Le projet de loi sur la CSG des non-résidents risque de coûter cher aux contribuables

Par Sébastien Pilard  |   |  1252  mots
Sébastien Pilard, Président de Sens Commun, Secrétaire général Les Républicains en charge du Comité des entrepreneurs.
L'une des premières mesures de François Hollande, soumettre les plus-values immobilières et revenus fonciers des non-résidents aux prélèvement sociaux, a été dénoncée par Bruxelles. Et pourtant, le gouvernement persiste, et signe... A tort. Par Sébastien Pilard, Président de Sens Commun, Secrétaire général Les Républicains en charge du Comité des entrepreneurs.

L'une des premières mesures fiscales du quinquennat de François Hollande a été, par une loi du 16 août 2012, de soumettre les plus-values immobilières et revenus fonciers réalisés par les non-résidents aux prélèvements sociaux (CSG et CRDS principalement) frappant les revenus du patrimoine au taux de 15,5% actuellement. Jusqu'alors, seuls les particuliers ayant leur domicile fiscal en France en étaient redevables. Ceux qui résident habituellement à l'étranger ne bénéficiant pas, normalement, du régime français de protection sociale, il paraissait légitime de ne pas les assujettir à des cotisations dont l'objet est précisément de participer au financement de la Sécurité sociale. Voilà qui heurtait sans doute la conception de la justice fiscale du Chef de l'Etat.

Rappel à l'ordre

Comme c'était à prévoir, le gouvernement a été rappelé à l'ordre, d'abord par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), puis par le Conseil d'Etat. Selon l'article 13 du règlement 1408/71 du 14 juin 1971 concernant l'application du régime de Sécurité sociale à l'intérieur de la Communauté, nul ne peut être soumis à la législation de sécurité sociale de plus d'un Etat membre. De là découle une autre règle, selon laquelle les personnes affiliées à un régime de Sécurité sociale d'un Etat membre ne sauraient être assujetties aux cotisations finançant le régime de sécurité sociale d'un autre Etat membre. A défaut, la libre circulation des personnes au sein de l'Union serait entravée. C'est donc fort logiquement que la CJUE, le 26 février 2015, puis le Conseil d'Etat à deux reprises, le 17 avril et le 27 juillet, ont décidé que la France n'était pas en droit de réclamer le paiement des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine aux contribuables relevant d'un régime de Sécurité sociale d'un autre Etat membre, et ce quel que soit, au demeurant, leur Etat de résidence - France (comme c'était le cas dans l'affaire De Ruyter soumise à la CJUE), ou autre pays de l'Union.

Si l'on s'en réfère aux déclarations devant le Sénat du secrétaire d'Etat chargé du budget Christian Eckert, il pourrait nous en coûter 500 millions d'euros, sans compter le manque à gagner annuel en termes de recettes (entre 300 et 320 millions d'euros selon Les Echos). Mais ce n'est pas tout. Le gouvernement aurait pu en profiter pour prendre des mesures d'économies à effet immédiat, les montants en jeu n'étant certainement pas de nature à s'y opposer - du moins faut-il l'espérer. Au lieu de quoi, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016 (PLFSS) nous apprend que l'exécutif n'entend pas s'incliner devant les plus hautes juridictions européenne et française. Ainsi, l'article 15 envisage une modification de l'affectation budgétaire des prélèvements sociaux sur les revenus du capital.

Alors qu'ils abondent aujourd'hui principalement, pour simplifier, le budget du régime général de la Sécurité sociale, ils seraient alloués désormais au Fonds de solidarité vieillesse (FSV) et à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Selon l'exposé des motifs, cela suffirait à faire échec à la jurisprudence fiscale communautaire et nationale, dans la mesure où les sommes attribuées aux deux établissements publics considérés (FSV et CNSA) ne relèveraient pas, soi-disant, du règlement européen de 1971, en tant qu'elles ne donnent ouverture à aucun droit spécifique en contrepartie de leur versement.


