Quand Macron a en tête le modèle anglo-saxon

Par Ivan Best  |   |  837  mots
Emmanuel Macron dit vouloir faire de la politique autrement, et se pose en défenseur des oubliés du système social. Il défend en fait, en creux, un programme très libéral, largement inspiré du modèle anglo-saxon

Désormais candidat -qui en doutait vraiment ?- Emmanuel Macron n'a pas encore dévoilé son programme. Tout juste a-t-il annoncé 8 propositions, dont la cohérence n'apparaît pas au immédiatement. Quel rapport entre la réforme de la carte scolaire et la fin des 35 heures pour les jeunes ? Et le droit au chômage pour les travailleurs indépendants et les autoentrepreneurs ? Leur indemnisation serait une rupture avec le système actuel. Emmanuel Macron s'en est expliqué dans une interview à l'Obs :

"Nous devrons donner des droits nouveaux et rentrer dans une logique beaucoup plus transparente, qui ne sera plus pensée en fonction de la durée et du montant des cotisations, mais qui protégera des aléas de la vie professionnelle ceux qui aujourd'hui ne sont pas couverts. En particulier ceux qui sont au régime de la microentreprise ou les indépendants."

En apparence, il s'agit là d'une mesure sociale. L'objectif est de donner des droits à ceux qui n'ont pas accès à certaines prestations. Une mesure « de gauche » donc. Emmanuel Macron ne met-il pas régulièrement en avant ses origines de ce côté du spectre politique ? Du reste, c'est fréquemment au nom d'une lutte contre les inégalités, d'une politique de gauche donc, que l'ex ministre de l'Économie entend agir.

Intervenant en janvier 2015 en ouverture d'un colloque à Bercy sur les inégalités, où s'exprimait Thomas Piketty, Emmanuel Macron avait constaté que face aux inégalités de patrimoine, « nous sommes en échec, c'est la cruauté des constats de long terme que Thomas Piketty a établi, il faut bien le constater ". Et de souligner que, comme les inégalités de revenus, elles étaient également des freins à la croissance et à l'innovation. La lutte contre les inégalités de patrimoine est "un sujet fondamentalement fiscal, un sujet de correction, un sujet de coordination européenne et mondiale à avoir", avait ajouté le ministre. Mais « les inégalités de destin » sont le produit d'un système « beaucoup plus généreux que d'autres économies », et qui, reposant sur « un modèle de redistribution, de protection sociale forte », a du même coup « construit ses propres rigidités ». On voyait déjà poindre, à travers la critique des inégalités, la remise en cause du système social. Or, via cette mesure proposée aujourd'hui d'extension de l'assurance chômage, apparemment généreuse pour les indépendants et les autoentrepreneurs, c'est bien cette logique de transformation radicale du système social qui est à l'œuvre. Pour résumer le point de vue macronien, sous jacent : "ça ne marche pas bien, donc il faut tout casser". Et pour mettre quoi à la place ?

Un financement des prestations chômage par l'impôt

S'agissant du système français d'assurance chômage, l'ancien ministre a esquissé dans une interview à Mediapart la solution qui aurait ses faveurs : il faudrait que tout le monde y ait droit, mais, au nom de cet universalisme, le financement devrait avoir lieu par l'impôt, comme pour l'assurance maladie, où l'évolution est allée loin en ce sens. Ce ne seraient plus les cotisations des employeurs et des salariés qui financeraient les prestations chômage, mais l'ensemble de la collectivité, via la fiscalité. Du reste, il préconise aussi dans son interview à L'Obs une nationalisation de l'Unedic (assurance chômage), ce qui est totalement cohérent avec sa proposition de financement par l'impôt.

En quoi ces changements sont ils si importants ? Ils remettraient en cause la logique d'assurance qui prévaut actuellement. On parle bien d'assurance chômage : les prestations reçues dépendent des cotisations versées, dans un fonctionnement purement assurantiel. A ce principe, il serait donc mis fin. Avec quelle conséquence ? Le financement par la collectivité impliquerait que l'indemnisation du chômage soit réduite. C'est bien ce qu'a en tête Emmanuel Macron, qui, à l'occasion du colloque sur les inégalités à Bercy fustigeait le « toujours plus d'argent public" et dénonçait "l'approche collective" qui prévaut depuis l'après-guerre en France et  "a été un frein". Il s'agit d'économiser. Et donc d'accorder aux chômeurs, quelle que soit leur ancien statut de salarié, une prestation minimaliste, un simple filet de sécurité. A la mode anglo-saxonne, donc, où l'indemnisation du chômage est inexistante ou très faible. De même que pour les retraites.

En Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis, la pensions de retraite, par exemple, ne dépasse pas quelques centaines d'euros par mois, s'agissant du système public. L'objectif est simplement d'éviter de laisser tomber certain citoyens dans la plus extrême pauvreté. Pour obtenir une retraite plus élevée, il faut être employé d'une entreprise suffisamment généreuse qui offre un fonds de pension intéressant, ou cotiser soi même. Sous couvert de générosité sociale, Emmanuel Macron entend donc faire basculer vers la France vers un système beaucoup plus libéral et individualiste. Vous avez dit hypocrisie ?