Nous, les barbares

Par Michel Santi  |   |  606  mots
Michel Santi. (Crédits : DR)
OPINION. Ne nous enseignait-on pas, il y a quelques années encore, que les inégalités ne devaient pas nous inquiéter car - après tout - la richesse qui se trouve tout en haut de la pyramide finira bien par ruisseler ? Par Michel Santi, économiste(*).

La "science" économique moderne se nourrit de contre-vérités ou, disons plutôt pour être polis, de mythes, qui se retrouvent tour à tour comme dans un jeu de quilles renversés par la réalité. Ne nous enseignait-on pas, il y a quelques années encore, que les inégalités ne devaient pas nous inquiéter car - après tout - la richesse qui se trouve tout en haut de la pyramide finira bien par ruisseler ?

Le peuple des rentiers à dessein dans l'angle mort des économistes

Aujourd'hui, c'est le peuple des rentiers - à savoir ceux qui gagnent leur vie sans avoir à travailler - qui se trouve être le non-objet de l'attention de l'immense majorité des économistes qui nous assurent, efficience des marchés à l'appui, que ceux qui font de l'argent l'ont bien mérité !

De fait, le libéralisme morbide qui infecte nos économies travaille ardemment pour persuader tous les maillons de la chaîne de l'inestimable contribution des plus aisés à la société.

Comment, donc, ne pas violemment douter de la crédibilité de celles et ceux qui nous guident, à l'instar de Ben Bernanke - pas encore à cette époque patron de la Réserve fédérale mais spécialiste reconnu de la Grande Dépression - qui déclarait en 2004 qu'une «des dominantes de l'économie des 20 dernières années était la baisse substantielle de la volatilité macroéconomique» ?

Au même moment, le FBI mettait formellement en garde contre une «épidémie» (je cite) à la fraude du crédit immobilier qui se systématisait aux États-Unis, laquelle déboucherait moins de 3 ans plus tard sur la crise financière la plus grave en 80 ans...

Préalablement à cette conflagration planétaire des années 2007 et 2008, la confrérie des économistes n'avait-elle pas revendiqué l'ultime victoire du capitalisme qui avait enfin pu guérir de ses maux endémiques faits de cracks boursiers et de dépressions?

Voilà pourquoi les signaux avant-coureurs furent royalement ignorés, voilà également pourquoi une majorité des économistes trouva même le moyen de qualifier la gigantesque crise qui s'ensuivit de caillou dans des rouages qui finiraient bien par regagner leur rythme de croisière.

Sans pour autant reconnaître que c'est l'argent des États et des banques centrales - donc le nôtre - qui sauverait la mise.

Les dangereux usages de la science économique

L'effondrement boursier récent, comme la stagnation de nos économies depuis une dizaine d'années, sont pourtant d'infaillibles preuves de l'efficacité illusoire de cette science économique qui n'est, en fait, que l'addition hétéroclite d'instincts humains.

Une question essentielle se pose donc : l'économie - qui est en réalité une discipline «post-mortem», en ce sens qu'elle ne peut ni ne fait que constater les faits après qu'ils soient survenus - peut-elle encore prétendre à conditionner les politiques publiques dans un contexte de grande faiblesse et d'immense perte de leur crédibilité des femmes et des hommes politiques se réfugiant derrière les économistes? Ou bien l'économie n'est-elle qu'une blanchisseuse ou une recycleuse de théories et d'axiomes, auquel cas les économistes ne seraient que des caméléons...

Je terminerai en citant Franklin Delano Roosevelt qui avertissait en 1938 ses concitoyens:

« L'Histoire prouve que les dictatures ne naissent pas des exécutifs crédibles, mais des gouvernements faibles et incompétents. »

___

(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.

Il vient de publier «Fauteuil 37» préfacé par Edgar Morin

Sa page Facebook et son fil Twitter.