La retenue à la source, une réforme utile

Par Ivan Best  |   |  1150  mots
Le ministre des Finances, Michel Sapin, défend le projet de retenue à la source de l'impôt, sans insister sur les économies qu'elle permet
Attaquée de toutes parts, l'instauration d'une retenue à la source de l'impôt sur le revenu est pourtant utile, au moins à double titre: socialement, car elle évitera des déboires aux foyers dont les revenus chutent, et du point de vue de la gestion publique. Elle permettra en effet des économies importantes dans la gestion de l'impôt

La France peut-elle avoir raison, une fois de plus, toute seule contre tous ? La France peut-elle être le seul grand pays à n'avoir pas mis en place la retenue à la source de l'impôt sur le revenu, tout en affirmant disposer ainsi du meilleur système possible, le reste du monde se trouvant donc dans l'erreur ? A l'heure où le projet gouvernemental d'instaurer une retenue à la source de l'impôt sur le revenu, à compter du premier janvier 2018, est contesté de toutes parts, peut-on poser ces questions ? Le projet gouvernemental fait l'objet de tirs croisés. Les syndicats de Bercy n'en veulent pas, la hiérarchie du ministère semble renâcler, si l'on peut en juger par les prises de position d'ex hauts fonctionnaires des Finances, qui semblent refléter l'état d'esprit de leur ancienne maison, et de nombreux responsables politiques de droite annoncent d'ores et déjà l'annulation de la réforme dès leur retour au pouvoir, en 2017.

Socialement utile

Ce projet mérite-t-il tant d'indignité ? Le système de retenue à la source de l'impôt est, de fait, socialement utile. La suppression du décalage d'un an entre la perception des revenus et le paiement de l'impôt rendrait service à de nombreuses personnes. Un exemple : M. et Mme Durand ont bénéficié en 2015 d'un bonus salarial exceptionnel. Leur impôt de 2016 va s'en trouver évidemment sensiblement majoré. Mais Mme Durand a perdu son emploi en février 2016. Les ressources du foyer sont, du coup, fortement réduites, au moment même où le fisc va leur réclamer un surcroît d'impôt important. D'où des difficultés de paiement, une négociation assez pénible avec l'administration....

Imaginons que toute l'histoire soit décalée de trois ans. Que M. et Mme Durand n'aient reçu leur bonus en 2018, Mme perdant son job en 2019. La situation sera sans aucun doute plus facile à gérer. L'impôt sur le bonus sera prélevé directement sur celui-ci : s'il y a un impôt supérieur, l'année suivante, lié à un taux de taxation un peu plus élevé, ce sera seulement à la marge. Et quand Mme Durand se retrouve sans emploi, son impôt est automatiquement ajusté.

Lever une incertitude sur l'impôt à payer

La retenue à la source permet donc de lever une incertitude majeure sur l'impôt à venir. Une incertitude qui peut être à l'origine d'une sous-consommation, les ménages épargnant un peu plus en prévision d'une facture fiscale d'un montant inconnu. « Cette épargne supplémentaire, pour faire face à l'incertitude, peut représenter jusqu'à 1% du revenu des ménages » estime un ancien haut fonctionnaire de Bercy. Bien sûr, compte tenu de la diversité des ressources d'un foyer,la déclaration de revenus ne disparaîtra pas. Un ajustement aura toujours lieu en fin d'année. En général -c'est le cas aux Etats-Unis, notamment- cet ajustement prend la forme de la remise d'un chèque par le fisc, un léger trop perçu étant le plus souvent constaté. On peut le voir comme une bonne surprise de fin d'année....

Des économies importantes

Outre son utilité sociale, il existe une deuxième raison, sans doute moins importante, mais non négligeable, d'instaurer la retenue à la source : elle peut être synonyme de gestion plus économe du service public. Bien sûr, il faudra toujours calculer l'impôt, bien sûr le fisc devra transmettre aux employeurs un taux d'imposition, qui permettra de calculer l'impôt prélevé sur la fiche de paie, mais ces « process » sont d'ores et déjà largement automatisés ou le seront, s'agissant de la transmission de l'information aux employeurs. Ce qui va disparaître, en revanche, c'est toute la problématique autour du paiement de l'impôt.

Aujourd'hui, des milliers de fonctionnaires -en équivalent temps plein annuel- sont employés à octroyer des délais de paiement à des contribuables confrontés à un impôt trop lourd. Trop lourd, car plus important que prévu en raison d'un supplément de salaire perçu l'année précédente, ou, plus fréquemment, parce que les revenus du foyer ont chuté brutalement. Avec la retenue à la source, cette problématique disparaît, puisque l'impôt a, par définition, déjà été payé. C'est peut-être d'ailleurs là l'une des raisons de l'opposition des syndicats de fonctionnaires des impôts à cette réforme : rencontrer les contribuables et leur accorder des délais de paiement, rééchelonner l'impôt, voilà un rôle social que jouent constamment les fonctionnaires du fisc, essentiel à leurs yeux. Un rôle qui n'aura plus lieu d'être, d'où le sentiment d'une perte de pouvoir, évidemment difficile à accepter, même si cela n'est pas formulé en ces termes. De même, la haute administration de Bercy voit dans le transfert à l'Urssaf (une administration sociale), du prélèvement des l'impôt sur les salaires -l'Urssaf prélève déjà à la source un autre impôt, la CSG- comme un perte de substance, comme si une activité lui était enlevée. D'où son opposition, certes discrète, les hauts fonctionnaires sont tenus à un devoir de réserve, mais réelle.

L'équivalent de 25.000 fonctionnaires occupés à gérer l'impôt

Une étude de Terra Nova a tenté d'évaluer les gains de productivité liés à l'instauration de la retenue à la source. Ils ne sont pas négligeables. Même si l'administration est loin de fournir toute l'information sur les coûts actuels de gestion de l'impôt sur le revenu, on sait grâce à l'inspection des Finances que ce coût serait proche de 2% des recettes perçues au titre de cet impôt. A comparer avec les frais de gestion de la CSG , limités à 0,5% de la recette. Terra Nova estime donc à 1,7 milliard d'euros le coût d'administration de l'impôt sur le revenu, soit l'équivalent en temps plein de 25.000 fonctionnaires de Bercy !

Avec la retenue à la source, le fisc n'aurait plus à envoyer des millions de lettres de relance -10 millions pour la seule année 2013 !-, l'administration n'aurait plus à recourir à des procédures de recouvrement forcé, consistant à prélever l'impôt sur les comptes en banque des contribuables récalcitrants (5,1 millions d'opérations de ce type en 2013). Autant d'interventions coûteuses évitées, et donc des économies évidentes et importantes, qui n'ont pas échappé au ministre des Finances, mais celui-ci n'insiste pas sur ce point, voulant éviter de braquer les syndicats.

 Evidemment, instaurer la retenue à la source, ce n'est pas vraiment réformer l'impôt sur le revenu. Celui-ci mériterait de l'être, pour qu'il soit adapté à la réalité de la société -doit-on toujours le calculer sur la base d'un foyer fiscal, sensé refléter la famille traditionnelle ?- et à celle de la nouvelle économie, qui échappe à toute fiscalité. Le prélèvement à la source n'est qu'une technique. Mais une technique utile.