la situation précaire du transport aérien dont la forte croissance de ces dernières années a parfois masqué les faiblesses structurelles. Les multiples plans de restructuration, les changements de stratégie ont été avant la crise sanitaire les indicateurs d'un malaise qu'il était urgent de combattre

La première victime au Royaume Uni Flybe était en coma dépassé malgré l'assistance respiratoire qui lui avait été donnée par le gouvernement britannique. Aigle Azur et XL Airwyas sont mortes avant l'épidémie et en Italie Alitalia est en réanimation depuis longtemps. Les compagnies, parfois atteintes d'arthrose ou d'obésité, sont en péril. Tout comme les humains la grande fragilité préexistante est un facteur important de risque, face à une épidémie qui même temporaire frappe d'abord les plus faibles et a des conséquences fortes pour l'avenir. « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient atteints ».

L'efficacité des aides d'Etat doivent s'accompagner de réformes

Les promesses de support des États dans le monde entier sont un remède attendu, mais dont l'efficacité ne pourra être forte qu'à la condition de réformes structurelles importantes. Les États Unis ont mis en place une aide remboursable à 30% à toutes les compagnies sans exceptions à condition de ne pas licencier de personnel...jusqu'au mois de septembre. Le Département des transports (USDOT) a loué 10 milliards de subvention sans condition préalable aux aéroports totalement supportés par le gouvernement fédéral. Les fonds peuvent être utilisés « pour des investissements, la paye des personnels, les besoins d'exploitation ou le remboursement de la dette »

Attrition du réseau domestique français

Le transport aérien français est aujourd'hui fortement atteint, et ce n'est pas seulement l'effet de la crise actuelle. Les impératifs économiques ont conduit Air France et la plupart des compagnies européennes en dehors des low cost à ne plus desservir les petits aéroports Air France faisait état d'une perte annuelle de 200 millions d'euros sur ce segment de marché. Les compagnies européennes sont dans la même stratégie : seule la desserte des grands aéroports régionaux constitue pour eux un objectif assurant la rentabilité de l'exploitation, laissant ainsi à des compagnies plus petites la desserte du territoire plus difficilement rentable.

Le support apporté aux compagnies aériennes françaises est essentiellement une aide de trésorerie. Le report de paiement de la taxe d'aviation civile et de la taxe solidarité (dont le transport aérien français est la principal contributeur mondial) entre dans cette catégorie. Il serait bon que la charge des opérations de sécurité sureté, missions régaliennes, maintenues sur les aéroports et financées par une taxe ad hoc... puissent être prises en charge par l'État dont c'est la responsabilité; l'absence de passager générant l'absence de recettes.

Lire aussi : Coronavirus : "Si la crise dure, l'Etat devra venir au secours de son réseau aéroportuaire" (UAF)

La situation actuelle illustre combien le mécanisme de cette taxe doit être revu. Le système de péréquation ne peut plus jouer et l'absurdité d'une taxe plus élevée sur les petits aéroports que sur les grands pour une prestation identique s'en trouve soulignée. Une des voies pourrait être la syndicalisation des coûts au niveau national avec une taxes unique et une répartition sur chaque aéroport à l'euro des coûts encourus.  Ceci éviterait par ailleurs l'inflation des demandes d'aides au démarrage des lignes par les compagnies low cost.

L'aide à Air France doit être élargie aux autres compagnies françaises

L'aide annoncée pour Air France par son principal actionnaire, dépasse le simple cadre de la trésorerie et dans ce contexte doit être élargie aux autres compagnies aériennes françaises, et en particulier, aux compagnies régionales compte tenu des impacts sur la desserte des Régions

La décision de la commission européenne sur les créneaux horaires de décollage et d'atterrissage a donné une marge de liberté fort utile pour ajuster les fréquences sans risque de perte des créneaux, et permet sans aucun doute une réorganisation des lignes dans un contexte d'économies indispensables et peut être pérennes. Ceci ne concerne que le trafic des grands aéroports coordonnés.

La problématique des petits aéroports

Les aéroports moyens et petits se trouvent en France confrontés non seulement à des problèmes de trésorerie mais également à l'intensification de la nécessité, apparue avant la crise sanitaire, de changer de paradigme. Ils sont dans beaucoup de cas propriété de syndicats mixtes dont les participants sont les communes et les agglomérations avec ou non la participation des Régions qui sont parfois directement opérateur. Leur exploitation est déficitaire en dessous d'un million de passagers par an.

