Emprunts toxiques : les collectivités se rebiffent

Par Mathias Thépot  |   |  904  mots
Les collectivités locales victimes des crédits toxiques peuvent-elles gagner en justice ?
En conflit avec l'Etat sur l’affaire des emprunts toxiques, les collectivités locales tentent de trouver des failles juridiques pour obtenir gain de cause.

La période se complique pour les collectivités locales ayant souscrit avant la crise de 2008 des crédits dont les taux d'intérêt, souvent indexés sur l'évolution de la parité euro/franc suisse, ont par la suite explosé. Pour négocier la sortie de ces emprunts toxiques qui minent leur budget, voire menacent leur solvabilité, les élus locaux ont désormais affaire à l'État qui a repris sous le nom de Sfil (société de financement local) les activités françaises de Dexia, le leader historique du marché des prêts aux collectivités, au moment de sa faillite.

Les indemnités globales de sortie de tous ces crédits toxiques seraient évaluées à 6 milliards d'euros par la Sfil. Si cette dernière devait les prendre en charge à la place des collectivités, l'État serait alors obligé de la recapitaliser. Ce à quoi Bercy s'oppose fermement en cette période tendue pour les finances publiques.

Accéder au fonds de soutien ?

Les collectivités locales se retrouvent donc dans une situation très inconfortable, d'autant qu'elles font face à des échéances importantes : elles ont jusqu'à la fin mars pour déposer une demande d'accès à un fonds de soutien - doté in fine de 1,5 milliard d'euros, soit 25% de l'indemnité globale - destiné à leur venir en aide et qui est abondé pour moitié par les banques et pour moitié par l'État.

S'ils souhaitent avoir accès à ce fonds, les élus locaux devront cependant renoncer à tout contentieux judiciaire, en cours ou à venir, à l'encontre de la Sfil. Ils ont donc concrètement le choix entre prendre ce qu'on leur donne et miser sur une future victoire au tribunal.

Les collectivités comptent du reste jouer leur va-tout en justice et espèrent obtenir une décision favorable avant la date butoir d'accès au fonds. Au-delà, elles n'excluent pas de miser sur les décisions des différents tribunaux si les propositions du fonds de soutien et la Sfil ne leur conviennent pas.

L'espoir de l'emporter en justice

Comme nous l'évoquions en début de semaine, les collectivités ont toujours des moyens de l'emporter en justice et de générer de nouvelles jurisprudences. La commune d'Achicourt (8.000 habitants) dans le Pas-de-Calais compte par exemple s'appuyer sur le défaut d'information concernant l'indemnité de remboursement anticipé (IRA) dont elle devrait aujourd'hui s'acquitter. "On ne nous a jamais présenté le scénario du pire", regrette-t-on dans la petite municipalité.

En effet, les contrats de prêts toxiques - que la Sfil a rachetés -, souscrits dans les années 2000 par les collectivités auprès de Dexia, mentionnent rarement précisément les conditions et les modalités de remboursement par anticipation des crédits. Ce qui s'apparente, du fait de l'extrême complexité des crédits souscrits par les collectivités, à un défaut du devoir d'information auquel les banques sont assujetties lorsqu'il est évident qu'elles en savent davantage que leur client.

On comprend que la petite ville du Pas-de-Calais mise en partie sur une victoire en justice : son IRA est aujourd'hui fixée à 4,8 millions d'euros, alors que le capital restant dû du prêt - sans les intérêts qui ont bondi à plus de 15% ! - s'élève à 2,5 millions d'euros. Une somme importante à décaisser, même si la collectivité se montre pour sa part ouverte à un compromis acceptable avec le fonds de soutien et la Sfil.

Une nouvelle jurisprudence au TGI de Clermont-Ferrand ?

Du côté d'Unieux (9.000 habitants), située dans le département de la Loire, on mise pareillement sur le défaut d'information concernant l'IRA qui pourrait faire office de jurisprudence au niveau national ; mais aussi sur le défaut de conseil de la banque que les petites communes peuvent invoquer car elles n'avaient pas les effectifs pour bien comprendre la structure des prêts bancaires.

Le maire d'Unieux, Christophe Faverjon, espère également l'emporter devant les tribunaux en se reposant sur une décision de justice du 3 juin 2014 du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand. Celui-ci a condamné une banque face à un particulier en retenant le caractère illicite de la clause d'indexation d'un prêt sur le taux de change euro/franc suisse. En effet, un article du code monétaire et financier interdit les clauses d'indexations n'ayant pas de rapport direct avec l'activité de l'une des parties. Cette décision pourrait donc bénéficier aux collectivités dont les activités n'ont aucun lien avec la Suisse.

Le recours au niveau européen décidé cette semaine

Enfin, les élus vont trancher sur la question du recours à la juridiction européenne lors du Congrès annuel des maires de France qui se tient cette semaine. Comme l'a expliqué récemment le président des Acteurs publics contre les emprunts toxiques (APCET), Christophe Greffet, les collectivités pourraient effectivement avoir intérêt à saisir la justice européenne, plus stricte sur le respect de l'intérêt général et sur la protection des consommateurs. Le droit européen stipule par exemple qu'un État membre ne peut pas changer les règles du jeu alors qu'une procédure est en cours, comme l'a pourtant fait la France en annulant une jurisprudence qui condamnait Dexia pour avoir omis de mentionner dans des documents le taux effectif global (TEG) de prêts souscrits par le conseil général de Seine-Saint-Denis.