Ordonnances travail  : l'inefficacité de la réforme à petits pas

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  787  mots
Marc Guyot et Radu Vranceanu.
IDEE. Contrairement à ce qu'il avait initialement annoncé, le président Emmanuel Macron n'a pas conduit la réforme du marché du travail prenant en compte les enjeux des changements technologiques et favorisant la compétitivité des entreprises françaises. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC

Les marchés du travail des pays de l'Europe du Sud se sont longtemps caractérisés par un socle commun : influence forte des syndicats employés, salaires minimum élevés et surtout des contrats de travail comportant une forte protection légale des emplois, dont le principal instrument en France est le CDI. La définition exigeante de ce qu'est un emploi a pour conséquence un taux de chômage de longue durée plus élevé, une exclusion sociale élevée visant tous les travailleurs fragiles dont la productivité ne cadre pas avec le niveau du salaire minimum, particulièrement les travailleurs handicapés, et un niveau élevé de travailleurs en contrats temporaires qui amènent la flexibilité compensant la stabilité du CDI. En effet, en cas de crise les ajustements se font sur les emplois temporaires ou de manière plus brutale par la faillite de l'entreprise.

Risques juridiques

Aujourd'hui, face à des mutations technologiques ou des évolutions de la demande qui seraient anticipées, les entreprises doivent pouvoir ajuster les effectifs afin de préserver leur compétitivité. Les grandes entreprises peuvent se risquer dans des plans sociaux avec les risques juridiques que cela comporte. Certains licenciements économiques peuvent être maquillés sous forme de faute personnelle. L'entreprise peut enfin faire pression sur les employés pour qu'ils partent comme France Telecom a tenté de le faire dans les années 2000. Ces situations choquantes s'expliquent par la rigidité d'un cadre légal obsolète dans notre contexte de numérisation et de mutations technologiques.

Réformes impopulaires

Plusieurs économistes de premier plan, comme Jean Tirole ou Olivier Blanchard, ont souligné l'importance d'une reforme courageuse du contrat de travail qui remplacerait le duo CDI/CDD par un contrat unique avec un paiement compensatoire en cas de licenciement déterminé à l'avance de manière transparente. C'est l'esprit de la réforme mise en place par Mateo Renzi en Italie, pour les nouveaux contrats. Ces réformes impopulaires mais nécessaires ont coûté son poste à Mateo Renzi comme à Gerhart Schroeder en Allemagne et malheureusement aucun politicien français n'est disposé à sacrifier sa carrière pour le bien commun.

Emmanuel Macron a prudemment misé sur la réforme à petit pas. Plutôt que prendre le risque de mettre en place un nouveau contrat, il a mis en place par ordonnance un encadrement des indemnités pour licenciement abusif. Le barème peut aller de 1 à 20 mois maximum de salaire. Avant la réforme, l'absence de limite supérieure rendait presque impossible pour l'entreprise d'estimer le coût d'un licenciement. Cette esquisse minimaliste de réforme s'est tout de suite vue contestée, et plusieurs tribunaux prudhommaux (Troyes, Anger, Dijon, Bordeaux, Amiens) ont refusé d'appliquer le barème légal, pour imposer des indemnités nettement supérieures.

Idéologie planiste

Les juges ont invoqué le fait que les ordonnances seraient en contradiction avec la Convention de l'Organisation Internationale du Travail nr. 158 / 1982 sur le licenciement. Cette convention est une expression parfaite de l'idéologie planiste selon laquelle l'entreprise doit avant tout garantir l'emploi à vie plutôt que produire des biens et services de la manière la plus efficace. Ainsi un licenciement deviendrait une atteinte au droit au travail. Elle n'a été signée, outre la France, que par 36 pays dont une majorité des pays en développement comme le Yémen, la Zambie, le Venezuela, le Niger ou le Nigeria.

Un geste décent au regard de la réalité économique en 2019 aurait été pour Emmanuel Macron de sortir le pays de cette convention. Tout au contraire, le 11 Juin dernier, Emmanuel Macron a l'occasion des 100 ans de l'OIT, a prononcé un étrange discours anticapitaliste, appelant à la mise en place d'un salaire minimum européen présenté comme la panacée anti-dumping social par le travail moins cher à l'Est. Ensuite, il aurait pu mettre un terme à la « cause réelle et sérieuse de licenciement » incorporée dans la définition légale du CDI. Cette réforme devait inciter les employeurs à recruter sur des postes qu'ils estiment pérennes et investir dans la formation de leurs employés, plutôt qu'avoir recours à des contrats courts par crainte de guérillas juridiques potentielles en cas de retournement de conjoncture.

Changer un rouage dans un système inchangé

Le problème de la méthode de la réformette est qu'elle change un rouage dans un système inchangé. De ce fait, la réforme est aisément paralysée par les anciennes institutions toujours en place. Dans les premières années de son quinquennat, Emmanuel Macron affirmait être sensible aux enjeux des changements technologiques et à la compétitivité des entreprises françaises. Cela semble être devenu un souvenir.