Un bricolage juridique

Le moins que l'on puisse dire est que le gouvernement n'a pas ménagé sa peine pour essayer de sauver une imposition manifestement non conforme au droit européen et portant atteinte, ce faisant, au principe fondamental de libre circulation des personnes et des capitaux à l'intérieur de l'Union. Quel saisissant paradoxe que celui consistant à chanter sans retenue les louanges de la construction européenne et à contourner, par le truchement d'un montage juridique aux allures de « bricolage », les dispositions communautaires formant obstacle à l'application de prélèvements dont on sait bien qu'ils ont pour finalité exclusive de concourir à l'équilibre budgétaire du système français de sécurité sociale.

Et puis, comment peut-on imaginer sérieusement que le moyen envisagé ait de solides chances de recevoir un accueil favorable, non seulement de la part des contribuables concernés, mais également des autorités communautaires ? Le gouvernement le croit-il seulement ? De fait, ni les textes européens relatifs à la Sécurité sociale, ni la jurisprudence de la Cour de Luxembourg ne lui offrent d'argument convaincant.

Le droit européen boudé

Sans doute, en droit français, un prélèvement obligatoire affecté au financement de prestations dites « non contributives » - celles qui sont rendues indépendamment de toute contribution antérieure de la part de leur bénéficiaire - n'a pas fondamentalement la nature juridique d'une cotisation sociale. Toujours est-il que cette approche très franco-française n'est visiblement pas en phase avec le droit européen. Que l'on s'en réfère aux règlements sur le sujet ou au raisonnement de la CJUE les concernant. Pour dire les choses simplement, ne sont exclus du champ d'application du principe d'unicité de législation sociale posé par le règlement de 1971 que les contributions couvrant les dépenses destinées à pourvoir aux charges générales des pouvoirs publics parce qu'il s'agit alors d'impôts, et non celles qui sont affectées spécifiquement et directement au financement de la Sécurité sociale.

On peine à voir comment le gouvernement parviendra à expliquer de façon pertinente que son projet permet de rattacher désormais les prélèvements sociaux sur les revenus du capital à la première catégorie de contributions, plutôt qu'à la seconde. Aussi, est-il pour le moins douteux que ces derniers puissent valablement continuer à s'appliquer aux revenus perçus par les personnes qui ne sont pas affiliées à la Sécurité sociale française. Nos craintes sont d'ailleurs partagées jusqu'au sein de la majorité. Ainsi, le député PS des français de l'étranger Pierre-Yves Le Borgn' s'est montré très critique à ce sujet sur son blog.

Le matraquage fiscal n'est pas fini

Si le projet est mené à son terme, le gouvernement prendra la responsabilité d'engager la France dans une nouvelle procédure juridictionnelle, aux frais des contribuables. N'oublions pas, à cet égard, que chaque euro devant être remboursé par l'Etat à l'issue d'une action contentieuse est majoré de 4,80% par an au titre des intérêts moratoires. Difficile d'imaginer meilleur placement pour les intéressés. Il est vrai néanmoins que la gestion de la dépense correspondante ne devrait pas incomber à François Hollande et ses ministres, mais à leurs probables successeurs.

Quant aux affiliés au régime social français, qui eux continueront quoi qu'il arrive à devoir s'acquitter des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine, ils ne pourront que se rendre à l'évidence : le matraquage fiscal n'est pas fini. D'autant qu'il leur faudra probablement colmater la brèche dans quelques années si, comme il est probable, la France est de nouveau condamnée. Plus généralement, au-delà des mesures de rafistolage telle celle-ci, on cherchera en vain, dans le projet de loi auquel elle se rattache (PLFSS), ainsi que dans le projet de loi de finances pour 2016, la moindre initiative d'envergure susceptible de renforcer la compétitivité de notre économie et de relancer, par là-même, l'activité  de nos entreprises.