Le cadre économique dans lequel ils évoluent est celui des lignes directrices européennes dont la base est la problématique de la concurrence : aides d'État, aides aux lignes sont considérées à l'aune de ce critère.

La course au trafic des aéroports

Le cadre d'exploitation des Délégations de Service Public, déjà peu compatible avec le cadre des lignes directrices européennes qui prône une gestion « d'entrepreneur avisé », montre aujourd'hui ses limites. Les aéroports impactés par la crise n'ont guère d'autres solutions que de geler l'année 2020 et de faire appel à l'imprévision une fois connus les programmes de vols de l'année suivante avec une renégociation des accords avec les compagnies et donc des aides aux lignes aériennes qui sont, de leur part, l'objet d'une demande permanente. Ceci est normal dans le cadre actuel du paradigme compétitif dans lequel se situent les aéroports. Leur stratégie est aujourd'hui d'avoir un maximum de trafic, fut ce au détriment des aéroports voisins. Il suffit pour cela de lire les descriptions des aéroports indiquant toujours leur rang dans le classement par passagers.

S'il est évident qu'un trafic maximum permet une meilleure rentabilité, il n'y a effet rien de plus rentable qu'un aéroport saturé (souvent au détriment de la qualité de service), se donner des objectifs de X milliers ou millions de passagers en réalisant des investissements importants et en tentant de capter la clientèle des aéroports voisins ne répond plus au rôle que peuvent avoir les aéroports dans l'environnement économique régional et aux objectifs de l'alternative écologique.

Coordination régionale avec tous les modes de transport

Replacer les aéroports régionaux dans un paradigme d'UTILITE ECONOMIQUE ET SOCIALE, implique de nouvelles méthodes de gestion et une coordination régionale, et dans certains cas inter-régionale.

Les aéroports et le trafic associé doivent être placés dans le contexte du réseau de transport régional incluant tous les moyens de transport (TGV, TER, routes, autoroutes). le dispositif global doit assurer la connectivité du territoire aux centres économiques avec qui il est en relation, qu'il s'agisse de tourisme ou d'activités industrielles et commerciales. Ceci peut se mesurer par le volume des échanges existants entre les différents centres d'activité régionaux et les partenaires externes.

C'est l'apport de chaque aéroport à la connectivité territoriale qui sert de base à la stratégie de développement de trafic et aux équilibres économiques qui en résultent. On place ainsi les aéroports dans un cadre de développement concerté, associé à leur utilité économique et sociale, loin du cadre compétitif, et compatible avec les réductions d'impact environnemental du transport aérien. Les modalités de gestion s'inscrivent alors dans des objectifs contractualisés.

Certaines régions se sont déjà engagées dans un schéma proche, soit par la définition de l'intervention ou non de la Région dans les syndicats mixtes, (Nouvelle Aquitaine) soit par gestion directe des aéroports (Occitanie ; Grand Est) ou management unique (Normandie). Nous sommes dans ce paradigme, loin de la compatibilité avec le dispositif des lignes directrices actuelles dont la Commission a entrepris la révision.

Révision des lignes directrices européennes

L'utilité économique intégrant les autres réseaux de transport n'est malheureusement peu ou pas reconnue dans les dispositifs arrêtés par les lignes directrices européennes dont la philosophie est basée sur les problématiques de concurrence, qui relèvent d'une toute autre logique. Les subventions d'exploitation ne peuvent être accordée que de façon limitée et les aides aux liaisons aériennes sont proscrites... alors qu'elles sont l'objet d'une demande permanente des compagnies.

La révision en cours des lignes directrices devrait prendre en compte l'utilité économique dans le cadre de la desserte coordonnée du territoire et dans ce contexte amplifié par la crise laisser la possibilité de subventionner les petits aéroports et ceux de taille moyenne jusqu'à un niveau égal au moins au point équilibre, ainsi que de façon permanente les gros investissements qui ne peuvent être supportés par les exploitants.

De la même manière, l'aide aux lignes, qui fait aujourd'hui l'objet de recours en concurrence, devrait être autorisée pour les lignes de trafic « entrant ». Une Région touristique privée de l'apport des passagers internationaux en a un besoin impératif

A contrario, les lignes sortantes ne pourraient être subventionnées

Si ces principes doivent être appliqués face à la crise qui a révélé fortement les défauts du système actuel, ils doivent être pérennisés pour la survie des aéroports, les Régions doivent, par nature, en être le coordonnateur et le régulateur économique.